Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT IV

 

Une ascendance noble

est un précieux don de Dieu

 

1. La noblesse est un don de Dieu

De l'allocution de Pie IX au Patriciat et à la Noblesse romaine, le 17 juin 1871:

«Un cardinal, prince romain, présentait un jour son neveu à l'un de mes Prédécesseurs: celui-ci proféra une sentence très juste et très appropriée, à savoir que la noblesse et le clergé sont le soutien des trônes. Personne ne peut nier que la noblesse elle aussi soit un don de Dieu; et bien que le Seigneur ait voulu naître dans l'humilité d'une étable, nous lisons cependant de lui au début de deux évangiles une longue généalogie qui le fait descendre de princes et de rois. Vous usez dignement de ce privilège en conservant le principe sacré de la légitimité. [...]

«Continuez donc à vous bien servir de cette prérogative: vous pourrez en faire un très noble usage en traitant avec ceux de votre rang qui n'ont pas les mêmes principes. Quelques mots charitables d'amis travaillent quelquefois beaucoup les coeurs; la prière cependant fera encore davantage. Supportez généreusement les contrariétés que vous pourrez rencontrer. Que le Seigneur vous bénisse pour toute votre vie, comme je l'en supplie de tout mon coeur (1).»

(1) Discorsi del Sommo Pontefice Pio IX, Tipografia di G. Aureli, Rome, 1872, vol. I, p. 127.

2. Jésus-Christ a voulu naître noble; Il a Lui-même aimé l'aristocratie

De l'allocution de Pie IX au Patriciat et à la Noblesse romaine, le 29 décembre 1872:

«Jésus-Christ Lui-même a aimé l'aristocratie. Et, si je ne me trompe, je vous ai déjà fait part une fois de cette idée qu'Il a aussi voulu naître noble, de la lignée de David. Son Evangile nous expose son arbre généalogique jusqu'à Joseph, jusqu'à Marie, "de qua natus est Jesus".

«L'aristocratie, la noblesse est ainsi un don de Dieu. Conservez-la donc diligemment, usez-en dignement. Vous le faites déjà par les oeuvres chrétiennes, les oeuvres de charité, auxquelles vous vous dévouez continuellement à la plus grande édification du prochain et au plus grand avantage de vos âmes (2).»

(2) Discorsi del Sommo Pontefice Pio IX, Tipografia di G. Aureli, Rome, 1872, vol. II, p. 148.

3. La noblesse de naissance semble purement fortuite, mais elle résulte d'un bienveillant dessein du ciel

De l'allocution de Léon XIII au Patriciat et à la Noblesse romaine, le 21 janvier 1897:

«Notre âme se réjouit de vous revoir après un an, en ce même lieu, fraternellement unis par une harmonieuse concordance de pensée et d'affection qui vous honore. Notre charité ne connaît pas et ne doit connaître d'acception de personne, mais elle ne peut être censurée de se complaire particulièrement en vous en raison, précisément, du degré social qui vous a été destiné apparemment par une circonstance fortuite mais en vérité par une décision bienveillante du ciel. Comment refuser une estime spéciale à l'élévation de la lignée si le Divin Rédempteur a montré qu'Il l'appréciait? Il est vrai qu'au long de Son pèlerinage terrestre Il a adopté la pauvreté et n'a pas eu la richesse pour compagne. Mais Il a choisi aussi de naître de souche royale.

«Nous vous rappelons ces choses, chers fils, non pour aduler un orgueil malsain mais pour vous encourager à des oeuvres dignes de votre catégorie sociale. Tout individu, ou toute classe d'individus, a sa fonction et sa valeur: de l'entrelacement ordonné de tous résulte l'harmonie de la société humaine. Il est indéniable néanmoins que dans les domaines privé et public l'aristocratie de sang est une force spéciale, comme le patrimoine et le talent. Si cette aristocratie s'était écartée des dispositions de la nature, elle n'aurait pas été, comme elle le fut en tout temps, un des facteurs d'équilibre de l'histoire. Il n'est donc pas illogique, en argumentant avec le passé, d'en déduire que les temps auront beau changer, un nom illustre ne manquera jamais d'efficacité pour qui saura le porter dignement (3).»

