Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

Chapitre VIII
 
L'intelligence, la volonté et la sensibilité dans la détermination des actes humains

 

 

 

 

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Révolution et Contre-Révolution

Titre original: Revolução e Contra-Revolução

Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III)

Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP

2, avenue de Lowendal 75007 PARIS

Dépôt légal : 4ème trimestre 1997

ISBN: 2-901039-24-3

Les considérations précédentes demandent quelques explications sur le rôle de l'intelligence, de la volonté et de la sensibilité dans les relations entre l'erreur et la passion.

On pourrait croire en effet que, selon nous, toute erreur est conçue par l'intelligence pour justifier une passion déréglée. Le moraliste qui soutiendrait une maxime libérale le ferait donc toujours en vertu d'une tendance libérale.

Ce n'est pas notre thèse. Il peut se produire qu'en raison de la faiblesse de son intelligence affectée parle péché originel, le moraliste arrive à une conclusion libérale.

Dans ce cas, y aura-t-il eu nécessairement une imperfection morale d'une autre nature, la négligence par exemple? C'est une question qui ne rentre pas dans notre étude.

Par contre nous affirmons que cette Révolution, historiquement, tire sa première origine d'une fermentation extrêmement violente des passions. Sans nier, loin de là, le rôle déterminant des erreurs doctrinales dans ce processus.

Nombreuses ont été les études de grands auteurs, comme Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Donoso Cortès et tant d'autres, sur ces erreurs et la manière dont elles sont nées les unes des autres, du XVe au XVIe siècle, et, de fil en aiguille, jusqu'au XXe. C'est pourquoi il n'est pas dans notre intention de revenir sur le sujet.

Il semble toutefois particulièrement opportun de mettre en évidence l'importance des facteurs "passionnels" et leur influence sur les aspects strictement idéologiques du processus révolutionnaire dans lequel nous nous trouvons. L'attention des observateurs ne s'oriente en effet, à notre avis, que très faiblement vers ce point; il en découle une vision incomplète de la Révolution et, par conséquent, l'adoption de méthodes contre-révolutionnaires inadéquates.

Il faut ajouter ici quelques remarques sur la manière dont les passions peuvent influencer les idées.

 

1. La nature déchue, la grâce et le libre arbitre

Par les simples forces de sa nature, l'homme peut connaître beaucoup de vérités et pratiquer plusieurs vertus. Il ne lui est toutefois pas possible, sans le secours de la grâce, de se maintenir durablement dans la connaissance et la pratique de tous les commandements (37).

Cela signifie que, dans la nature humaine déchue en raison du péché originel, il y a toujours une faiblesse de l'intelligence ainsi qu'une tendance première et antérieure à tout raisonnement, qui l'incline à se révolter contre la loi de Dieu (38).

 

2. Le germe de la Révolution

Cette tendance fondamentale à la révolte peut, à un moment donné, recevoir le consentement du libre arbitre. L'homme déchu pèche donc, violant l'un ou l'autre commandement. Mais sa révolte peut aller plus loin et déboucher sur une haine, plus ou moins consciente, de l'ordre moral dans son ensemble. Cette haine, révolutionnaire par essence, peut faire naître des erreurs doctrinales et même faire professer, de façon consciente et explicite, des principes contraires à la Loi morale et à la doctrine révélée, en tant que telles, ce qui constitue un péché contre le Saint-Esprit. C'est le jour où cette haine a commencé à guider les plus profondes tendances de l'histoire de l'Occident qu'a débuté la Révolution dont le processus se développe aujourd'hui. Cette haine imprima fortement sa marque sur les erreurs doctrinales de la Révolution. Elle constitue la cause la plus efficace de la grande apostasie actuelle. Par nature, elle ne peut être réduite à un simple système doctrinal: c'est la passion déréglée, à son plus haut degré d'exacerbation.

