Chapitre II

 

 

Doctrine et stratégie du projet

 

de socialisme pour la France

 

 

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AUTOGESTION SOCIALISTE: les têtes tombent à l'entreprise, à la maison, à l'école - Une dénonciation qui a fait le tour du monde, Plinio Corrêa de Oliveira, 213 pages

Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP

2, avenue de Lowendal 75007 PARIS

Dépôt légal : 3ème trimestre 1983

1. « Liberté, égalité, fraternité » dans le « Projet socialiste »

Le propre d’une devise est d’être substantielle et précise.

Ce n’est pas le cas de la trilogie de la Révolution : “Liberté, Égalité, Fraternité”. Parmi les multiples interprétations et applications auxquelles elle a donné lieu, certaines ont laissé dans l’Histoire des marques d’impiété, de folie et de sang qui ne s’effaceront jamais (4).

(4) Dans sa lettre apostolique du 25 août 1910, intitulée Notre Charge Apostolique, condamnant le mouvement du Sillon de Marc Sangnier, Saint Pie X analyse la fameuse trilogie en ces termes: "Le Sillon a le noble souci de ta dignité humaine. Mois cette dignité, il la comprend à la manière de certains philosophes dont l'Église est loin d'avoir à se louer. Le premier élément de cette dignité est la liberté, entendue en ce sens que, sauf en matière de religion, chaque homme est autonome. De ce principe fondamental il tire les conclusions suivantes: Aujourd'hui le peuple est en tutelle sous une autorité distincte de lui, il doit s'en affranchir: émancipation politique. Il est sous la dépendance de patrons qui, détenant ses instruments de travail, l'exploitent, l'oppriment et l'abaissent; il doit secouer leur joug: émancipation économique. Il est dominé enfin par une caste appelée dirigeante, à qui son développement intellectuel assure une prépondérance indue dans la direction des affaires; il doit se soustraire à sa domination: émancipation intellectuelle. Le nivellement des conditions à ce triple point de vue établira parmi les hommes l'égalité, et cette égalité est la vraie justice humaine. Une organisation politique et sociale fondée sur cette double base, la liberté et l'égalité (auxquelles viendrait bientôt s'ajouter la fraternité), voilà ce qu'ils appellent Démocratie...

D'abord en politique, le Sillon n'abolit pas l'autorité, il l'estime, au contraire, nécessaire, mais il veut la partager, ou, pour mieux dire, la multiplier de telle façon que chaque citoyen deviendra une sorte de roi...

Proportions gardées, il en sera de même dans l'ordre économique, soustrait a une classe particulière, le patronat sera si bien multiplié que chaque ouvrier deviendra une sorte de patron...

Voici maintenant l'élément capital, l'élément moral... Arraché à l'étroitesse de ses intérêts privés et élevé jusqu'aux intérêts de sa profession et plus haut encore, jusqu'à ceux de l'humanité (car l'horizon du Sillon ne s’arrête pas aux frontières de la patrie, il s'étend à tous les hommes jusqu,aux confins du monde), le cœur humain, élargi par l'amour du bien commun, embrasserait tous les camarades de la même profession, tous les compatriotes, tous les hommes. Et voilà la grandeur et la noblesse humaine idéale réalisée par la célèbre trilogie: Liberté, Égalité, Fraternité...

Telle est, en résumé, la théorie, on pourrait dire le rêve, du Sillon" (Acta Apostolicæ Sedis, Typis Poliglottis Vaticanis, Rome, 1910, vol. II, pp.613_615).

Saint Pie X marche ainsi sur les traces de ses prédécesseurs qui dès Pie VI avaient réprouvé les erreurs inspirées par la devise de la Révolution française.

Dans sa Décrétale du 10 mars 1791, adressée au cardinal de la Rochefoucauld et à l'Archevêque d'Aix-en-Provence à propos des principes de la constitution Civile du clergé, Pie VI déclare: "Elle (l’Assemblée Nationale Française) a revendiqué, en tant que droit de l'homme dons la société, cette notion de liberté absolue qui lui garantit non seulement le droit de n'être inquiété en rien dans le domaine de ses convictions religieuses, mais aussi celui de pouvoir opiner, en parler, écrire et même faire publier tout ce que bon lui semble en matière de Religion. Elle a proclamé que ces monstruosités découlent et émanent de l'égalité des hommes et de la liberté de la nature humaine, Mais que veut-on imaginer de plus insensé que l'implantation d'une telle liberté et égalité parmi tous, sans aucun respect pour cette raison dont la nature a doué la race humaine seule et qui la distingue des outres animaux ? Quand Dieu créa l'homme, ne lui a-t-il pas, tout en le plaçant au Paradis Terrestre, défendu sous peine de mort, de manger le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal ? N'était-ce pas mettre des entraves à sa liberté, dès le début par ce premier précepte ? Et quand l'homme pécha par désobéissance, Dieu ne continua-t-il pas à lui imposer d'autres préceptes par l'intermédiaire de Moïse ? Et quoique Dieu 'ait laissé au choix de son arbitre' de mériter le bien ou le mal il lui donna néanmoins des 'commandements et des sentences pour qu'ils le sauvent s'il veut les observer' (Eccl. XV, 15-16).

Où est donc cette liberté de pensée et d'action que les décrets de L’Assemblée Nationale attribuent à l'homme en société en tant que droit immuable de la nature ?... Étant donné que l'homme, dès sa naissance doit être à la merci de ses aînés pour qu'ils le gouvernent et l'instruisent, et qu'il doit mener sa vie selon les normes de la raison, de l'humanité et de la Religion, il est donc certain que cette égalité et cette liberté si acclamées sont vaines et sans fondement dès l'instant de sa naissance. 'Il est nécessaire que tu sois soumis' (Rom. XIII, 5). Afin donc que les hommes puissent se réunir en société, il a fallu organiser une forme de gouvernement dans laquelle les droits de liberté sont délimités par des lois et par le pouvoir suprême de ceux qui gouvernent. De ceci découle ce que St-Augustin enseigne en ces paroles : 'L'obéissance aux Rois est assurément un accord général de la société humaine' (Confessions, Livre III, Chap. VIII, op. ed. Maurin, p.94). Voilà pourquoi l'origine de ce pouvoir devrait être recherchée moins dans un contrat social qu'en Dieu lui même, en l'auteur de ce qui est droit et juste" (Pie VI Pont. Max. Acta, Typis S. Congreg. de Propaganda Fide, Rome, 1871, vol. I, pp. 70-71).

Pie VI a condamné à plusieurs reprises, la fausse conception de la liberté et de l’égalité. Dans le Consistoire Secret du 17 juin 1793, confirmant les mots de l'Encyclique Inscrutabile Divinæ Sapientiæ du 25 décembre 1775, il déclare:

"Ces philosophe au raisonnement pervers arrivent à dissoudre tous les liens par lesquels les hommes sont unis les uns aux outres et à leurs supérieurs et par lesquels ils accomplissent leurs devoirs. Ces philosophes pervers n'en finissent donc pas de proclamer que l'homme est né libre et qu'il ne doit s'assujettir à personne, que la société n’est rien d’autre qu’un groupe d’hommes stupides dont l’imbécillité se courbe devant les prêtres (qui les trompent) et les rois (qui les oppriment) : de telle façon que l’accord qui règne entre le Sacerdoce et l’Empire n’est qu’un complot monstrueux contre la liberté innée de l’homme". Il continue : "Ces présomptueux protecteurs du genre humain ont allié ce mot faux et mensonger, Liberté, avec un autre mot également fallacieux, celui d’Égalité. C’est comme si, parmi les hommes réunis en une société civile, - étant donné qu’ils sont sujet à passer par divers états d’esprit et qu’ils se meuvent de façon diverse et incertaine, chacun suivant l’impulsion de ses désirs – personne ne devrait exister qui puisse régner soit par autorité soit par force, obliger et gouverner, qui puisse également rappeler à leurs devoir ceux qui se conduisent d’une manière désordonnée, de façon à ce que la société ne s’ébranle pas sous les secousses téméraires et contradictoires d’innombrables passions en anarchie, et ne se dissolve complètement. C’est tout comme l’harmonie, composée de la consonance de plusieurs sons et qui, si elle ne comporte pas d’accord juste entre les cordes et la voix, se dissipe en bruits désordonnés et fait place à une dissonance complète" (Pie VI Pont. Max., Acta, Typis S. Congreg. de Propaganda Fide, Roma, 1871, vol. II, pp. 26 et 27).

Une des interprétations les plus radicales, à laquelle se prête la trilogie, peut être énoncée comme suit. La justice exige une égalité absolue entre les hommes. Seule celle-ci, par la suppression de toute autorité, réalise entièrement la liberté et la fraternité. La liberté n'a qu'une limite : ce qui est indispensable pour empêcher les plus doués d'utiliser à leur avantage une supériorité de commandement, de prestige ou de biens. La véritable fraternité décolle de la relation entre les hommes entièrement égaux et libres.

De 1789 à 1794, les leaders révolutionnaires successifs se sont inspirés d'interprétations de la célèbre trilogie, chaque fois plus proches de cet énoncé radical. La Révolution française, si modérée au début, eut des spasmes de tendance nettement communiste au moment de son agonie finale. Comme s'il répétait ce processus révolutionnaire au ralenti, le monde démocratique mène – ou est sur le point de mener - à ses conséquences finales le nivellement politique des classes, bien que sa culture, son régime social et économique conservent encore des aspects hiérarchiques.

On pourrait discuter des faits, des lieux et des dates qui, au XIXe siècle, ont marqué les premiers mouvements vers un nivellement culturel et socio-économique. Il est certain que vers le milieu du siècle ces mouvements s'étaient étendus à de nombreux pays et s'étaient même établis dans plusieurs d'entre eux, au point d'inspirer des événements comme la Révolution de 1848 et la Commune de 1871. De plus, la présence de ces mouvements est évidente en notre siècle, dans les facteurs profonds de la Révolution russe de 1917 et par conséquent dans la propagation du régime communiste aux pays de derrière les rideaux de fer et de bambou, ainsi qu'à d'autres pays encore (5). Sans parler de toutes les révolutions et manifestations communistes qui ont agité différentes parties du monde, entre autres l'explosion de la Sorbonne de mai 1968.

(5) En plus des pays de l'intérieur des rideaux de fer et de bambou, le communisme a aussi été implanté en : Corée du Nord (1945), Viêt-Nam du Nord (1945), Guinée (1958), Cuba (1959), Yémen du Sud (1961), Congo (1968), Guyane (1968), Éthiopie (1974), Guinée-Bissau (1974), Bénin (1974), Cambodge (1975), Viêt-Nam du Sud (1915), Iles du Cap Vert (1975), St Thomas et Prince (1975), Mozambique (1975), Laos (1975), Angola (1975), Grenade (1979) et Nicaragua (1979).

Le gouvernement de gauche qui a accédé au pouvoir en Afghanistan en 1978 a permis l'entrée des troupes russes dans le pays l'année suivante. Néanmoins les guérilleros anti-communistes contrôlent la majeure partie du territoire.

