Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

Chapitre XI
 
La Contre-Révolution et la société temporelle

 

 

 

 

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Révolution et Contre-Révolution

Titre original: Revolução e Contra-Revolução

Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III)

Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP

2, avenue de Lowendal 75007 PARIS

Dépôt légal : 4ème trimestre 1997

ISBN: 2-901039-24-3

« La Contre-Révolution et la société temporelle » constitue un thème déjà étudié à fond, et sous différents angles, en de nombreuses œuvres de valeur. Ne pouvant l'embrasser dans son ensemble, ce travail se limite à donner les principes les plus généraux d'un ordre temporel contre-révolutionnaire (55) et à étudier les relations entre la Contre-Révolution et certaines des organisations les plus importantes qui luttent pour établir un bon ordre temporel.

 

1. La Contre-Révolution et les organisations de caractère social

De nombreux organismes destinés à résoudre la question sociale opèrent dans la société temporelle ; leur but suprême est, directement ou indirectement, celui de la Contre-Révolution, c'est-à-dire l'instauration du Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ. En raison de cette communauté d'intentions (56), il est nécessaire d'étudier les relations entre la Contre-Révolution et ces organismes.

 

A. Œuvres de charité, service social, assistance sociale, associations de patrons, d'ouvriers, etc.

* a. Dans la mesure où ces œuvres normalisent la vie économique et sociale, elles entravent le développement du processus révolutionnaire. Et, en cela, elles sont ipso facto des auxiliaires précieux de la Contre-Révolution, même si ce n'est que d'une manière implicite et indirecte.

* b. Toutefois, il convient pour cela de rappeler quelques vérités qu'il n'est pas rare, malheureusement, de trouver voilées chez ceux qui se consacrent, avec dévouement, à ces œuvres :

- Il est certain que celles-ci peuvent soulager et en certains cas supprimer les misères matérielles à l'origine de bien des révoltes dans les masses. Mais l'esprit de Révolution n'est pas issu surtout de la misère. Sa racine est morale et donc religieuse (57). Aussi doit-on encourager, dans les oeuvres en question, la formation religieuse et morale dans la mesure où la nature propre à chacune le justifie, en ayant soin tout spécialement de prémunir les âmes contre le virus révolutionnaire, si actif de nos jours.

- L'Eglise, Mère compatissante, stimule tout ce qui peut soulager les misères humaines. Elle ne nourrit pas l'illusion de pouvoir les éliminer toutes. Et elle prêche une sainte acceptation de la maladie, de la pauvreté et des autres privations.

- Il est certain que, dans ces oeuvres, des occasions précieuses permettent de créer un climat de compréhension et de charité entre patrons et ouvriers. On peut favoriser par là une démobilisation des esprits déjà prêts à la lutte des classes. Mais ce serait une erreur de supposer que la bonté désarme toujours la méchanceté humaine. Les bienfaits innombrables de Notre Seigneur durant sa vie terrestre eux-mêmes ne parvinrent pas à Lui épargner la haine que Lui vouaient les méchants. Bien que dans la lutte contre la Révolution il faille de préférence guider et éclairer les esprits amicalement, il est pourtant clair qu'un combat direct et formel contre ses différentes formes - le communisme par exemple - mené par tous les moyens justes et légaux, est licite et en général indispensable.

- Il faut particulièrement remarquer que ces œuvres doivent inspirer à leurs bénéficiaires ou associés une véritable reconnaissance pour les faveurs reçues, ou quand il ne s'agit pas de faveurs mais d'actes de justice, une réelle estime pour la rectitude morale qui inspire ces  actes.

- Dans les paragraphes précédents, nous avons eu surtout présent à l'esprit l'ouvrier. Il faut souligner que le contre-révolutionnaire n'est pas systématiquement favorable à l'une ou l'autre classe sociale. Défenseur très actif du droit de propriété, il doit cependant rappeler aux classes supérieures qu'il ne leur suffit pas de combattre la Révolution dans les domaines où celle-ci s'attaque à leurs avantages, tout en la favorisant paradoxalement - comme on le voit si souvent -  par la parole ou par l'exemple, dans tous les autres domaines, comme la vie de famille, les plages, les piscines et autres divertissements, la vie intellectuelle, les arts, etc. Une classe ouvrière qui suit leur exemple et accepte leurs idées révolutionnaires sera forcément utilisée par la Révolution contre les élites « semi-contrerévolutionnaires ».