(3) Leonis XIII Pontificis Maximii Acta, Ex Typographia Vaticana, Rome, 1898, vol. XVII, p. 357-358.

4. Jésus-Christ a voulu naître de race royale

De l'allocution de Léon XIII au Patriciat et à la naître de race royale, en choisissant Marie pour Noblesse romaine, du 24 janvier 1903:

«Si Jésus-Christ a voulu passer Sa vie cachée enfants élus de la lignée de David. Hier, en la fête dans l'obscurité d'une humble habitation et être de leurs épousailles, nous pouvions répéter avec pris pour fils d'artisan; si, dans Sa vie publique, il l'Eglise ces belles paroles: "Regali ex progenie S'est plu à vivre au milieu du peuple, en lui faisant Maria exorta refulget" — Née de race royale, du bien de toutes les manières, Il a cependant voulu naître de race royale, en choisissant Marie pour mère et Joseph pour père nourricier, tous deux enfants élus de la lignée de David. Hier, en la fête de leurs épousailles, nous pouvions répéter avec l’Eglise ces belles paroles : « Regali ex progenie Maria exorta refulget » - Néee de race royale, Marie se présente étincelante (4).»

(4) Leonis XIII Pontificis Maximii Acta, Ex Typographia Vaticana, Rome, 1903, vol. XXII, p. 368.

5. Notre-Seigneur a voulu naître pauvre, mais Il a voulu aussi avoir une relation insigne avec l'aristocratie

De l'allocution de Benoît XV au Patriciat et à la Noblesse romaine, le 5 janvier 1917:

«Devant Dieu il n'y a pas d'acception de personnes. Mais il est indubitable, écrit saint Bernard, que la vertu est plus estimée chez les nobles car elle y resplendit davantage.

«Jésus-Christ aussi fut noble et nobles furent Marie et Joseph, descendants de souche royale, quoique leur vertu éclipsât cette splendeur-là dans la pauvre naissance que l'Eglise a commémorée il y a quelques jours. Le Christ, donc, qui a voulu avoir une si insigne relation avec l'aristocratie terrestre, accueille dans la toute puissante humilité de son berceau les voeux chaleureux que nous vous présentons: qu'il en soit avec Nos chers fils les patriciens et les nobles de Rome comme dans la Crèche, où la plus haute noblesse fut associée à la plus glorieuse vertu; et que celle-ci amène la régénération chrétienne de la société, et avec elle, les grâces qui en sont inséparables: le bien-être des familles de tous et de chacun ainsi que la paix si désirée du monde (5).»

(5) L' Osservatore Romano, 6-1-1917.

6. Marie, Joseph et donc Jésus sont nés de souche royale

D'un sermon sur saint Joseph, de saint Bernardin de Sienne (1380-1444):

«Considérons d'abord la noblesse de l'épouse, c'est-à-dire de la Très Sainte Vierge. La bienheureuse Vierge fut plus noble que toutes les créatures ayant jamais existé dans la nature humaine, qui puissent ou aient pu être conçues. Car saint Matthieu (chap. I) en mettant trois fois quatorze générations, depuis Abraham jusqu'à Jésus-Christ inclus, montre qu'elle descend de quatorze patriarches, de quatorze rois et de quatorze princes. [...]

«Saint Luc, parlant aussi au chapitre III de la noblesse de la Sainte Vierge, décrit la généalogie de celle-ci d'Adam et Eve jusqu'au Christ-Dieu. [...]