Il faut aussi observer l'existence, plus ou moins déguisée, de gouvernements marxistes au pouvoir dans plusieurs parties du monde.

Le Projet socialiste pour la France des années 80, fondement du programme du PS lors des dernières élections, s'insère clairement dans ce mouvement général (6). En le lisant, on constate que son objectif final est l'égalité complète, de laquelle naîtraient la liberté et la fraternité intégrales (7). Dans le Projet, le but principal du pouvoir consiste à empêcher que la liberté ne créé des inégalités (8). Il est vrai qu'il qualifie d'utopique la suppression complète de l'autorité, mais dans sa logique, l'utopie n’est pas un vide au-delà duquel on plonge dans le chaos et l’anarchisme.

(6) "Il y a eu des moments privilégiés dans notre histoire qui restent gravés dans la mémoire collective: 1789, 1848, la Commune de Paris, plus près de nous le Front populaire, la libération et Mai 1968" (Projet, p. 157).

"De l'explosion de mai 1968, il (le PS) a recueilli une bonne part de l'énergie et des aspirations positives" (Projet, p. 23).

"Cette extrême gauche diffuse (qui est apparue aux yeux de l'opinion surtout après mai 68) a le mérite de poser quelques questions gênantes pour tout le monde, ce qui est utile" ("Documentation Socialiste", nº 5, p. 36).

"Ainsi une sensibilité nouvelle au sein même de la Gauche a vu dans la ‘révolution culturelle' née en Californie au cours des années soixante, et dont une certaine idéologie se réclamant de mai 1968 fut la traduction française, l'avènement d'une ‘critique de Gauche du Progrès’" (Projet, pp. 30-31).

(7) "...l'égalité elle-même (est) une des exigences les plus importantes du mouvement ouvrier" (Projet, p. 127).

"L'idée d'égalité reste une idée neuve et forte" (Projet, pp. 113-114).

"C'est l'inspiration du socialisme français, mois c'est également celle de Marx qui évoque la prise du pouvoir par les producteurs immédiats, l'effacement de la division du travail entre tâches de direction et tâches d'exécution, entre travail manuel et intellectuel et qui, après la Commune de Paris, évoque le dépérissement de l’État" (Quinze thèses, p. 61).

"La remise en cause des hiérarchies de rémunération doit logiquement s'accompagner d'une revalorisation du travail manuel et d'un développement de la rotation des tâches" (Quinze thèses, p. 10).

"Les théoriciens socialistes ont montré comment les inégalités présentées comme 'naturelles' par les classes dirigeantes pourraient être progressivement surmontées" (Quinze thèses, p. l0).

"La division actuelle du travail se trouvera progressivement remise en cause avec tout ce qu'elle implique d'exploitation et d'aliénation... Les valeurs hiérarchiques établies par la société capitaliste concernent tous les secteurs de la vie sociale aussi bien les rapports entre hommes et femmes, jeunes et adultes, enseignants et enseignés, actifs et assistés, etc." (Quinze thèses, p. l0).

"On en finira avec les préjugés : qu'on abolisse barrières et hiérarchies entre les activités physiques, ludiques, sportives... et les autres activités dites intellectuelles” (Projet, p. 302).

(8) "Les sociétés de l'Est peuvent revendiquer à première vue des traits qui les apparentent au 'profil traditionnel socialiste'...

- appropriation juridique de l'essentiel des moyens de production par la collectivité;

- planification de l'économie ;...

Mais en regard, que de traits qui rendent manifeste que les sociétés de l'Est n'ont rien à voir avec le socialisme.

Ces sociétés demeurent des sociétés inégalitaires... La division sociale du travail revêt des formes qui ne sont pas substantiellement différentes de celles qui existent dans les pays capitalistes...

Les dirigeants... exercent au nom du prolétariat une dictature... sur le prolétariat... Non seulement, l’État n'a pas dépéri, mais il est devenu une machine extrêmement efficace de contrôle social et policier...

C'est pourquoi, même si les valeurs affirmées sont celles du socialisme (et ceci n'est d'ailleurs pas sans importance) nous ne pouvons pas considérer les sociétés de l'Est comme des sociétés 'socialistes'.

L'existence de classes sociales différenciées et le maintien d'un appareil d'État coercitif... sont inhérents aux rapports de production eux-mêmes" (Projet, pp. 67-69, 71).

Au contraire, c'est un horizon vers lequel il faut mettre le cap, tous les moyens étant permis pour arriver aussi près (ou aussi peu loin) que possible de l'irréalisable, c'est-à-dire de la suppression de ce mal nécessaire, mais combien antipathique qu'est selon lui l'autorité (9).

(9) "On me dira : vous parlez d'autogestion et vous négligez d'en préciser le fonctionnement; vous l'évoquez comme un objectif abstrait, une route chimérique qui mènerait à un vague paradis terrestre. C'est vrai. Mais, il y a une raison à cela. Nous ne voulons pas bâtir une nouvelle utopie, aussi parfaite sur le papier qu'impossible à réaliser. L'autogestion est une œuvre permanente et jamais achevée... En disant cela, nous restons fidèles à l'esprit du marxisme: Marx n'a jamais prétendu que la fin du capitalisme entraînerait ipso facto la mise en place d'un régime parfait pour l'éternité" (Pierre Mauroy, Héritiers de l'Avenir, Stock, Paris, 1977, pp. 278-219).

"La crise de l'autorité est une des dimensions majeures de la crise du capitalisme avancé. Mai 68 en fut en France la révélation la plus éclatante: le maître d'école, le patron, le père, le mari, le chef, grand ou petit, historique ou aspirant à le devenir, voilà désormais l'ennemi. Tout pouvoir est de plus en plus ressenti comme manipulation... Le détenteur de la plus petite parcelle d'autorité est par cela même contesté sinon déjà discrédité.

Aux yeux du Parti socialiste l’existence de cette crise est positive... A condition qu’elle aille jusqu’à son terme : l’avènement d’une démocratie nouvelle" (Projet, pp. 123-124).

"Une chose est sûre : on ne reviendra pas en arrière, les formes traditionnelles de l’autorité ne seront pas restaurées. Et cela, en particulier, dans la famille : la révolution contraceptive par exemple a créé les conditions d’un nouvel équilibre dans le couple" (Projet, p. 125).

 

2. Le PS, le centre et la droite

Tout le Projet s’explique dans cette perspective globale (10).

(10) "Le Projet socialiste est un projet global et radical de réorganisation de la société même s'il doit être graduel" (Projet, p. l2l).

"Quel que soit le terrain considéré, la démarche autogestionnaire n'a de sens que si elle s'insère dans une perspective globale" (Projet, p. 234).

"Le Projet socialiste est fondamentalement un projet culturel. Deux postulats doivent être pris en considération...: a) La culture est globale: elle... concerne tous les secteurs de l'activité humaine" (Projet, p. 280).

Le Projet accepte, et assume dans son ensemble, l’héritage politique radicalement égalitaire accumulé par la France depuis 1789. Il estime utiles les différentes lois mises en vigueur jusqu’aujourd’hui pour réduire les inégalités sociales et économiques, et de plus, veut mettre la France résolument sur la voie d’une application plus radicale de la trilogie controversée (11).

(11) "Déclarons tout de suite que nous considérons comme nôtre, par droit de succession, l'héritage de la démocratie politique, qui fut inaugurée par les bourgeois de robe du temps du roi Louis XVI" (projet, p. 15).

"La perspective autogestionnaire donne un sens aux luttes pour le contrôle par les travailleurs de leur propre travail...: luttes parfois confuses, multipliées après mai 68, mois qui sont l'écho d'une longue tradition et d'une exigence aussi morale que matérielle, qui se concrétisa naguère dans la Commune.

Enfin, sur elle débouche la tradition spécifiquement française de la responsabilité accrue des citoyens, responsabilité dont les révolutionnaires de 1789-1793 et de 1848 ont été porteurs. Le projet autogestionnaire tel que le PS le conçoit est inséparable du plein épanouissement des libertés individuelles et collectives" (Documentation Socialiste, supplément au nº 2, p. 43).

"Par toutes ces actions, la France renouera avec une histoire, qui explique, pour une large part, son audience dans le monde. Il n'y a pas... de rayonnement de la France qui soit séparable de sa culture et de son passé. La France à l'étranger, c'est d’abord celle de 1789, celle de l'audace... Nous voulons que notre pays, en renouant avec sa tradition porte haut et loin les valeurs de droit de l’homme, de la fraternité..." (Déclaration de politique générale, "Journal Officiel", 9/1/81, p. 55).

 

La ligne de démarcation entre le PS d’un côté, le centre et la droite de l’autre, réside dans le fait que ces dernière – au moins dans leur majorité – acceptent la trilogie, mais non pas dans l’interprétation radicale que lui donne le PS. De sorte qu’au lieu de s’affirmer désireux d’atteindre l’objectif final d’égalité, ils disent ou laissent entrevoir qu’ils désirent s’arrêter à une distance indéterminée de celle-ci (12). 

(12) Nos références générales à la droite ne se rapportent pas à la droite traditionaliste française qui va bien plus loin dans son rejet de la trilogie.

 

3. PS et communisme – Stratégie graduelle

          Le PS se démarque-t-il du communisme en ce qui concerne la stratégie à adopter pour atteindre le but final, c’est-à-dire l’égalité totale ? Oui : a) le PS craint que la mise en vigueur immédiate de l’égalité totale ne provoque des réactions d’une telle ampleur qu’il convient de les éviter ; b) pou ces raisons de circonstance, d’opportunité et de stratégie, le PS considère que l’application des principes communistes doit être graduelle et que les étapes de cette progression doivent être mesurées afin d’éviter les chocs excessifs (13).

(13) "Les socialistes ne retiennent ni les solutions volontaristes du gauchisme, ni la politique des petits pas des réformistes, ni le mythe du rassemblement du populisme... Le gauchisme est cette forme particulière du volontarisme qu'on appelle le maximalisme et qui consiste à vouloir brûler les étapes pour atteindre tout de suite le maximum. Le maximalisme dédaigne et refuse les mesures de transition pour sauter d'emblée dans le socialisme réalisé. Il confond l'objectif final avec les réformes intermédiaires" (Documentation Socialiste, nº 5, pp. 32-33).

"Je refuse d'entrer dans le débat réforme ou révolution, un débat purement formel. Car l'on est réformiste dès que l'on accepte des améliorations temporaires de la situation des travailleurs et l'on est révolutionnaire dès que l'on considère comme nécessaire un changement fondamental de la société. Les syndicats et les grands partis ouvriers français l'ont toujours admis ; ils en font la base de leur politique quotidienne. Ils n'appliquent pas le jeu irresponsable du 'tout ou rien'" (Pierre Mauroy, Héritiers de l'Avenir, Stock, Paris, 1977, p.274).

"La véritable signification de mai 1968... c'est que la transformation de la société exige un programme dont le contenu explore le possible. Changer la société... c'est refuser l'illusion de la révolution qui serait un bouleversement instantané. Il n'y a pas de bouleversement instantané, de solution rapide et définitive. Il faut œuvrer à longue haleine, suivant une ligne que j'appellerais de 'réformisme dur'.

