Logique, clarté, verve et autres qualités encore : dans les premiers paragraphes, la lettre d’une lectrice anonyme les déploie généreusement, en ma faveur.
Cependant, personne n’écrit de lettres anonymes uniquement pour combler le destinataire de gentillesses. Passant rapidement sur les bouquets parfumés d’éloges, que j’ai parcourus en diagonale, j’ai cherché directement les critiques. Je les ai trouvées juste avant les salutations finales :
« Permettez-moi d’ajouter, Dr Plinio, que quelque chose dans vos articles m’attriste. C’est la certitude que vous ressentez à propos de tout ce que vous affirmez. C’est une certitude si catégorique, si compacte, si absolue, qu’elle provoque un malaise. À ceux qui pensent comme vous, parce que leur certitude est bien moindre que la vôtre. À ceux qui n’ont aucune certitude, car ils ressentent vos certitudes comme des défis acérés. Et à ceux qui ne sont pas d’accord avec vous… alors n’en parlons même pas. Même lorsque votre opinion est modérée (ce qui est plus fréquent qu’il n’y paraît à première vue), les uns et les autres se sentent poussés par vous à l’opposé de leurs certitudes et entraînés dans la polémique. La concorde des esprits, qui est le bien suprême de la vie en société, la concorde, je le répète, fille de la modération, de la souplesse d’esprit et du dessein suprême de s’accorder, cette concorde, disais-je, semble impossible dans la vie intellectuelle avec vous.
« Je sens à distance votre objection, en lisant ces appréciations. Vous direz que vos articles sont toujours courtois, dans un langage élevé et serein, etc. Pardonnez-moi le jeu de mots : mais votre courtoisie indéniable est une courtoisie tranchante [« cortante » en portugais, n.d.t.], inspirée par les fiertès et les élégances des temps anciens, incompatible donc avec la simplicité agréable et décomplexée de nos jours. « Agréable », « décomplexée » : vulgaire, je vois bien ce que vous penserez en lisant cette lettre.
« En un mot, Dr Plinio, je suis centriste jusqu’au fond de l’âme. Je n’ai pas vos certitudes. C’est pourquoi je n’aime pas les affirmations compactes, ni les polémiques, mais les opinions gentiment dubitatives et le dialogue. Pour mon esprit, le centrisme, avec le large éventail d’opinions qu’il comporte, est le seul point d’équilibre et de rencontre où toutes les opinions sont acceptables, capables de coexistence, de concessions mutuelles, d’ententes fructueuses. Vous, et vos opinions, êtes en dehors de ce sommet central de la pensée. Vous êtes intolérants. Ce qui revient à dire que vous êtes intolérables.
« C’est pourquoi ils sont exclus de la coexistence humaine raisonnable. »
Vient ensuite une autre guirlande fleurie d’éloges de la part de l’auteur de la missive, formulés dans le but que moi, avec mes qualités, j’adoucis mes certitudes, etc., etc. Et, finalement, que j’accepte de vivre dans la confortable auberge des idées et des personnes, à laquelle la lectrice m’invite.
Sans aucune modestie, j’affirme que j’ai trouvé assez insipides les amabilités de ma lectrice centriste. Mais les critiques m’ont semblé acerbes, vives, spirituelles, non sans une certaine dose de piquant, d’ailleurs. Et moi qui déteste le piquant en cuisine, je le trouve ici amusant.
J’ai donc voulu faire partager au lecteur le plaisir que j’ai eu à lire ces critiques. Et, ne connaissant ni le nom ni l’adresse de l’auteur de la lettre, je lui réponds par le biais du journal « Folha ».
Je lui ai accordé tellement d’espace qu’il m’en reste peu pour moi. Par conséquent, j’entre directement dans le vif du sujet.
La lettre de cette lectrice m’a semblé caractéristique d’une famille nombreuse d’âmes habituées à un certain genre de centrisme véhément et extrême, et de tolérance violente, qui mérite d’être analysée.
La lectrice me critique pour avoir des certitudes. S’il y avait là un défaut, quel défaut pourrait-on pointer dans son esprit ? Avec quelle emphase, avec quelle vivacité, elle se montre certaine qu’il ne faut pas avoir de certitudes !
Pour elle, il est absolument incontestable que seules les opinions qui se considèrent elles-mêmes comme discutables méritent d’être accueillies dans la société des hommes.
En effet, sur ce sommet modéré et centriste qui domine son panorama mental (comme celui de tant d’autres Brésiliens), on n’est bien accueilli que dans l’espoir d’un compromis idéologique. Chacun cède un peu pour parvenir à une pensée commune. C’est-à-dire à quelque chose qui ne correspond pas entièrement à la pensée de quiconque. Car dans cette pensée commune, il n’y a personne qui ne trouve au moins un point qu’il juge erroné.
Le lecteur objectera : « Vous êtes donc opposé à tous les programmes communs ? »
Pas du tout. Un programme d’action comporte des concessions mutuelles ; mais comment un ensemble de convictions peut-il en comporter ? Si la montre de mon ami indique huit heures et la mienne dix heures, est-il raisonnable de convenir d’accepter, avec toute notre conviction, qu’il est exactement neuf heures ?
Mais, me dira la lectrice, il ne s’agit justement pas d’accepter une vérité « avec toute conviction ». Toutes les vérités, à ce sommet, sont quelque peu relatives. Au sommet de la montagne centriste, les gens se reposent sur les coussins moelleux et confortables du relativisme.
Je vois bien, chère lectrice amusée et passionnée, que c’est là votre pensée. Mais si toute vérité est relative et grevée du doute, si toute opinion différente de la sienne doit être tolérée, je vous demande :
a) pourquoi n’admettez-vous pas que, en toute logique, votre relativisme est également relatif et qu’il doit peser le doute sur votre conviction presque fanatique qu’il n’existe aucune certitude valable ?
b) et si vous admettez que votre relativisme est peut-être erroné, de quel droit excommuniez-vous du sommet pompeux où réside votre esprit ceux qui ont des certitudes absolues ?
c) si je vous semble intolérant, vous trouverez logique que je ne tolère pas certaines positions doctrinales. Je ne comprends pas comment vous, qui vous vantez de tout tolérer, ne me tolérez pas (ainsi que les innombrables Brésiliens que vous jugez intolérants). Votre tolérance a un sens unique. Vous ne tolérez que ceux qui, comme vous, sont tolérants. Et vous m’accusez de ne tolérer que ceux qui pensent comme moi…
Je n’ai aucune envie d’atteindre ce sommet dont vous nous excluez avec tant de certitude et d’intolérance. Parce que je ne le reconnais pas comme un sommet. Le sommet est certitude. Le doute est abîme.
L’espace dont je dispose est épuisé. Il ne peut contenir les fleurs finales qu’un homme ne manque jamais d’inclure lorsqu’il a la joie et l’honneur de s’adresser à une dame. Au lieu de fleurs, je vous ai présenté des questions. J’ai peut-être fait naître dans votre esprit quelques problèmes. Je me console en pensant que, pour une personne intelligente, un problème est plus intéressant qu’une fleur. Et en guise de révérence finale, je me réjouis de souligner une fois de plus combien j’ai apprécié la lecture de votre lettre intelligente.
Je suis absolument certain que vous êtes intelligente. Pensez-vous que je ne devrais pas en être certain et que, au contraire, je devrais douter de l’intelligence si évidente de votre lettre ?
Vous voyez bien qu’il existe des certitudes évidentes, qui n’admettent ni doute ni relativisme…