Une pareille affirmation relative au cas concret de cette Révolution ne veut pas dire - il est facile de le comprendre - qu'il y ait une passion désordonnée à la racine de toute erreur.

Cela ne revient pas non plus à nier que ce fut souvent une erreur qui provoqua, dans une âme ou une autre, ou même dans quelque groupe social, le déchaînement des passions.

Nous affirmons seulement que le processus révolutionnaire, dans son ensemble comme dans ses principaux épisodes, a eu pour germes les plus énergiques et les plus profonds dérèglements de passions.

 

3. Révolution et mauvaise foi

On pourrait présenter l'objection suivante: si les passions dans le processus révolutionnaire jouent un rôle si important, il semble que la victime de la Révolution soit toujours, au moins dans une certaine mesure, de mauvaise foi. Si le protestantisme, par exemple, est fils de la Révolution, tout protestant est-il de mauvaise foi ? Cela ne s'oppose-t-il pas à la doctrine de l'Eglise qui admet qu'il y a, dans d'autres religions, des âmes de bonne foi ?

Il est évident qu'une personne d'entière bonne foi et dotée d'un esprit fondamentalement contre-révolutionnaire peut être prise dans les mailles des sophismes révolutionnaires (qu'ils soient de nature religieuse, philosophique, politique ou autre) par une ignorance invincible. Il n'y a aucune faute chez ce genre de personnes.

Mutatis mutandis l'on peut dire la même chose de ceux qui admettent la doctrine de la Révolution en l'un ou l'autre de ses points restreints par un lapsus involontaire de l'intelligence.

Mais si quelqu'un, mû par les passions déréglées qui lui sont inhérentes, participe de l'esprit de la Révolution, autre sera la réponse.

Dans ces conditions, un révolutionnaire peut être persuadé de l'excellence de ses maximes subversives. Il ne sera donc pas hypocrite. Mais il sera coupable de l'erreur dans laquelle il est tombé.

Et il peut arriver aussi que le révolutionnaire professe une doctrine dont il n'est pas persuadé ou dont il n'est que partiellement convaincu.

Dans ce cas il sera partiellement ou totalement hypocrite.

A ce propos, il nous semble presque inutile de faire remarquer que, lorsque nous affirmons que les doctrines de Marx étaient implicites dans les négations de la Pseudo-Réforme et de la Révolution française, nous ne voulons pas dire que les adeptes de ces deux mouvements étaient consciemment des marxistes avant la lettre et qu'ils cachaient hypocritement leurs opinions.

Le propre de la vertu chrétienne, c'est l'ordonnance droite des puissances de l'âme et, donc, l'accroissement de la lucidité de l'intelligence illuminée par la grâce et guidée par le Magistère de l'Eglise. Pour cette raison uniquement, tout saint est un modèle d'équilibre et d'impartialité. L'objectivité de ses jugements et la ferme orientation de sa volonté vers le bien ne sont pas affaiblies, si légèrement que ce soit, par le souffle envenimé des passions déréglées.

Au contraire, dans la mesure où l'homme déchoit de la vertu et accepte le joug de ces passions, son objectivité est troublée sur tout ce qui les concerne, et en particulier, sur les jugements que l'homme porte sur lui-même.

Jusqu'à quel point un révolutionnaire de marche lente, du XVIe ou du XVIIIe siècle, aveuglé par l'esprit de la Révolution, se rendait-il compte du sens profond et des ultimes conséquences de sa doctrine? C'est, pour chaque cas concret, le secret de Dieu.

De toute façon, l'hypothèse qu'ils aient tous été des marxistes conscients doit être entièrement exclue. 


Notes :

(37) Cf. partie I, chap. VII, 2, D.

(38) Donoso Cortés, in Ensayo sobre el Catolicismo, el Liberalismo y el Socialismo - Obras completas, B.A.C., Madrid, 1946, tome II, p. 377 - développe considérablement cette vérité dans une partie très étroitement liée à ce travail.

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