Pour nous, la révolution c'est le changement graduel des structures du système en place" (idem, ibidem, pp. 295-296).

          Une certaine modération initiale des socialistes français pendant la transition vers l’égalité totale n’est donc pas un effet de sympathie, de compassion ou d’indulgence envers un adversaire vaincu ; c’est en fait l’application pratique d’un calcul strictement utilitaire et bien antérieur à la victoire.

          Il convient toutefois de souligner que l’égalitarisme radical du PS français cherche à bénéficier de l’expérience socio-économique, que l’on sait rigoureuse et décevant, de tous les pays où le communisme a été ou est mis en pratique. C’est pour cette raison que le PS évite, en large mesure, les nationalisations si caractéristiques du communisme old style et tâche d’implanter dans presque toutes les entreprises jusqu’à présent privées une autre forme d’égalitarisme démocratique et radical. C’est l’autogestion (14). 

(14) La notion d'autogestion... se situe à la croisée de chemin du socialisme scientifique et du socialisme utopique (pour lequel Marx et Engels, tout en le critiquant, avaient plus que du respect)" (Documentation Socialiste, supplément au numéro 2, p. 42).

"Aujourd'hui... le socialisme peut de plus en plus difficilement s'édifier sur un modèle centralisé. Il doit se fixer d'autres buts. Le projet autogestionnaire, c'est, à partir de la propriété collective des principaux moyens de production et de la planification, l'inversion de la logique qui a jusqu'à présent caractérise l'évolution des sociétés industrielles" (Quinze thèses, p. 6).

"Ce projet autogestionnaire donne un nouveau contenu à la notion d'utilité sociale. Rompant avec une vision trop 'économiste' du socialisme, il ne se limite pas à la sphère de la production. Il s'attaque aux immenses problèmes socioculturels... Le projet autogestionnaire lie sa finalité égalitaire... à l'intervention de mécanismes démocratiques qui permettront de remettre en couse... la division sociale du travail" (Quinze thèses, p. 11).

 

4. Autogestion dans l’entreprise : mini-révolution socio-économique

L'autogestion représente en miniature l'implantation dans les entreprises des principes et de la forme de gouvernement de la Révolution de 1789 (15).

(15) "La démocratie française (présente) est largement manipulée... Elle s'arrête à la porte de l'entreprise" (Projet, p. 231).

"Nous sommes résolus à promouvoir un progrès décisif de la démocratie économique et sociale. Citoyens dans leurs communes, les Français doivent l'être aussi sur leur lieu de travail, les employés ne doivent ni redouter ni contrecarrer cette évolution souhaitable et nécessaire" (Déclaration de politique générale, Journal Officiel, 9/7 /81, p. 49).

"Dans nos sociétés occidentales, la démocratie est à peu prés tolérée par tout, Sauf dans l'entreprise. Le patron, qu'il soit un industriel indépendant ou un haut fonctionnaire de l'État, garde en main l'essentiel des pouvoirs. Au détriment de tous... L'entreprise est une monarchie à structure pyramidale. A chaque niveau, le représentant de la hiérarchie est tout puissant : ses décisions sont sans appel. Le travailleur de base devient un homme sans pouvoir, qui n'a pas le droit à la parole ni à l'initiative" (Pierre Mauroy, Héritiers de l'Avenir, Stock, Paris, 1977, p. 276).

Tout le Projet semble voir dans les relations patron-salarié une image résiduelle des relations roi-peuple. Il veut "détrôner" le "roi", abolir sa "souveraineté" sur l'entreprise et transférer tout le commandement au niveau de la "plèbe" de l'entreprise, c'est-à-dire des salariés et surtout des travailleurs manuels. La Révolution a usé de divers moyens pour éviter que ne se reconstituent, sur le plan politique, différents types d'aristocraties. De manière semblable, le Projet s'efforce d'éviter que les directeurs et les techniciens ne survivent sous forme d'aristocraties dans l'entreprise « républicanisée ». Le propriétaire individuel disparaît déjà dans les « grandes » entreprises et le concept traditionnel de l'entreprise est élargi. Non seulement les travailleurs, mais aussi les délégués d'organisations de consommateurs, de fournisseurs, etc., ont de véritables droits sur l'entreprise et sur ce qu'elle produit. Ce pouvoir appartient finalement à la société tout entière représentée par les corps sociaux ou les groupes proches de l'entreprise (voir Tableau IV - Modèle d'entreprise autogestionnaire proposé par les socialistes).

A la manière d'une république démocratique, chaque entreprise, dominée en instance suprême par le suffrage universel des travailleurs, tiendra des assemblées d'ouvriers pour obtenir des informations sur tout ce qui concerne l'entreprise, organisera des élections de "représentants" c'est-à-dire de "députés" qui constitueront un comité directeur (plus ou moins un Soviet) ; celui-ci, à son tour, aura comme simples exécutants de sa volonté les employés-directeurs.

Ce régime se définit lui-même comme autogestionnaire et affirme être le développement socio-économique de ce qu'est la souveraineté populaire sur le plan politique. Une république serait une nation politiquement autogestionnaire et le régime autogestionnaire serait la "républicanisation" de la structure socio-économique (16), c'est-à-dire l'implantation d'un régime d'entreprise dans lequel la direction des spécialistes et des techniciens est soumise à des assemblées et à des organes où les membres du corps social de moindre développement intellectuel sont majoritaires.

(16) Démocratie économique et politique sont indissociables, leur développement conjoint implique que chaque travailleur, chaque citoyen ait, à tous les niveaux, la possibilité et les moyens d'être partie prenante à l'élaboration des décisions, au choix des moyens, au contrôle de l’exécution et des résultats" (Programme commun - Propositions pour l'actualisation, p. 50).

"Démocratie économique et sociale font corps avec la démocratie politique" (Documentation Socialiste, supplément au nº 2, avril 1981, p. 145).

"Les socialistes veulent que les Français cessent d'être sous tutelle. La décentralisation sera ou cœur de l'expérience du gouvernement de la gauche qui, dans les trois mois suivant son accession ou pouvoir, procédera à la réforme la plus significative de ces temps incertains en rendant le pouvoir aux citoyens. La République se sera enfin libérée de la monarchie" (Pierre Mauroy, Héritiers de l'Avenir, Stock, Paris, 1977, p. 295).

 

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Tableau IV

Modèle d’entreprise autogestionnaire proposé par les socialistes

I – Esquisse du projet autogestionnaire

• L’objet principal du projet autogestionnaire est :

a) Que « les travailleurs organisent eux-mêmes le contrôle de la production et la répartition des fruits de leur travail » ;

b) « et, plus généralement, que les citoyens décident dans tous les domaines de tout ce qui concerne leur vie » (Documentation Socialiste, n. 5, p. 57).

• Le projet autogestionnaire repose sur trois principes de base :

a) La « socialisation des principaux moyens de productions » ;

b) « la planification démocratique » ;

c) « la transformation de l’Etat » (Quinze thèses, p. 11) 

II – Socialisation des moyens de production

• Le Projet socialiste revendique la « nationalisation » de certains types d’entreprises qui s’intègreront graduellement dans le régime autogestionnaire.

• Pour y parvenir, « plusieurs options sont concevables » :

a) la gestion tripartite : « représentants élus des travailleurs, représentants de l’Etat (ou des régions), représentants de certaines catégories d’usagers » ;

b) « un conseil de gestion entièrement élu par les travailleurs de l’entreprise » ;

c) « la coexistence d’un conseil de gestion élu par les travailleurs, et d’un conseil de surveillance où siègeraient les représentants de l’Etat …. et de certaines catégories d’usagers » (Quinze thèses, p. 12).

• Le PS soutient qu’une « nationalisation conçue de la sorte n’est pas synonyme « d’étatisation » (cfr. Quinze thèses, p. 12), et qu’elle n’aboutit pas à un « collectivisme » qui écrase la liberté humaine, car « travailleurs et usagers sont …. appelés à siéger au conseil des entreprises nationalisées », de façon à ce que « les sociétés nationales disposeront …. De toute l’autonomie de gestion dont elles auront besoin » (PIERRE MAUROY, Débats sur la Déclaration de politique générale, « Journal Officiel », 10/7/81). 

III – Planification démocratique

• D’après le PS, la société autogestionnaire n’entraînera pas une perte de liberté mais plutôt le contraire, car elle envisage la participation de tous à l’élaboration de la planification dans toutes les sphères de la vie sociale :

- « Ce qui rend compatible l’autogestion avec la planification, c’est une procédure d’élaboration démocratique et décentralisée qui suppose une vaste participation populaire avant le choix définitif des instances politiques élues au suffrage universel » (Quinze thèses, p. 16).

- « La nouvelle société ne vaudra que par la rigueur de son principe : nous tendons à réaliser l’unanimité : nous ne prétendons pas en partir…. » (Projet, p. 139).

• Le but de cette entreprise ne sera jamais ni le goût du profit, ni les « réflexes égoïstes » des travailleurs, mais plutôt les « objectifs sociaux » délimités par la « planification démocratique » :

- « La recherche du profit ne doit plus décider souverainement de l’investissement des biens. Elle doit céder le pas à la rationalité des citoyens affirmant démocratiquement leurs besoins, à travers la planification et le marché » (Projet, p. 172).

- « L’autogestion n’est pas …. une simple méthode de gestion destinée à substituer le travail au capital comme agent de direction des entreprises et à utiliser les réflexes égoïstes des unités de base et de leurs travailleurs, en perpétuant les mécanismes et les ressorts économiques du capitalisme. Les unités de productions doivent tenir compte des objectifs sociaux fixés par les plans nationaux, régionaux et locaux » (Quinze thèses, p. 15).

• Au moyen de la « planification démocratique », les travailleurs choisiront leur mode de développement : comment, par qui et pour qui produire :

- « Produire, travailler, oui ! mais pour qui ? pourquoi et comment ? C’est du type de réponse que les travailleurs obtiendront à ces questions ou plutôt qu’ils y apporteront que dépend le succès de l’entreprise. Avant toute autre chose, le modèle de développement doit devenir l’affaire des travailleurs eux-mêmes » (Projet, p. 176).

• Les consommateurs donneront aussi leurs opinions et signaleront leurs besoins :

- « L’adaptation de la production aux désirs des consommateurs …. se fera …. à partir d’un dialogue organisé et constant entre les producteurs indiquant leurs exigences de qualité et de prix » (Projet, p. 177).

• Le Plan qui résulte de ce vaste dialogue démocratique est l’élément principal qui règle l’économie :

- « Les socialistes .... soulignent que des investissements qui ne règlent sur les prix et les profits à un moment donné amplifient les à-coups de la conjoncture et sont mal adaptés à la préparation de l’avenir. C’est donc le ‘plan’ qui doit décider, en fonction de l’intérêt général et des prévisions à terme, l’orientation des grands investissements …. laissant au marché l’ajustement ponctuel entre l’offre et la demande, le ‘plan’ est aux yeux des socialistes le régulateur global de l’économie » (Projet, pp. 185-186).