- Il sera également nuisible à l'aristocratie et à la bourgeoisie de se vulgariser dans les manières et l'habillement pour désarmer la Révolution. Une autorité sociale qui se dégrade est, elle aussi, comparable au sel qui ne sale pas. Il ne lui reste plus qu'à être jetée à la rue pour être foulée aux pieds par les passants (58). Dans la plupart des cas, ce sera fait par des multitudes pleines de mépris.

- Tout en se maintenant avec dignité et énergie dans leur situation, les classes supérieures doivent maintenir avec les autres un contact direct et bienveillant. La charité et la justice pratiquées à distance ne suffisent pas pour établir entre les classes des relations d'amour véritablement chrétien.

- Les propriétaires doivent surtout se souvenir que le grand nombre de personnes disposées à défendre la propriété privée (conçue, naturellement, comme un droit individuel doublé d'une fonction sociale) contre le communisme, résulte du principe selon lequel la propriété est désirée par Dieu et intrinsèquement conforme à la Loi naturelle. Or ce principe se rapporte aussi bien à la propriété du patron qu'à celle de l'ouvrier. Par conséquent le principe même de la lutte contre le communisme doit amener le patron à respecter le droit que possède l'ouvrier de recevoir un salaire juste, correspondant à ses besoins et à ceux de sa famille. Il convient de rappeler ceci pour souligner que la Contre-Révolution n'a pas seulement à défendre la propriété patronale, mais celle des deux classes. Elle ne lutte pas pour des intérêts de groupes ou de catégories sociales, mais pour des principes.

 

B. Lutte contre le communisme

Nous faisons référence dans ce sous-titre aux organisations qui ne se consacrent pas principalement à l'édification d'un bon ordre social, mais au combat contre le communisme. Pour des motifs déjà exposés dans ce travail, nous considérons ce genre d'organisation comme légitime et souvent même indispensable. Il est évident que nous ne voulons pas identifier ainsi la Contre-Révolution avec les abus auxquels l'action de certains de ces organismes peut avoir donné lieu, dans l'un ou l'autre pays.

Cependant l'efficacité contre-révolutionnaire de ces organismes peut être considérablement accrue si leurs membres, tout en se maintenant sur leur terrain spécialisé, ne perdent jamais de vue quelques vérités essentielles :

* Seule une réfutation intelligente du communisme est efficace. La simple répétition de slogans est insuffisante, même lorsque ces slogans sont intelligents et habiles.

* Cette réfutation, dans les milieux cultivés, doit être dirigée contre les bases philosophiques les plus profondes du communisme. Il est important de souligner son caractère essentiel de secte philosophique qui tire de ses principes une conception particulière de l'homme, de la société, de l'Etat, de l'histoire, de la culture, etc.; exactement comme l'Eglise tire de la Révélation et de la Loi Morale tous les principes de la civilisation et de la culture catholiques. Entre le communisme, secte qui renferme en soi la plénitude de la Révolution, et l'Eglise, il n'y a donc pas de conciliation possible.

* Les multitudes ignorent le communisme dit scientifique et ce n'est pas la doctrine de Marx qui attire les masses. Auprès du grand public, une action idéologique anticommuniste doit s'attaquer à un état d'esprit très répandu; si répandu que les adversaires même du communisme ont souvent honte de s'y opposer. Cet état d'esprit provient de l'idée, plus ou moins consciente, que toute inégalité est une injustice et que l'on doit supprimer les fortunes moyennes comme les grandes, car s'il n'y avait pas de riches, il n'y aurait pas non plus de pauvres. C'est, comme l'on voit, le résidu de certaines écoles socialistes du XIXe siècle, parfumé d'un certain sentimentalisme romantique. De là naît une mentalité qui, tout en se prétendant  anticommuniste, se qualifie souvent de socialiste. Cette mentalité, de plus en plus puissante en Occident, constitue un danger beaucoup plus grand que l'enseignement même du marxisme. Elle nous amène lentement sur une pente de concessions qui pourront, à l'extrême, transformer en républiques communistes les nations en deçà du rideau de fer. Ces concessions, dans lesquelles on peut entrevoir une tendance à l'égalitarisme économique et au dirigisme, se font de plus en plus remarquer dans tous les domaines. L'activité privée est chaque fois plus étroitement circonscrite. Les impôts sur les successions sont si lourds que, dans certains cas, le fisc est le principal héritier. Les interventions officielles en matière de change, d'exportation et d'importation placent dans la dépendance de l'Etat tous les intérêts industriels, commerciaux et bancaires. L'Etat intervient en tout : dans les salaires, dans les loyers, dans les prix. Il possède des industries, des banques, des universités, des journaux, des radios, des chaînes de télévision, etc. Tandis que le dirigisme égalitaire transforme ainsi l'économie, l'immoralité et le libéralisme  détruisent la famille et préparent ce que l'on a coutume d'appeler l'amour libre.