«Considérons ensuite la noblesse de l'époux, c'est-à-dire de saint Joseph. Il naquit de race patriarcale, royale et princière en ligne directe, comme on l'a déjà dit. Car saint Matthieu (chap. I) donne tous ses ancêtres en ligne directe depuis Abraham jusqu'à l'époux de la Vierge, montrant ainsi clairement qu'en lui avait trouvé son achèvement toute la dignité patriarcale, royale et princière. [...]

«Examinons enfin la noblesse du Christ. Il fut donc — comme cela découle de ce qui a été dit —Patriarche, Roi et Prince, du côté maternel comme paternel. [...]

«Les évangélistes cités ont décrit la noblesse de la Vierge et de Joseph pour attester celle du Christ. Joseph fut donc d'une noblesse telle que d'une certaine manière, s'il est permis de s'exprimer ainsi, il a donné la noblesse temporelle à Dieu en Notre-Seigneur Jésus-Christ (6).»

(6) SAINT BERNARDIN DE SIENNE, Sancti Bernardini Senensis Sermones Eximii, vol. IV, in Aedibus Andreae Poletti, Venetiis, 1745, p. 232.

7. Dieu le Fils a voulu naître de souche royale pour réunir en Sa Personne tous les genres de grandeurs

Sur saint Joseph, de saint Pierre-Julien Eymard (1811-1868):

«Quand Dieu le Père résolut de donner son Fils au monde, Il le voulut faire avec honneur, car Il est digne de tout honneur et de toute louange. Il lui prépara donc une cour et un service royal dignes de Lui: Dieu voulait que, même sur terre, son Fils trouvât, sinon aux yeux des hommes, du moins à Ses propres yeux, une réception honorable et glorieuse. Ce mystère de grâce de l'Incarnation du Verbe, Dieu ne l'a pas improvisé: et ceux qui avaient été choisis pour y prendre part, ont été préparés par Lui longtemps à l'avance. La cour du Fils de Dieu fait homme se compose de Marie et de Joseph: Dieu lui-même ne pouvait trouver, pour son Fils, des serviteurs plus dignes de l'approcher.

«Considérons surtout saint Joseph.

«Chargé de l'éducation du Prince royal du ciel et de la terre, chargé de Le gouverner et de Le servir, il faut que son service honore son Divin Pupille: Dieu ne peut pas avoir à rougir de Son père. Et comme Il est Roi, du sang de David, il fait naître Joseph de cette même tige royale; Il veut qu'il soit noble, même de la noblesse terrestre. En Joseph coule le sang des David, des Salomon et de tous les nobles rois de Juda: si la dynastie occupait encore le trône, il en serait l'héritier et il devrait l'occuper à son tour. Ne vous arrêtez pas à sa pauvreté actuelle: l'injustice a chassé sa famille du trône auquel elle avait droit: il n'en demeure pas moins roi, le fils de ces rois de Juda, le plus grand, le plus noble, le plus riche de l'univers. Aussi sur les registres du recensement à Bethléem, Joseph sera inscrit et reconnu par le gouverneur romain comme l'héritier de David: c'est là son parchemin royal, il est bien reconnaissable et porte sa royale signature.

«Qu'importe la noblesse de Joseph? direz-vous peut-être. Jésus n'est venu que pour s'humilier. Je réponds que le Fils de Dieu, qui a voulu s'humilier pour un temps, a voulu aussi réunir en sa personne tous les genres de grandeurs: Il est roi, lui aussi, par son droit d'héritage, Il est de sang royal. Jésus est noble: et quand Il aura choisi ses apôtres parmi les roturiers, Il les anoblira: Il en a bien le droit, ce fils d'Abraham, cet héritier du trône de David: Il aime cet honneur de famille: l'Eglise ne passe pas sur la noblesse le niveau de la démocratie: respectons tout ce qu'elle respecte: la noblesse est de Dieu.