• Que reste-t-il de la libre entreprise ? Le Projet répond :

- « Bref, on planifie les orientations, mais non pas le détail de l’exécution. Là où s’arrête la démarche du plan, l’initiative des agents économiques industriels, l’esprit d’entreprise reprennent leurs droits, le rôle du marché, son utilité » (Projet, p. 188). 

IV – La transformation de l’Etat

• Une fois de plus on retrouve dans le projet autogestionnaire le mythe marxiste de la disparition de l’état en tant qu’une expression d’espoir pour qu’ « apparaissent de nouvelles formes de pouvoir », de façon à ce que « soient transformées la fonction et la nature de cet Etat » (Quinze thèses, p. 19).

• Pour réaliser cela, il faut envisager « la réduction des compétences du pouvoir central » :

- « Certains secteurs qui dépendent aujourd’hui directement du gouvernement …. devront être transférées à des services ou à des offices nationaux autonomes. Mais le maximum des responsabilités devra revenir aux collectivités locales, départementales et régionales » (Quinze thèses, p. 22).

• Les « organisations de quartiers » recevront même quelques-uns des pouvoirs de l’Etat, qui du coup s’émietra (Quinze thèses, p. 22). 

V – Fonctionnement anarchique

• Il n’y aura pas de hiérarchie ou de véritable autorité dans l’entreprise autogestionnaire :

- « Il doit être bien clair que la nouvelle légitimité est fondée sur un pouvoir délégué et responsable de ses actes, devant les travailleurs » ;

- « Le rapport mandants-mandataires peut recréer, au moins partiellement, le rapport dirigeants-dirigés. Les Yougoslaves en ont fait ouvertement la constatation après plus de 20 années d’expérience …. C’est pourquoi le contrôle doit s’exercer d’une manière autonome à travers les comités d’entreprises » (Quinze thèses, p. 13).

• Pour éviter le retour des hiérarchies, il y a quelques mesures pratiques que l’on peut prendre :

- « rotations des tâches » ;

- « révocabilité des responsables élus » (Quinze thèses, p. 10).

• Dans une entreprise autogestionnaire, tout le monde prend part aux décisions et les rapports vont à tout le monde :

- « Pour la première fois, un débat sur la politique générale de l’entreprise, ses investissements, son organisation, ses pratiques sociales, débat sanctionné par la désignation de représentants ayant pouvoir de décision, aura lieu devant l’ensemble des salariés » (Projet, p. 239).

- « Il faut peser le principe du libre accès de représentants des travailleurs et des experts dont ils pourraient se faire assister, à toutes les sources d’information existant dans l’entreprise…. Le mur du secret n’est en vérité que le rempart du pouvoir. Il doit être abattu » (Projet, pp. 241-242).

Comme on peut le voir, ces propositions font que les spécialistes et les techniciens se verront totalement subordonnés à des assemblées et à des comités ou conseils dont la majorité des membres vient en principe du groupe social de moindre développement intellectuel. 

VI – Stratégie graduelle

• L’implantation d’une société autogestionnaire ne se fera pas d’un trait, d’un moment à l’autre. Le PS adoptera une stratégie graduelle :

- « Pour mener à bien cette tâche redoutable et grandiose [de transformer la société], il [le PS] ne saurait prêter l’oreille à ceux qui prônent la libération sauvage de tous les désirs : ‘tout, tout de suite, tout le temps et partout : la transe permanente et généralisée et encore moins, bien entendu, à ceux qui ne flattent ces pulsions que pour mieux détourner les énergies et les volontés des objectifs de la transformation sociale » (Projet, p. 33).

- « A nous d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » (Déclaration de politique générale, Journal Officiel, 9/7/81, p. 46).

- « La rigueur, bien sûr, appelle la prudence. Ces réformes seront lentes, mais notre détermination est grande » (ibidem, p. 48). 

VII – La période de transition au socialisme

• La stratégie graduelle suppose une « première période de transition au socialisme » (Quinze thèses, p. 14), pendant laquelle les travailleurs prendront petit à petit le contrôle de ce qui reste encore dans le domaine privé.

• Ceci s’accomplira par des graduelles augmentations du pouvoir et de l’importance des « comités d’entreprise » :

- « Les comités …. seront obligatoirement consultés avant toute mesure concernant l’embauche, le licenciement, l’affectation aux postes de travail, les mutations, la classification des travailleurs, la détermination des cadences et plus généralement l’ensemble des conditions de travail » (Programme commun – Propositions pour l’actualisation, p. 53).

- « Les comités d’entreprise …. recevront une information complète sur les principaux aspects et les résultats de la gestion dans les entreprises » (ibidem, p. 53).

-  Les comités d’entreprise seront informés au préalable et consultés sur tous les projets économiques et financiers sur les programmes d’investissement et de financement, les plans de l’entreprise, la politique de rémunération, de formation et de promotion du personnel » (ibidem, p. 53).

- « Pour soumettre ces informations à la discussion de l’ensemble des travailleurs, les comités d’entreprise …. pourront notamment réunir le personnel sur le lieu de travail …. une heure par mois prise sur le temps de travail » (ibidem, p. 53).

• Pendant cette « période de transition au socialisme », l’Etat interviendra pour assurer, à l’aide de lois et de règlements, la continuité du processus :

- « C’est là pour les socialistes une responsabilité essentielle de l’Etat : intervenir par la loi pour combattre tout ce qui, dans les relations juridiques de travail, affaiblit la sécurité de l’emploi individuel comme l’organisation collective des travailleurs dans l’entreprise » (Projet, p. 227).

• A ce stade de développement, l’Etat imposera une série de mesures supposées au bénéfice des travailleurs, telles que :

- « Contrat à durée indéterminée comme base de relations normales de travail » (Projet, p. 227).

- Interdiction « des entreprises de travail temporaire » (Projet, p. 227).

- « Unité de la collectivité de travail …. face aux détenteurs du capital » (Projet, p. 227).

- Interdiction de « toute fermeture, partielle ou totale d’une entreprise par l’employeur comme moyen de pression ou de sanction » (Programme commun – Propositions pour l’actualisation, pp. 52-53).

- Interdiction de « mémoriser, dans un fichier …. des renseignements des données ou des appréciations, de caractère non professionnel, susceptibles de nuire au travailleur » (ibidem, p. 53).

- Droit de veto sur les « décisions d’embauche et de licenciement, celles concernant l’organisation du travail, le plan de formation de l’entreprise » (Projet, p. 242).

- Droit au « contrôle sur toutes les charges de l’entreprise liées aux salaires, cotisations sociales, budget, formation de l’entreprise » (Projet, p. 242).

- Les innovations technologiques ne doivent pas résulter en la démission du travailleur mais en la diminution de la journée de travail : « Le progrès technique ne s’imposera en France qu’avec les travailleurs et non contre eux. Ils devront en être les bénéficiaires et non les victimes » (Projet, p. 174).

- « Le licenciement cessera d’être un droit discrétionnaire de l’employeur. A cet effet, la loi rétablira la nécessité de la demande d’autorisation préalable à l’Inspecteur du travail dans tous les cas, sous peine de sanctions pénales et civiles » (Programme commun – Propositions pour l’actualisation, p. 51). 

VIII – Objectif final : « liberté, égalité, fraternité »

• La société autogestionnaire est une réalisation exacerbée de la devise de la Révolution Française « liberté, égalité, fraternité » :

- « Il n’est de liberté que celle du socialisme » (Projet, p. 10).

- « L’autogestion étendue à l’ensemble de la société signifie la fin de l’exploitation, la disparition des classes antagonistes, la réalité de la démocratie » (Documentation Socialiste, n. 5 p. 57).

- « L’autogestion c’est la démocratie généralisée à tous les niveaux, c’est la démocratie réalisée par et dans le socialisme » (ibidem, p. 57). 

Questionnons ici un entrepreneur ou un cadre occupant un poste de haute, moyenne ou moindre responsabilité : pensez-vous qu’une entreprise conçue de la sorte soit réalisable ? La même question peut être posée à n’importe quel ouvrier sensé et ayant de l’expérience. Pour répondre à cette question, songez à l’entreprise qui vous appartient ou auprès de laquelle vous travaillez : fonctionnerait-elle, organisée dans les jours à suivre, selon ce schéma ? Evidemment non !...

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5. L’autogestion doit s’appliquer à toute la société et à l’homme tout entier

Une telle "républicanisation" doit affecter toute la structure sociale et non seulement l'entreprise. En réalité, selon le Projet, la mise en œuvre de l'autogestion suppose une transformation profonde de l'homme et l'implantation des conséquences les plus radicales de la trilogie dans tous les secteurs qui, outre l'entreprise, constituent la société : la famille, la culture, l’enseignement et même les loisirs (17).

(17) "Pour que l'homme soit libéré des aliénations que lui impose le capitalisme, pour qu'il cesse de subir la condition d'objet... il faut qu'il accède à la responsabilité dons les entreprises, dans les universités, comme dans les collectivités à tous les niveaux" (Statuts de Parti, Déclaration de Principes, Documentation Socialiste, supplément au nº 2, avril 1981, p.48).

"Une stratégie globale et décentralisée de l'action éducative et culturelle... est une dimension décisive de notre combat pour l'autogestion. C'est là une des premières conditions pour que le changement des mentalités puisse se produire... (L'autogestion) entraînera une modification des conceptions actuelles de la famille et du rôle des femmes" (Quinze thèses, p. 2l).

 

6. Pourquoi la réforme de l’entreprise exige-t-elle la réforme de l’homme ?

La réforme de l'homme : à ce sujet, le Projet se heurte exactement aux mêmes difficultés que le communisme étatique.

Les principes économiques en vigueur en Occident, même s'ils ont donné lieu à des abus, émanent de la nature humaine elle-même. En bref, ils se caractérisent par l'affirmation de la légitimité de la propriété individuelle, ainsi que de l’initiative et du profit privés.

Les socialistes proposent cependant d'implanter un autre système économique, orienté vers d'autres objectifs et à partir d'autres stimulants (cf. Projet, p. l73). Au concept qu'ils qualifient de profit réservé à quelques-uns, doit se substituer peu à peu le critère d'utilité sociale, déterminée par la volonté souveraine du peuple ; les socialistes, comme les communistes, affirment également que l'individu existe pour la société et doit produire directement, non pour son propre bien, mais pour celui de la collectivité à laquelle il appartient.

Le meilleur stimulant au travail disparaît ainsi ; la production diminue forcément ; la paresse et la pauvreté se généralisent à travers toute la société.

En effet, poussé par la raison et par un instinct constant, puissant et fécond, l'homme cherche à pourvoir avant tout à ses besoins personnels et à ceux de sa famille. Quand il s'agit de sa propre survie, l'intelligence humaine lutte plus facilement contre ses propres limitations et croit en acuité et en agilité. La volonté triomphe plus facilement de la paresse et fait face avec plus de vigueur aux obstacles et aux combats. En somme, le travailleur atteint le niveau de productivité quantitative et qualitative qui correspond à ce qui est nécessaire et ce qui convient à la société. C'est à partir de cet élan initial, chargé d'amour de soi-même et des siens, que l'amour du prochain inclut en dernière étape le corps social tout entier. De cette manière, loin de profiter seulement à son petit groupe familial, son activité prend une amplitude proportionnée à la société.