Sans un combat spécifique contre cette mentalité, l'Occident dans cinquante ou cent ans serait communiste même si un cataclysme engloutissait la Russie et la Chine.

* Le droit de propriété est si sacré que l'Eglise ne pourrait reconnaître la légitimité d'une organisation sociale qui lui donnerait toute liberté et même appui, mais dans laquelle tous les biens seraient collectifs.

 

2. Chrétienté et République Universelle

La Contre-Révolution, ennemie de la République Universelle, n'est pas favorable non plus à la situation instable et inorganique créée par la scission de la Chrétienté et la sécularisation de la vie internationale dans les Temps modernes.

La pleine souveraineté de chaque nation ne s'oppose pas à ce que les peuples qui vivent dans l'Eglise et forment une vaste famille spirituelle constituent, pour résoudre leurs problèmes sur le plan international, des organismes profondément imprégnés de l'esprit chrétien. De tels organismes pourraient être présidés éventuellement par des représentants du Saint-Siège. Il leur serait possible de favoriser la coopération des peuples catholiques pour le bien commun sous tous ses aspects, spécialement en ce qui concerne la défense de l'Eglise contre les infidèles ainsi que la protection de la liberté des missionnaires en terres païennes ou dans des territoires dominés par le communisme. Ils pourraient enfin entrer en contact avec des peuples non-catholiques pour le maintien du bon ordre dans les relations internationales.

Sans nier les importants services que les organismes laïcs ont pu rendre sur ce plan en différentes occasions, la Contre-Révolution doit toujours faire état de la terrible lacune qu'est leur laïcité, ainsi qu'alerter les esprits contre le risque de voir ces organismes se transformer en un germe de République Universelle (59).

 

3. Contre-Révolution et nationalisme

Dans cet ordre d'idées, la Contre-Révolution doit favoriser la conservation de toutes les caractéristiques locales saines, dans tous les domaines, la culture, les coutumes, etc.

Mais son nationalisme n'a pas le caractère d'une dépréciation systématique de ce qui appartient aux autres peuples, ni d'une adoration des valeurs patriotiques comme si celles-ci étaient détachées du grand apanage de la civilisation chrétienne.

La Contre-Révolution désire et ne peut désirer, pour tous les pays, qu'une grandeur: la grandeur chrétienne qui implique la préservation des valeurs propres à chacun, et des rapports fraternels entre tous.

 

4. La Contre-Révolution et le militarisme

Le contre-révolutionnaire doit déplorer la paix armée, haïr la guerre injuste et regretter la course aux armements d'aujourd'hui.

Mais n'ayant pas l'illusion que la paix régnera toujours, il considère comme une nécessité de ce monde d'exil l'existence d'une classe militaire pour laquelle il demande toute la sympathie, la reconnaissance, l'admiration auxquelles ont droit ceux dont la mission est de lutter et de mourir pour le bien de tous (60). 


Notes :

(55) Cf. spécialement Partie I - chap. VII, 2.

(56) Cf. Partie II - chap. XII, 7.

(57) Cf. Léon XIII, encyclique Graves de Communi, du 18/1/1901, Bonne Presse, Paris, vol. VI, p. 212.

(58) Cf. Mt. 5, 13.

(59) Cf. Partie I - chap. VII, 3, A, k.

(60) Cf. Partie I - chap. XII.

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