«Mais faut-il donc être noble pour servir Notre-Seigneur? Si vous l'étiez, vous lui apporteriez une gloire de plus; ce n'est pas nécessaire, et I1 se contente de la bonne volonté et de la noblesse du coeur. Cependant les annales de l'Eglise nous montrent qu'un grand nombre de saints, et des plus illustres, portaient un blason, avaient un nom, une famille illustre: beaucoup même étaient de famille royale. Notre-Seigneur aime à recevoir les hommages de tout ce qui est honorable. Saint Joseph reçut une éducation parfaite dans le temple, et Dieu le disposa ainsi à être le noble serviteur de Son Fils, le chevalier du plus noble Prince, le protecteur de la plus auguste Reine de l'univers (7).»

(7) SAINT PIERRE-JULIEN EYMARD, «Mois de saint Joseph, le premier et le plus parfait des adorateurs», in Extraits des écrits du P. Eymard, Desclée de Brouwer, Paris, 7e éd., p. 59-62.

8. La noblesse de sang est un puissant stimulant pour la pratique de la vertu

De la magnifique homélie de saint Charles Borromée (1538-1584), archevêque de Milan, prêchée en la fête de la Nativité de Notre Dame, le 8 septembre 1584:

«Le début du Saint Evangile écrit par saint Matthieu, qui de ce lieu vient de vous être proclamé par notre Sainte Mère 1'Eglise, nous amène d'abord à examiner attentivement la noblesse, l'insigne lignage et la magnificence de cette Vierge Très Sainte.

«Si l'on doit considérer comme noble celui qui tire son origine du mérite d'ancêtres illustres, comme est grande la noblesse de Marie, qui eut principe de génération en des rois, patriarches, prophètes et prêtres de la tribu de Juda, de la race d'Abraham, de la lignée royale de David!

«Si nous n'ignorons pas que nous sommes, nous, de véritable noblesse — la chrétienne — que le Fils unique du Père nous a conférée quand "à tous ceux qui l'ont reçu Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu"(Jn 1, 12), si nous n'ignorons pas que tous les fidèles chrétiens partagent cette dignité et cette noblesse, nous ne pensons pourtant en aucune façon que la noblesse selon la chair doive être méprisée ou rejetée. Au contraire, quiconque ne reconnaîtrait pas également en cette noblesse un don, une faveur singulière de Dieu, et ne rendrait pas, pour elle aussi spécialement, grâces à Dieu, dispensateur de tous biens, celui-là serait absolument indigne de l'appellation de noble: il obscurcirait l'éclat de ses aïeux par la difformité d'un esprit ingrat, le plus honteux qui puisse être. La noblesse de la chair contribue considérablement au véritable rayonnement de l'âme et lui apporte de sensibles bienfaits.

«Pour commencer, la splendeur du sang, la vertu des ancêtres et les hauts faits prédisposent de façon merveilleuse le noble à marcher sur les traces de ceux dont il descend. Il est aussi indubitable que sa propre nature a plus d'inclination pour le bien et la vertu: soit par la conformité de son sang avec celui de ses ancêtres, donc par la transmission de leur esprit; soit par la pérennité du souvenir de leurs vertus auxquelles il attache une plus grande valeur et qui lui sont plus chères pour avoir brillé en eux; soit enfin, par la solide éducation et formation que des hommes illustres lui ont dispensées. Il est reconnu sans conteste que la noblesse, la magnificence, la dignité, la vertu et l'autorité des parents induisent grandement les enfants à se montrer zélés pour ces mêmes choses. Il en résulte que les nobles, comme par instinct, recherchent l'honneur, cultivent la magnanimité, méprisent les intérêts mesquins, abhorrent enfin tout ce qu'ils considèrent indigne de la noblesse.

«En deuxième lieu, la noblesse stimule l'attachement aux vertus. Ce bienfait diffère de celui dont nous venons de parler: le premier prédisposait le noble à embrasser plus facilement les oeuvres droites; le deuxième ajoute encore de puissants stimulants à cette prédisposition et, comme un frein, retient les vices et les actions qui ne s'accordent pas avec la condition de noble; et si un noble vient à commettre quelque faute, une honte si extraordinaire l'envahira aussitôt qu'il emploiera toutes ses forces à se purifier de cette tache.