En abolissant ce premier stimulant naturel et puissant au travail, et en instaurant au contraire un régime salarial chaque fois plus égalitaire dans lequel les plus capables ne voient pas leurs services récompensés de manière proportionnelle, le socialisme décourage le travailleur.

La force de travail de l'ensemble de la nation diminue ainsi, s'affaiblit et devient insuffisante, comme c'est le cas de manière évidente en Russie et dans les pays satellites - en Yougoslavie de manière peut-être moins évidente - et comme ce sera le cas  dans une France autogestionnaire (18).

(18) Cet effet psychologique négatif est intrinsèque à l'autogestion. Cependant cela ne veut pas dire que dans toute et chaque entreprise autogestionnaire, considérée individuellement, il mène à l'échec. Dans certains cas il se peut que cet effet d'autogestion soit atténué ou contrebalancé par certains facteurs et circonstances exceptionnelles de la nature psychologique ou autre. Mais de tels cas isolé ne sont nullement suffisants pour forme une base stable à l’ensemble des entreprises de toutes une nation.

 

Il est important d'accentuer ici l'effet de stimulation provoqué par l'inégalité et l'effet déprimant de l'égalité générale ou d'inégalités microscopiques.

Dans une société égalitaire, il est inévitable que le plafond de salaire soit identique pour tous, ou du moins peu différencié, surtout lorsque l'on compare ces différences avec celles des plafonds de salaire du régime socio-économique en vigueur en Occident.

Il convient de noter que, par la nature des choses, chaque être humain a une capacité de travail différente et que la productivité générale d'une nation suppose Ia stimulation de toutes ces capacités notamment de celles des surdoués.

Dans le régime socio-économique en vigueur en Occident, les horizons des ambitions légitimes des surdoués sont illimités. Une fois mis en mouvement, ils stimulent à leur tour de proche en proche toute une hiérarchie de capacités moins développées, aux possibilités de succès proportionnées. En limitant l'essor des surdoués ou des doués, on limite également l'élan de production du travail. D'ailleurs, là ou les surdoués effectuent un travail inférieur à leur capacité, les doués se découragent à leur tour et le niveau de production baisse dans son ensemble.

L'égalitarisme conduit ainsi nécessairement à une production inférieure à la somme des capacités de travail de la nation, d'autant plus inférieure que l'égalitarisme est radical.

Or, il ne semble pas que le plafond consenti par le Projet satisfasse beaucoup plus que les modestes aspirations des moyens.

 

7. La société autogestionnaire et la famille

Il semble que, pour le Projet, la famille, parce qu'elle est l'objet immédiat de l'amour de l'homme et un échelon intermédiaire entre celui-ci et la société, ne multiplie pas, mais fait obstacle au contraire, au rayonnement de l'amour de l’homme à tout le corps social. Pour cette raison, sans l'interdire (ce qui serait choquant et peu conforme au principe de progression graduelle), il déclare de manière voilée que la famille n'est pas nécessaire au bien commun et la met, au même niveau que l'union libre et l'union homosexuelle (19). Le Projet sépare la fonction de procréation, intrinsèque à la famille, de son but naturel, et ne la considère que comme la réalisation de l'individu. La stérilité de cette fonction est permise et facilitée de toutes les manières (20). L'égalité entre l'homme et la femme doit être la plus complète possible, non seulement pour ce qui est de l'accès aux professions, mais également dans l'accomplissement des tâches ménagères (21).

(19) "Si dans les possibilités l’épanouissement de la vie personnelle, le Parti socialiste considère que la famille joue un rôle très important, il reconnaît bien sûr qu'existent d'autres formes de vie privée (célibat, union libre, paternité ou maternité célibataires, communautés). Il se prononce enfin contre la répression ou les discriminations qui frappent les homosexuels. Leurs droits et leur liberté doivent être respectés.

"Il ne lui appartient pas de légiférer sur la manière dont chacun entend gouverner sa vie" (Projet, pp. 151-152).

Le gouvernement socialiste actuel vient de reconnaître d'une manière implicite mais choquante l'équivalence radicale entre le statut du mariage et celui d'autres modes de relations sexuelles. Bien avant l'ouverture de la session législative il avait déjà commencé à tenir les promesses faites aux groupes homosexuels qui lui avaient apporté leur soutien électoral :

a) Le Ministère de la santé a décidé que la France ne suivra plus la classification donnée à l'homosexualité par l'Organisation Mondiale de la Santé : celle de maladie mentale (Le Monde, 28-29 juin 1981).

b) A la demande des homosexuels, le Ministère de l'Intérieur a donné des ordres qui élimineront la branche de la Police de Paris appelée "groupes de répression" des homosexuels (faite d'inspecteurs chargés de contrôler les établissements homosexuels, et de leur faire respecter les heures de fermeture) et les fichiers (dont l'existence est d'ailleurs catégoriquement niée par la Préfecture de Police) (Le Monde, 28-29 juin l98l).

(20) "La faible diffusion des méthodes contraceptives, les conditions restrictives de l'interruption volontaire de grossesse et la mauvaise application de la loi veil (sur l'avortement) font que la majorité des femmes n'ont ni la maîtrise de leur sexualité, ni celle de leur maternité... Mettre un terme à cette situation signifie l'éducation sexuelle dès l'école et le libre accès à la contraception comme sa gratuité" (Projet, p. 241).

(21) Le Projet affirme, citant un discours de Mitterrand à Marseille, en mai 1919 : "On ne saurait... être socialiste sans être féministe" (p. 45).

Mais le féminisme du Projet s'oppose à signaler et à louer les qualités inhérentes aux femmes; ce qui reviendrait à considérer "cachée sous un discours moderniste et prétendument libéral... la vieille notion de 'féminité' qui insiste sur les aptitudes particulières des femmes, la force de leur instinct, la richesse de leur monde intérieur... Bref, on retrouve l'idée d'une 'nature féminine' différente de celle des hommes et qui, toujours, a servi à justifier la mise à l'écart des femmes et leur domination" (pp. 50-5 l). Le PS nie donc cette différence, si naturelle, entre l'homme et la femme.

C'est pourquoi, selon le PS, "l'école doit encourager les deux sexes à avoir les mêmes ambitions en matière d'études et de carrières professionnelles. Une véritable mixité de l'enseignement est nécessaire afin que l'on cesse de voir des sections pratiques par exemple où les filles seules sont reléguées dans l'apprentissage de la couture ou du secrétariat alors que les garçons sont majoritaires dans les sections techniques, industrielles et commerciales. L'objectif doit être que toutes les options soient mixtes" (Projet, p. 249).

Le Projet ajoute enfin que la participation à ces tâches familiales "doit commencer très tôt parce que très tôt l'enfant les comprend et peut y participer. Il faut que cette participation obtenue étant jeune ne diminue pas pour les garçons et n'augmente pas pour les filles à l'âge adulte. Et tout naturellement cette participation se maintiendra durant la vieillesse" (Projet, p. 307).

 

La famille du socialisme autogestionnaire sera instable et stérile; elle perdra son identité et se confondra avec n'importe quelle autre union, abattant ainsi un des remparts qui soutiennent la personnalité de chaque individu. Comme on le verra plus loin, le Projet confie dans sa totalité et dès les premières années la tâche éducative, si typiquement familiale, à une école unique, de préférence laïque et socialiste.

Ainsi isolé et séparé de la famille, elle même réduite au seul couple, l’homme a pour tout environnement l’entreprise autogestionnaire, qui se trouve alors dans les conditions les plus favorables pour l’absorber tout entier, à la manière socialiste.

 

8. Les loisirs

Pour mettre en pratique cette absorption – et parce qu’il est aussi totalitaire en faveur de la société autogestionnaire que le communisme l’est au profit du parti – le PS s’efforce aussi d’organiser et d’exploiter les loisirs.

En effet, le Projet réglemente également ce domaine qui, sans cela, deviendrait le dernière refuge de liberté de l’individu dans le monde autogestionnaire, puisque les loisirs donnent à l’homme des possibilités particulières de se connaître soi-même, de s’exprimer et d’établir des relations et des amitiés.

Toujours graduel, le PS affirme reconnaître le droit de l’homme aux loisirs. Le lecteur moyen, impressionné par cette affirmation, ne se rend pas compte que le PS – fondamentalement organisateur et dirigiste en ce qui concerne le travail – professe une nouvelle notion des loisirs... qui efface la ligne de démarcation entre loisir et travail, et établit la planification simultanée de l'un et de l'autre. Le PS ne sympathise pas avec les loisirs individuels et qui favorisent le développement de la personnalité. Il préfère le loisir collectif, et les loisirs domestiques eux-mêmes sont organisés par le PS afin de mieux manipuler l'être humain, le préparant ainsi aux besognes ardues et stériles de la vie autogestionnaire (22). 

(22) "Dans une vie, il n'y a pas seulement le travail.

La création du Ministère du temps libre correspond à une gronde ambition : faire en sorte que le temps libre soit le temps de vivre, le temps libéré. La société du temps libre doit être une société de culture...

L'épanouissement culturel sers une des taches des collectivités locales" (Pierre Mauroy, Débats sur la Déclaration de politique générale, Journal Officiel, l0/7/81, pp. 82-83).

"La séparation actuelle du travail et du temps libre se trouvera elle-même remise en cause... L'entreprise socialiste évaluera ainsi vers des for mes de vie de plus en plus communautaires en son sein... aussi bien qu'à sa périphérie (services sociaux, loisir, culture, formation, etc.)" (Projet, p. 158).

"Citons par exemple la possibilité de l'utilisation en commun de certains équipements ménagers ou de certains équipements de loisirs... De même, un effort systématique sera entrepris pour transformer et animer le cadre urbain, le rendre plus communautaire et améliorer les conditions de logement collectif. Un effort considérable sera réalisé pour rendre ce dernier aussi attrayant... que le logement individuel de type pavillonnaire, grand consommateur d'espace et d'énergie" (Projet, p. 177).

"Le mouvement associatif sera le support privilégié de la nouvelle citoyenneté, en particulier pour la mise en voleur du temps libre... Il nous appartiendra en particulier de gommer les ségrégations sociales dans le domaine du temps libre. Nous nous y emploierons... au développement des formes sociales du loisir et du tourisme" (Déclaration de politique générale, Journal Officiel, 9/7/81, p. 51).

"Vivre autrement, c'est donc :

- d'abord modifier sérieusement le contenu du travail pour qu'à terme la distinction entre travail et loisir n'ait plus la même signification qu'aujourd'hui. Mais s'il est vrai que cet objectif ne peut être atteint, d'abord et avant tout,que par la transformation du travail, les socialistes doivent aussi proposer parallèlement une transformation du loisir ;...

Mais il fout aller plus à fond vers les autres conceptions du loisir :

- Loisir de fin de journée après le travail, à proximité du domicile ou au domicile lui-même permettant de mettre en place progressivement de nouveaux rythmes de vie, de changer la vie quotidienne et qui nécessite par exemple le développement d'équipements collectifs légers' à plusieurs usages. Ce loisir-là est l’un des moyens d’avoir une vie familiale, culturelle, militante ;

- loisir de fin de semaine...

- loisir de la retraite...

Nul doute que le contenu du temps libre sera profondément modifié par les propositions qui sont faites par ailleurs : école, formation continue, famille, décentralisation, vie associative, sport, information, santé, consommation. Elles permettront progressivement de faire de ce temps libre un temps autogéré. Il doit y avoir place en tout état de couse, dans le Projet socialiste, pour un temps libre conçu comme celui qui échappe aux contraintes et permet à chacun de s’épanouir, soit par l’effort  individuel, soit par sa participation à des activités collectives" (Projet, pp. 307-309).

"... Une conception globale de la vie sociale, où le temps éducatif, le temps de travail, te temps de loisir ne sont plus considérés comme des moments isolés de l'existence individuelle et collective, mais comme des éléments d'un ensemble cohérent" (Projet, p. 289). Bien entendu, cette "cohérence" entre tous ces éléments ne sera point celle du pauvre ouvrier "autogéré" mais celle du PS.

C'est là le "paradis" de liberté et de démocratie du régime socialiste autogestionnaire.

 

9. La maîtrise du cadre de vie

Dans la société autogestionnaire, l’entreprise organise le travail-loisir de manière totalitaire. Qui organisera le loisir-travail ? Sur ce terrain s'imposent alors des organismes dirigistes, puisque le PS tâche d'anémier et finalement de détruire la famille, champ naturel, par excellence, des véritables loisirs. Le PS stimule ainsi la création d'associations de quartier et autres, desquelles il semble attendre une action décisive pour ce qui est de la distribution des logements, de la redistribution non ségrégationniste des quartiers existants ou à construire, et même de l’aménagement intérieur des habitations.

Ainsi, les organismes associés à l'entreprise absorberont au profit du plan socialiste les quelques instants, les restes d'énergie et de vie que l'activité de l'entreprise n'aura pas déjà absorbés.

La victime de cette absorption est l'individu, dirigé et "encadré" dans des "cadres de vie" autogestionnaires et complètement englouti par l'ensemble entreprise/associations parallèles (23).

(23) "Le 'cadre de vie' fait partie de ces concepts nouveaux apparus dans les années 60, éclos en mai 1968... Ce vaste concept qui englobe tant de choses, de l'habitat aux transports en passant par l'urbanisme et l'architecture jusqu'au temps libre trop souvent oublié, n'a jarnais été défini dons sa globalité...

Le cadre de vie peut être isolé, coupé des réalités économiques et sociales. Quel cadre, pour quelle vie ? On sent bien que la réponse est politique et globale : c'est en changeant la vie, au travail notamment, qu'on changera le cadre de vie" (François Mitterrand, dans la préface du livre de Jean Glavany et Philippe

Martin, Changer le cadre de vie, Club Socialiste du Livre, paris, 1981, p. 7).

" Il faut mettre fin à l'une des ségrégations les plus inadmissibles ; les villes... deviennent de plus en plus les villes des plus riches alors que les banlieues deviennent les banlieues des plus pauvres. Il faut faire en sorte que la ville soit, d'une façon exemplaire, l'endroit où, précisément, se côtoient les différents milieux sociaux" (Pierre Mauroy, Débats sur la Déclaration de politique générale, Journal Officiel, 10/7/81, p. 81).

"Rendre les Français maîtres à nouveau de leur vie quotidienne c'est aussi les associer à l'édification et à la gestion du cadre de vie... Les collectivités locales maîtriseront les marchés fonciers, ce qui signifie la fin de la spéculation, et elles pourront conduire à un urbanisme volontaire... Nous rendrons aux habitants les pleins pouvoirs sur leur cadre de vie... L'habitat et le cadre de vie seront terres d'élection de la nouvelle citoyenneté" (Déclaration de politique générale, Journal Officiel, 9/7/81, p. 5l).

 

Le schéma d'argumentation par lequel le PS cherche à justifier cette gigantesque absorption est toujours le même : a) proclamation d'un droit individuel ; b) affirmation d'une fonction sociale de ce droit ; c) planification dirigiste de l'exercice de ce droit, sous prétexte qu’il doit remplir cette fonction sociale ; d) absorption corollaire du droit par la loi organisatrice.

 

10. L’éducation

Il reste encore à considérer la formation socialiste et autogestionnaire de l’enfance et de la jeunesse.

Selon le Projet, l’éducation commence au plus tard à deux ans, âge auquel il est absolument désirable que l’enfant soit confié à une école de niveau pré-primaire ou à une école maternelle. En même temps, la société doit être appareillée pour accueillir, en toute normalité, des enfants que leurs mères préféreraient confier à l’éducation socialiste à n’importe quel moment, même nouveau-nés (24).

(24) “Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour que l’accès de tous les enfants de deux à six ans à l’école maternelle soit possible. ...

“Il expérimentera l’organisation de maisons de l’enfance accueillant les enfants de la naissance jusqu’à six ans” (Programme Commun – Propositions pour l’actualisation, p. 30).

“Les maisons pour la petite enfance ... seront pièces maîtresses du dispositif initial. C’est à ce stade que commence la lutte contre les inégalités et la ségrégation sociale” (Projet, p. 287).

La lutte pour l’égalité commence à la maternelle” (Projet, p. 311).

“Mais comment donc réveiller le sens démocratique aujourd’hui apprentissage de l’autogestion” (Projet, p. 132).

 

Comme tout ceci correspond bien à la stérilité planifiée de la famille autogestionnaire!

Dans une période de transition « graduelle », certaines écoles pourront encore continuer sous la forme d’enseignement privés. Elles seront cependant rattachées  à la machine de l’enseignement d’État qui couvrira toutes les étapes, depuis le préprimaire jusqu’au niveau universitaire et pos-universitaire. Ses directeurs, professeurs et fonctionnaires auront ainsi, dans les écoles publiques ou privées, un rôle analogue, quoique non identique, à celui des directeurs et des techniciens de l’entreprise autogestionnaire.

Selon le principe de la « planification démocratique », les parents d’élèves participeront également, de même que ceux qui ont un rôle dans le processus d’éducation. La « plèbe » de l’école, c’est-à-dire les élèves et étudiants, aura dans le régime autogestionnaire – dans toute la mesure de l’imaginable, et même de l’inimaginable – des droits analogues à ceux des travailleurs de l’entreprise autogestionnaire.(25)

(25) “La gestion tripartite (parents et enfants, personnels, collectivités publiques) doit libérer les initiatives, permettre, après libre discussion, de définir et évaluer en commun les objectifs et la responsabilité qui en découle pour chacun. … L’esprit de responsabilité exige … la disparition du contrôle hiérarchique préalable” (Projet, p. 286).

“Les libertés élémentaires dans les institutions scolaires et universitaires et dans l’armée font également parti des exigences du Projet socialiste: liberté d’expression et de réunion dans les collèges, lycées et universités; foyers socio-éducatifs gérés directement par les lycées et collégiens; participation effective des élèves à la vie et à la gestion de leur établissement scolaire; droit des délégués de classe de participer à tout leur conseil de classe, et aux élèves d’y assister; droit des élèves de participer à l’aménagement de leur lycée ou collège; ... contrôle des étudiants sur l’organisation de l’université, sur le contenu des programmes...; mise en place d’un véritable statut de l’éducation” (Projet, p. 314).

“Nous entreprendrons une transformation profonde de notre système éducatif. Tous doivent y participer: parents, élus, association, représentants de salariés et employeurs et au premier chef, les enseignants…

“L’unification du service public d’éducation sera le résultat d’une concertation et d’une négociation” (Déclaration de politique générale, “Journal Officiel” 9/7/81, p. 51).

 

Plus encore. A l’école comme au seins de la famille, la « plèbe » composée des enfants et jeunes gens sera motivée et stimulée pour mener une lutte de classes systématique contre les autorités enseignantes et domestiques; elle tiendra des assemblées et aura ses propres organes d’appel et de jugement (26).

(26) “Le Projet socialiste reconnaît aux enfants leur place à part entière dans la société: l’égalité, la liberté, la responsabilité ne sont pas réservées aux adultes. C’est dès l’école que doivent être reconnus le droit à l’expression, à l’activités créatrice, à la prise de décision” (Projet, p. 311).

“La jeunesse a aussi une position spécifique: elle est (dans la société actuelle) sous tutelle. ... A quelque classe sociale qu’ils appartiennent, les jeunes n’ont aucune responsabilité réelle, peu de maîtrise sur vie. Il y a un décalogue considérable entre leurs possibilités et ce qu’ils ont le droit de faire dans la société” (Projet, pp. 311-312).

“Rien n’est donc plus important aujourd’hui que de reconnaître à la jeunesse le droit d’être elle-même.

Dans la famille, le droit pour les jeunes d’être eux-mêmes comporte: la possibilité de recours du jeune face à une décision le concernant (orientation scolaire ou professionnelle, mode de vie...); la démocratisation et le développement des foyers d’accueil pour les jeunes en conflit avec leur famille; ... des facilités de location d’appartement pour les jeunes; ... le libre droit à la contraception et la suppression de l’autorisation parentale en matière d’interruption volontaire de grossesse pour les mineurs, un développement considérable de l’éducation sexuelle à l’école et la révision des attitudes systématiquement répressives concernant la sexualité des mineurs” (Projet, pp. 313-314).

 

          Les programmes scolaires, l’ensemble du personnel enseignant et le sens laïque de la formation intellectuelle socialiste devront être sous l’autorité du Pouvoir public dans les écoles étatisées ou autogestionnaires (27).

(27) “... la conception généreuse et offensive des Socialistes pour un grand service public unifié et laïque de l’enseignement géré démocratiquement” (Projet, p. 284).

“Les gouvernement définira comme objectif la constitution de ce corps unique de maître dans toutes les disciplines, pour la période de scolarité englobant l’école maternelle, le tronc commun, le second cycle général et professionnel” (Programme commun – Propositions pour l’actualisation, p. 35).

“Tous les parents pourront faire donner à leurs enfants, en dehors des locaux scolaire et sans le concours des fonds publics, l’éducations religieuse ou philosophique de leur choix” (ibidem, p. 32).

          Le Projet n’est pas tout à fait clair en ce qui concerne les écoles qui survivront… ou qui dépériront dans le système privé, selon ce que la stratégie graduelle en disposera. Ils n’est cependant pas difficile d’imaginer qu’elles n’est pourront se soustraire à cette influence et à ce pouvoir qu’en faible mesure et à titre précaire, si elles y parviennent... (28).

(28) “Tous les secteurs de l’enseignement initial et une partie importante de l’éducation permanente seront réunis dans un service public, national  et laïque, dépendant du seul Ministère de l’Éducation nationale.

Dès la première législature, la mise en place du service public de l’éducation nationale sera négociée. … Les établissements privés – qu’ils soient patronaux, à but lucrative ou confessionnel – percevant des fonds publics, seront en règle générale nationalises. …

Les transferts nécessaires de locaux excluront toute spoliation.