«Enfin, le dernier bienfait que l'on puisse considérer dans la noblesse est celui-ci: de même qu'une pierre précieuse enchâssée dans l'or brille davantage que dans le fer, ainsi les mêmes vertus resplendissent plus chez le noble que chez le plébéien; la noblesse s'ajoute à la vertu et en est son plus bel ornement.

«S'il est vrai que l'on doit attribuer de la valeur à la noblesse et au lustre de ses ancêtres, deux autres thèses sont également vraies et nous les soutenons très fermement. La première est la suivante: si, chez le noble, la vertu est beaucoup plus splendide, le vice est aussi chez lui beaucoup plus honteux. On remarque beaucoup plus facilement la saleté dans un lieu clair et balayé par les rayons du soleil que dans un recoin obscur; les taches sur un vêtement d'or que sur un vêtement commun et rapiécé; ou enfin, les marques et cicatrices sur le visage qu'en toute autre partie cachée du corps. Les vices sont ainsi plus voyants, attirent beaucoup plus l'attention et défigurent plus honteusement les fautifs chez les nobles que chez les hommes de condition vulgaire. Qu'y a-t-il en vérité de plus indigne qu'un adolescent né de parents illustres et de belles manières que l'on voit corrompu et adonné à la taverne, au jeu, boisson et goinfrerie?

«Voici maintenant la deuxième thèse: si un homme même de haute noblesse n'ajoute pas à la noblesse de ses aïeux ses propres vertus, il tombe immédiatement dans l'obscurité. Car la discontinuité de la vertu fait cesser en lui la noblesse. En effet les vestiges du lustre de ses ancêtres qu'il garde encore lui sont assurément inutiles puisqu'ils n'atteignent plus leur fin qui est de le pousser davantage aux grandes actions, d'être en lui un stimulant pour la vertu et un frein pour le péché. Toute sa noblesse ne lui sert que d'opprobre suprême ou n'augmente aucunement son honneur. C'est ce que reprochait Notre-Seigneur Jésus-Christ aux pharisiens qui se vantaient d'être les fils d'Abraham lorsqu'Il leur disait: "Si vous êtes fils d'Abraham, faites les oeuvres d'Abraham"(Jn 8, 39). Car on ne peut se glorifier de descendre et de partager la noblesse que de celui dont on imite la vie et les vertus. C'est pourquoi le Seigneur disait à ces mêmes pharisiens: "Vous avez le diable pour père" (Jn 8, 44); et le très saint Précurseur du Christ les appelait "race de vipères"(Lc 3, 7).

«Qui est donc assez ignorant et insensé pour douter encore de la suprême noblesse de la Très Sainte Vierge Marie? Qui ne sait qu'Elle a non seulement égalé la vertu de ses ancêtres, mais dépassé de très loin, à tel point qu'on peut et doit l'appeler, à juste titre, suprêmement noble, puisque la splendeur d'aussi illustres patriarches, rois, prophètes et prêtres, énumérés dans l'Evangile d'aujourd'hui, a atteint chez Elle son développement maximum?

«Quelqu'un demandera certainement comment on peut déduire de tout ce qui a été exposé jusqu'ici la noblesse des ancêtres de Marie, puisque c'est l'origine de Joseph, époux de Marie, qui a été décrite. Mais quiconque a étudié plus attentivement les Saintes Ecritures résoudra facilement cette question. Il était établi par la loi divine qu'une vierge ne prenne pas de mari hors de sa propre tribu, en vue surtout de la ligne de succession héréditaire (Nm 36, 6 ss.); il est donc bien clair que Joseph et Marie étaient de la même tribu et famille, et cette description de l'ascendance humaine du Fils de Dieu atteste qu'ils sont l'un et l'autre d'une seule et même noblesse».