La situation des locaux ou des personnels des établissements privés ne recevant pas de fonds publics pourra faire l’objet, sur leurs demande, d’un examen en vue de leur intégration éventuelle” (Programme commun – Propositions pour l’actualisation, pp. 31-32).

 

Un  tel réseau éducatif n’est-il pas totalitaire ? Le Projet cherche à éviter cette question embarrassante en citent le plan de direction de l’enseignement qui doit être élaboré de manière démocratique, de sorte que chacun puisse exprimer son opinion. Un tel plan représenterait ainsi la volonté de tous.

Les socialistes se fondent sur ce sophisme pour affirmer que le système unifié d’enseignement n’est pas un monopole. Comment peut-on qualifier de monopole – disent-ils – un système unique, il est vrai, mais auquel tous sont invités à participer ? On voit bien que le Projet réalise à sa manière la trilogie « liberté, égalité, fraternité »: au moment de la décision collective, tous sont égaux ; le pouvoir de décision revient à la majorité. Il lui appartient à elle seule de décider de la matière à enseigner. La minorité n’a qu’à obéir. Où se réalise alors la liberté individuelle ? Au moment même du vote, puisque chacun est libre de discuter et de voter comme il l’entend. Mais seulement à ce moment-là...

 

11. Le droit de propriété dans le régime autogestionnaire 

          La matière exposée jusqu’à présent montre le caractère socialiste général (et non seulement limité au cadre de l’entreprise, comme l’imaginent beaucoup) du régime autogestionnaire, et met également en évidence la nature graduelle de la stratégie du PS.

          Il convient maintenant d’analyser plus spécialement l’entreprise autogestionnaire.

Le lecteur habitué aux entreprises actuelles imagine peut-être que l’application des modèles de démocratie politique à la vie économique et sociale des entreprises autogestionnaires a une portée bien plus littéraire et démagogique que réelle. Il se trompe.

Comme il a été dit plus haut, le pouvoir souverain, à qui il incombe de prendre toutes les décisions importantes de l’entreprise autogestionnaire, est réellement l’assemblée des travailleurs. Les organes de direction émaneront de cette assemblée par un système d’élections (détail importante: le Projet ne parle pas de scrutin secret...). L’assemblée élira également les membres de ces organes. Afin que ce « suffrage universel » permette de choix corrects, le Projet prévoit des réunions de travailleurs de chaque entreprise, dans lesquelles, paraît-il, les organes de direction donneront des informations concernant l’entreprise qui seront discutées par les membres présents. On dirait que chaque assemblée de travailleurs essaiera de reproduire, à une échelle ou une autre, la démocratie directe des anciennes municipalités grecques.

Bien entendu, pour certains sujets, les décisions devront être prises en commun avec les consommateurs, les usagers et autres représentants de la collectivité (voir Tableau IV – Modèle d’entreprise autogestionnaire proposé par les socialistes).

La propriété privée survivra-t-elle dans le régime conçu par le Projet ? Que le lecteur se tienne sur ses gardes. En effet, selon le Projet, il recevra du socialiste français les réponses les plus tranquillisantes... et en même temps les plus vides.

Dans le langage courant, on oppose propriété de l’État à propriété privée (29). Dans ce sens, l’entreprise autogestionnaire peut-être qualifiée – sous certains de ses aspects – de privée. En effet, sa situation envers l’État n’est pas la même que celle de l’entreprise étatisée.

(29) Selon la doctrine traditionnelle de l'Église, le droit de propriété ressort de l'ordre naturel des choses créé par Dieu. Animaux, végétaux, minéraux existent à L’usage des hommes. Tout homme a donc en vertu même de sa condition humaine, le droit de soumettre à sa domination n'importe lequel de ces biens. C'est l'appropriation. L'appropriation présente un caractère exclusive dans ce sens, qu'une fois qu'il a été approprie par quelqu’un, un bien ne peut-être employé par d'autres que son maître.

C'est ce que dit Pie XI à ce propos dans L’Encyclique Quadragesimo Anno, du l5 mai 1931: “La tradition universelle, non moins que les enseignements de Notre Prédécesseur, font de L’occupation d'un bien sans maître et du travail qui transforme une matière les titres originaires de la propriété. De fait, contrairement à certaines opinions, il n'y a aucune injustice à occuper un bien vacant qui n'appartient à personne. D'un autre côté, le travail que L’homme exécute en son propre nom et par lequel il confère à un objet une forme nouvelle ou un accroissement de valeur est le seul qui lui donne un droit sur le produit” (Acta Apostolicae Sedis, Typis Poliglottis Vaticanis, Rome, 193 l, vol. XXIII, p. 194).

La propriété dérive aussi du travail. Étant par nature maître de lui-même, l'homme est aussi le maître individuel de son travail. Par conséquent, le fruit de son travail lui appartient et il a en outre le droit de monnayer ses services. Ainsi ce qu'il a su acquérir de son propre travail lui revient à titre personnel. Tel est l’enseignement de Léon XIII dans l'Encyclique Rerum Novarum, de mai 1891: “De fait, comme il est facile de le comprendre, la raison intrinsèque du travail entrepris par quiconque exerce un art lucratif, le but immédiat visé par le travailleur, c'est de conquérir un bien qu'il possédera en propre et comme lui appartenant; car, s'il met à la disposition d'autrui ses forces et son industrie, ce n'est pas évidemment pour un motif autre, sinon pour obtenir de quoi pourvoir à son entretien et aux besoins de la vie, et il attend de son Travail non seulement les droits au salaire, mais encore un droit strict et rigoureux d'en user comme bon lui semblera. Si donc, en réduisant ses dépenses, il est arrivé à faire quelques épargnes, il les a par exemple réalisées dans un champ, il est de toute évidence que ce champ n'est pas outre chose que le salaire transformé: le fonds ainsi acquis sera la propriété de l'artisan, au même titre que la rémunération même de son travail. Mais qui ne voit que c'est précisément en cela que consiste le droit de propriété mobilière et immobilière ? Ainsi, cette conversion de la propriété privée en propriété collective, tant préconisée par le socialisme, n'aurait d'autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant par le fait même tout espoir et toute possibilité d'agrandir leur patrimoine et d'améliorer leur situation” (Acta Sanctae Sedis, Typographia Polyglotta S.C. de Propaganda Fide, Rome, 1890-1891, vol. XXIII, p. 642).

Finalement, la propriété peut être acquise par droit de succession. Les enfants, qui sont la prolongation naturelle de leurs parents, sont naturellement héritiers de leurs biens. A propos du caractère familial de la propriété, Léon XIII affirme dans l'Encyclique Rerum Novorum: “Ainsi, ce droit de propriété que Nous avons, au nom même de la nature, revendiqué pour L’individu, il le faut maintenant transférer à L’homme, constitué chef de la famille: ce n'est pas assez: en passant dons la société domestique, ce droit y acquiert d'autant plus de force que la personne humaine y reçoit plus d'extension. La nature impose au père de famille le devoir sacré de nourrir et d'entretenir ses enfants; elle va plus loin. Comme les enfants reflètent la physionomie de leur père et sont une sorte de prolongement de sa personne, la nature lui inspire de se préoccuper de leur avenir et de leur créer un patrimoine, qui les aide à se défendre, dans la périlleuse traversée de la vie, contre toutes les surprises de la mauvaise fortune. Mais ce patrimoine, pourra-t-il le leur créer sans L’acquisition et la possession de biens permanents et productifs qu'il puisse leur transmettre par voie d'héritage ?” (Acta Sancta Sedis, vol. XXIII, p. 646).

La propriété, comme tous les droits, a une fonction sociale mais elle ne se réduit pas simplement à cela. C'est ce que Pie XII enseigne dans son message radiodiffusé du 14 septembre 1952, au Katholikenlag de Vienne: “C'est en raison de cela que les enseignements sociaux de l'Église Catholique se prononcent si consciemment pour le droit de propriété individuelle, entre autres choses. C'est d'ici également que proviennent les raisons profondes qui expliquent pourquoi les papes des encycliques sociales et Nous-même, refusons de déduire, directement ou indirectement, de la nature même du contrat de travail, le droit de copropriété de L’employé au capital de l'entreprise, et par conséquent, son droit à la cogestion. Tout cela a dû être rejeté, car à L’arrière-plan de cette question se détache un problème plus vaste - le problème du droit de L’individu et de sa famille à la propriété, droit qui découle de L’essence même de l'être humain. C'est un droit de dignité personnelle; un droit, cela va sans dire, qui vient accompagné d'obligations sociales ; un droit cependant, et non seulement une fonction sociale” (Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, vol. XIV, p. 314).

Vue de cette façon, il faut distinguer la propriété publique de la propriété privée.

La première renferme normalement les biens que l'État a à sa disposition pour accomplir sa mission. Sans excéder sa fonction spécifique, l'État peut aussi posséder et gérer certaines choses pour le bien commun. Par exemple, quand il entreprend d'exploiter des ressources souterraines de façon à alléger les taxes de ses citoyens grâce aux bénéfices qui lui en reviennent. Mais ceci doit se faire de façon limitée et dans des circonstances spéciales. L'État peut également se permettre de faire cela quand il se trouve en présence d'un certain genre de richesses qui de par leur nature donneraient à l'individu qui les contrôle un pouvoir supérieur à celui de l'État lui-même.

Le reste des biens appartient au domaine privé et non au domaine public. Un propriétaire privé peut être soit un individu, soit un groupe ou un ensemble de propriétaires individuels.

Naturellement, cette doctrine et cette terminologie qui existent d'une manière implicite et explicite dans le langage courant ne font pas partie du Projet.

Le Projet n'affirme pas le droit naturel à la propriété, donné à L’homme par Dieu. Il hypertrophie la propriété collective des groupes sociaux, en transformant chacun d'eux en de mini-Etats totalitaires, par rapport à leurs membres. Il appelle la propriété autogestionnaire propriété privée, bien qu'elle doive être instituée -  en grande partie imposée -  et même réglée de manière discrétionnaire par l'État.

La rédaction de ce Message touchait à sa fin jusqu'a paru, à la mi-septembre, l’Encyclique Laborem Exercens de Jean-Paul II. Les principaux média de L’Occident l'ont accueillie avec une publicité largement favorable.

Sans aucun doute, l'Encyclique présente des enseignements nouveaux qui ne sont pas tous développés jusqu'à leurs dernières conséquences, doctrinales et pratiques.

Dans la plupart des cas, il a donc été possible aux média de donner l’impression que, selon Jean-Paul II:

a) ce n'est pas un précepte de l'ordre naturel que la propriété privée (et donc non-étatique) soit normalement individuelle;

b) en principe (et notamment dans les conditions modernes de la vie économique), il est légitime et même préférable que le droit de propriété ne soit pas exercé normalement par des propriétaires individuels, mais par des groupes de personnes. La propriété atteindrait ainsi son but social. C'est en cela que consisterait la “socialisation” de la propriété.

Si cette interprétation du document de Jean-Paul II était acceptée, il faudrait conclure que :

a) une telle “socialisation” serait en contraste frappant avec les principes du Magistère Pontifical traditionnel mentionnés ci-dessus, et qui enseignent que la propriété individuelle est la conséquence logique de la nature personnelle de l'homme et de l'ordre naturel des choses;

b) le régime socialisé préconisé par le PS français trouverait ainsi dans Laborem Exercens un appui important.