Le saint considère ensuite un autre aspect du grand thème sur lequel il discourt:

«En troisième lieu, enfin, ô très chères filles — car ceci vous concerne — c'est l'ascendance de Joseph et non celle de Marie qui est décrite pour que vous appreniez à ne pas vous enorgueillir, ni à insulter vos maris en disant: "C'est moi qui ai introduit la noblesse dans ta maison; c'est moi qui t'ai apporté l'éclat des honneurs; c'est à moi que tu dois rapporter, ô époux, ce que tu as reçu de dignité". Sachez, en vérité, et que ce soit gravé constamment dans vos esprits, que l'honneur et la noblesse de la famille de l'épouse n'est pas due à une autre famille qu'à celle de l'époux; ces épouses qui osent se préférer à leur mari, ou — ce qui est pire — avoir honte de la famille de leur mari sont détestables; elles taisent son nom et ne mentionnent que leur extraction. Il y a réellement là un esprit diabolique de superbe. Quelle est donc la famille de Marie? Celle de Joseph. Quelle est la tribu, quelle est la maison, quelle est la noblesse de Marie? Celle de son époux Joseph. Voilà, épouses chrétiennes, vraiment nobles et craignant Dieu, ce que vous devez le plus prendre en compte (8).»

(8) Saint Charles Borromée, Sancti Caroli Borromei Homiliae, Ignatii Adami et Francisci Antonii Veith Bibliopolarum, Augustae Vindelicorum, editio novissima, versio latina, s.d., Homilia CXXII, col. 1211-1214.

9. Le grand pouvoir du lignage sur nos actions

De l'oraison funèbre de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, prononcée à Notre-Dame de Paris, le 27 avril 1602, par saint François de Sales (1567-1622), Prince-évêque de Genève, Docteur de l'Eglise:

«C'est toujours Dieu qui fait en nous tout notre salut, il en est le grand architecte: mais il procède différemment en ses miséricordes; car il nous donne certains biens sans nous, et d'autres avec l'entremise de nos désirs, travaux et volontés. Le prince Philippe-Emmanuel duc de Mercoeur reçut abondamment des biens de la première façon, sur lesquels il bâtit un excellent édifice de perfection de ceux de la seconde sorte; car au premier, Dieu l'a fait naître de deux maisons des plus illustres, anciennes et catholiques qui soient entre les princes de l'Europe [les maisons de Lorraine et de Savoie].

«C'est beaucoup d'être fruit d'un bon arbre, métal d'une bonne minière, ruisseau d'une bonne source. [...]

«Naquit, dis-je, pour la gloire des armes et l'honneur de l'Eglise, ce prince décédé, digne fruit de deux si grandes races, desquelles comme il reçut le sang, aussi hérita-t-il de leurs vertus: et comme deux rivières se joignant font un grand et noble fleuve, ainsi ces deux maisons des aïeux paternels et maternels de ce prince, ayant mis ensemble leurs belles qualités en son âme, le rendirent accompli en tous les dons de la nature; pourquoi il pouvait bien dire avec le divin sage: "Puer autem eram ingeniosus, et sortitus sum animam bonam" — Je suis un enfant bien né, et j'ai reçu une âme d'un bon naturel (Sap. VIII, 19).

«[...] Tellement qu'il m'a été bienséant de parler de son extraction, quoiqu'il semble à plusieurs que la noblesse estant chose hors de nous, nos seules actions soient nostres.

«Et à la vérité l'extraction sert de beaucoup, et a un grand pouvoir sur nos desseins, voire sur nos actions mêmes, soit pour la sympathie des passions que nous empruntons souvent de nos prédécesseurs, soit pour la mémoire que nous conservons de leur prouesse, soit aussi par la bonne et plus curieuse nourriture que nous en recevons (9).»

(9) Saint François de Sales, Œuvres Complètes de saint-François de Sales, Béthune Editeur, Paris, 1836, vol. II, p. 404-406.