Pour un catholique il serait pénible de porter sur ses épaules la responsabilité de faire ces deux affirmations à l'égard de l'Encyclique de Jean-Paul II, puisqu'elles auraient une portée incalculable sur le plan religieux et socioéconomique.

En effet, si l'on admet une telle opposition entre le récent document pontifical et les documents traditionnels du Magistère Suprême de l'Église, les conséquences théologiques, morales et canoniques sont innombrables.

Comme on peut le voir au Chapitre II de ce Message, le PS français affirme le lien logique entre la réforme autogestionnaire de l'entreprise, préconisée par lui, et l'économie en général, celle de l'enseignement, de la famille et de l'homme lui-même. Ces réformes multiples ne sont, pour les socialistes français, que des aspects d'une reforme globale.

Ils ont raison: “Abyssus abyssum invocat” – “Un abîme en attire un autre” (Ps. 41, 8). On ne voit pas comment un Pontife Romain pourrait ouvrir les portes à l'autogestion préconisée par le socialisme français, et appuyer ainsi de façon implicite ou explicite cette réforme globale.

 

Le Projet qualifie l’entreprise autogestionnaire de « socialisée », c’est-à-dire n’appartenant pas a l’État il est vrai, mas pas non plus à des individus, puisque d’une manière générale les responsabilités du propriétaire individuel passent à l’assemblée des travailleurs.

La propriété privée survivra-t-elle en régime socialiste ? Le Projet répond que ce sera le cas pendant une période très courte en ce qui concerne la grande entreprise ; pour ce qui est des petites et moyennes entreprises, la durée sera un peu plus longue et conditionnée par de nombreux éléments (30). A partir de quel niveau une entreprise ne sera-t-elle plus qualifiée de petite et sera-t-elle considérée comme moyenne ? De manière analogue, à partir de quel niveau une entreprise moyenne passera-t-elle à être qualifiée de grande ? Les habitudes mentales formées par le régime actuel nous donnent à ce sujet des notions génériques inspirées par le bons sens, mais ces habitudes mentales ne correspondent pas à la nouvelle société, qui en créera d'autres. Ainsi, l'établissement des limites dépendra de la loi, ce qui permettra au Pouvoir public d'aplanir « graduellement » le niveau des biens (31). De cette manière, dans un certain nombre d'années, des entreprises considérées aujourd'hui comme moyennes devront supporter les lourds impôts de grandes entreprises, et les entreprises tenues aujourd'hui pour petites seront considérées comme moyennes. Ceci pour que le nombre des petites propriétés individuelles (favorisées aujourd'hui sur le plan fiscal) se réduise de plus en plus.

(30) “Les socialistes sont favorables au principe de la socialisation des moyens de production dans tous les secteurs où la socialisation des forces productrices est déjà devenue réalité. C'est dire a contrario que les petites et moyennes entreprises privées subsisteront dans un cadre certes profondément modifié et avec des obligations nouvelles” (Projet, pp. 153-154).

(31) Selon les socialistes, un des buts de la planification démocratique est de déterminer “comment et jusqu'à quel point s'opère la réduction des inégalités” (Quinze thèses, p. 15). Autrement dit, les Plans du gouvernement, à élaborer aux niveaux nationaux, régionaux et locaux, viseront déjà au nivellement graduel.

 

Bien entendu, dans la physionomie générale du Projet, la propriété privée, même lorsqu'elle est réduite à ces proportions minimes, semble une contradiction, puisqu'elle maintient son caractère individuel au sein d'un ordre de choses social. Il en découle que l'aboutissement de la gradation socialiste sera l'extinction totale de toute propriété individuelle (32).

(32) Cette affirmation n'envisage pas que l'ouvrier puisse posséder ses propres outils (ceux d'un artisan, par exemple), ni les objets durables qu'il a pu acquérir avec son propre gain personnel. Mais pour les héritiers éventuels de l’ouvrier, ce modeste patrimoine individuel n'aura guère d'importance par rapport aux limitations que le Projet impose sur les héritages:

Le problème de héritage... sera traité dans le même esprit: forte progressivité sur les grandes fortunes mais abattement élevé à la base pour les successions en ligne directe permettant la transmission du patrimoine affectif (maison familiale) ou de exploitation agricole ou artisanale” (Projet, p. 154).

 

En effet, le Projet adopte la stratégie graduelle qui rejette l'abolition sommaire de toute propriété et organise les étapes de leur extinction graduelle. Selon le Projet, le régime autogestionnaire devra comprendre pendant un certain temps encore les entreprises petites, moyennes et même grandes, mais en état d'agonie, comme il a été dit plus haut, en ce qui concerne les deux dernières catégories. Comment peut-on affirmer que, dans la logique de son égalitarisme de fer, l'État autogestionnaire ne vise pas également l'extinction des petites entreprises après celle des moyennes et des grandes ?

D'ailleurs, comment un travailleur du régime autogestionnaire pourrait-il accéder à la position de propriétaire avec la simple accumulation de ce qu'il reçoit pour sa subsistance ? Au bout de combien d'années de travail ? Pour ensuite jouir de sa propriété pendant quelques années seulement ? Pour la laisser à un fils né de quelque liaison, confié dès sa plus tendre enfance à l'État, de sorte qu'il est un étranger pour ses propres parents, d'ailleurs également étrangers l'un envers l'autre puisque unis par un lien instable ? Ces questions montrent que la propriété, même petite, ne peut exister que comme un corps étranger dans le contexte du monde autogestionnaire, et qu'elle ne peut survivre que temporairement (33).

(33) “Il ne peut y avoir d'autogestion dans un régime capitaliste: une entreprise privée ne peut être autogérée” (“Documentation Socialiste”, nº 5, p. 57).

Croyez-moi, avant longtemps, la propriété privée des moyens clefs de l'économie nationale apparaîtra à nos descendants comme une curiosité aussi aberrante que nous semble aujourd'hui le régime féodal” (Affirmation du Député socialiste Jean Poperen, pendant les débats au sujet de la Déclaration de politique générale, “Journal Officiel”, l0/7/81, p.77).

“Est-ce à dire que nous répudions la propriété privée ? En aucune manière. Nous savons fort bien qu'une forme de société ne se substitue pas à une autre en un jour ni même en l'espace d'une génération. Il a fallu des siècles ou capitalisme pour émerger du giron de to société féodale. Et le socialisme lui-même n'est en marche dans les pays capitalistes les plus avancés que depuis le milieu du siècle dernier. ...

On peut considérer que le maintien de la propriété privée individuelle répond à certaines exigences - surtout psychologiques – de sécurité.

Mais nous entendons aussi développer progressivement d'autres pratiques (location de la terre aux exploitons, indexation de l'épargne développement du logement locatif , essor du tourisme familial à la campagne, etc)” (Projet, pp. 153-154).

“Le Parti socialiste, non seulement ne met pas en cause le droit pour chacun de posséder ses propres biens durables acquis par le fruit de son travail, ou outils de son propre ouvrage, mais il en garantit exercice. Par contre, il propose de substituer progressivement à la propriété capitaliste une propriété sociale qui peut revêtir des formes multiples et à la gestion de laquelle les travailleurs doivent se préparée” (Statuts du Parti - Déclaration de principes, “Documentation Socialiste”, supplément au nº 2, p.48)

 

12. La propriété rurale dans le « Projet socialiste »

          Le Projet est bien plus clair dans ses objectifs que dans les étapes qu’il admet ou tolère par nécessité stratégique.

          Dans cette perspective, quelle est la situation de la propriété rurale – c’est-à-dire de la petite exploitation de dimensions familiales – dans la société modelée par le PS ? La question suppose que les grandes et moyennes exploitations aient déjà été éliminées.

          Le Projet – tout comme la Déclaration de politique générale du Gouvernement faite par le Premier Ministre Pierre Mauroy – est vague et ambigu à ce sujet.

          Le Projet propose des mesures qui à première vue seraient fondées sur le bons sens et la protection de l’agriculteur: développement de la production, organisation des marchés, revalorisation de la condition de l’agriculteur et garantie de la terre. La seule exception est un système de protection du prix des produits agricoles, logiquement au bénéfice quasi exclusifs des petits producteurs; les autres producteurs tolérés au début doivent survivre comme ils peuvent, ou dépérir.

          On se demande quelle est la substance des droits du petit propriétaire, puisque l’élément principal des propositions socialistes est la création d’offices fonciers qui organiseront les marchés et, entre autres, seront « chargés d’assurer une meilleure répartition et utilisation du sol ».

          De plus, ces “officies fonciers” constitueront l’autogestion collective des petits propriétaires et des consommateurs sur l’ensemble des terres arables. A chaque instant, la petite propriété sera soumise à des modifications de limites, des divisions ou des amalgames, au seins d’une réforme agraire permanente et d’une dictature sur les prix agricoles (34).

(34) “La maîtrise et la garantie de la terre. -  Outil de travail, la terre sera protégée contre la spéculation foncière chargés d’assurer une meilleure répartition et utilisation du sol. Celui-ci sera également protégé contre l’usure et la défertilisation qui résultent de l’exploration intensive et de l’abus de techniques agressives contre la nature et l’environnement” (Projet, p. 206).

“Le marché sera organisé autour d'offices. ceux-ci assureront aux exploitants la juste rémunération de leur travail grâce à des prix garantis, tenant compte des coûts de production, dans les limites d'un quantum” (Projet, p.206).

“Gérés par les représentants des exploitants, des salariés agricoles et des collectivités locales, (les offices fonciers)... assumeront, notamment, les fonctions suivantes :

- Ils... interviendront dans les locations....

- Ils disposeront d'un droit de préemption permanent lors de toute vente.

Ils pourront soit revendre, soit louer les terres ainsi acquises aux agriculteurs qui en ont besoin” (pour une agriculture avec les socialistes, “Les cahiers de Documentation Socialiste”, nº 2, avril l981, p. 20).

Mitterrand décrit le fonctionnement de ces “offices fonciers” de la façon suivante:

Contrairement à ce que certains veurent foire croire, ces offices n'institueront ni le collectivisme, ni la contrainte! Il ne peut y avoir de bonne politique foncière que discutée, concertée et acceptée par les différent parties prenants, agriculteurs, collectivités locales, administration.

“Ce sont donc les exploitants qui administreront eux-mêmes les offices cantonaux et auront pour rôle de coordonner la politique foncière, d’un discuter ensemble, de prendre des décisions de répartition et de zonage des sols, souhaitables au maintien de la population active agricole et au maximum d'installations” (apud cr. Mancerón et B. Pingaud, François Mitterrand - L'homme, les idées, le programme, Flammarion, paris, l981, pp. 107-108).

En considérant l’ensemble de ce que le Projet prévoit pour la société autogestionnaire, deux questions se posent sur la nature de la pensée qui l’inspire: est-il réellement libéral ? Contient-il un élément de religion ? C’est le sujet de ce qui suit.

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