Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

Chapitre III
 
La IVe Révolution naissante

 

 

 

 

Bookmark and Share

Révolution et Contre-Révolution

Titre original: Revolução e Contra-Revolução

Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III)

Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP

2, avenue de Lowendal 75007 PARIS

Dépôt légal : 4ème trimestre 1997

ISBN: 2-901039-24-3

Le panorama ainsi décrit serait incomplet si nous négligions une transformation interne dans la IIIe Révolution : la IVe Révolution qui en naît actuellement.

En naît, oui, à la manière d'un raffinement matricide. Après son éclosion, la IIe Révolution s'est exacerbée(89), a triomphé et a porté à la première un coup mortel. Le même phénomène se reproduisit quand, par un processus analogue, la IIIe Révolution naquit de la seconde. Tout indique que le moment, à la fois culminant et fatal, où la IIIe Révolution engendre la IVe et s'expose à en être la victime, est maintenant arrivé.

- Dans l'affrontement entre la IIIe Révolution et la Contre- Révolution, le processus générateur de la IVe Révolution aura-t-il le temps de se développer entièrement ? Cette dernière ouvrira-t-elle effectivement une nouvelle étape dans l'histoire de la Révolution ? Ou sera-t-elle simplement un phénomène abortif, qui va surgir et disparaître, sans influence capitale, au cours de cet affrontement ? L'espace plus ou moins grand à accorder à la IVe Révolution naissante, dans ces notes si hâtives et sommaires, dépendrait de la réponse à cette question. Réponse d'ailleurs que seul l'avenir pourra donner de façon définitive.

Il ne convient pas de traiter l'incertain comme s'il avait une importance certaine. Aussi allons-nous consacrer un espace très limité à ce que paraît être la IVe Révolution.

 

1. La IVe Révolution prévue par les auteurs de la IIIe Révolution

C'est bien connu, ni Marx, ni aucun de ses adeptes les plus notoires, les « orthodoxes » comme les « hétérodoxes », n'ont vu dans la dictature du prolétariat le point final du processus révolutionnaire. Elle ne représente selon eux qu'un aspect plus élaboré, plus dynamique, de la Révolution universelle. Dans la mythologie évolutionniste inhérente à la pensée de Marx et de ses partisans, la Révolution n'a pas de terme, de même que l'évolution se déroule à l'infini dans la succession des siècles. De la première Révolution, deux autres sont déjà nées. La troisième à son tour va en engendrer une de plus. Et ainsi de suite...

Il est impossible de prévoir, dans la perspective marxiste, comment serait une Révolution n° XX ou L. II n'est pas impossible, par contre, de prévoir comment sera la IVe Révolution. Les marxistes eux-mêmes ont déjà fait cette prévision.

Ce sera l'écroulement de la dictature du prolétariat à la suite d'une nouvelle crise où l'Etat hypertrophié mourra de sa propre hypertrophie. Il disparaîtra, en donnant naissance à un état de choses scientiste et coopérativiste dans lequel - disent les communistes - l'homme aura atteint un degré de liberté, d'égalité et de fraternité jusque là insoupçonnable.

 

2. IVe Révolution et tribalisme : une éventualité

- De quelle façon ? - Il est impossible de ne pas se demander si la société tribale rêvée actuellement par les courants structuralistes ne répond pas à cette question. Le structuralisme considère la vie tribale comme une synthèse illusoire entre les sommets de la liberté individuelle et du collectivisme consenti, dans laquelle ce dernier finit par dévorer la liberté. Dans un tel collectivisme, les différents « je », les personnes individuelles avec leur intelligence, leur volonté et leur sensibilité, et par conséquent leurs façons d'être caractéristiques et contradictoires, se fondent et se dissolvent dans la personnalité collective de la tribu, génératrice d'un penser, d'un vouloir et d'un comportement fortement communs.

Bien entendu, le chemin vers cet état de choses tribal doit passer par l'extinction des vieux modèles de réflexion, volition et sensibilité individuelles, graduellement substitués par des formes de pensée, de délibération et de sensibilité de plus en plus collectives. C'est donc en ce domaine que la transformation doit principalement avoir lieu.

- Sous quelle forme ?  - Dans les tribus, la cohésion entre les membres est assurée surtout par un « penser » et un « sentir » communs, d'où dérivent des habitudes communes et un vouloir commun. La raison individuelle s'y trouve réduite à presque-rien, c'est-à-dire aux mouvements premiers les plus élémentaires que son état atrophié lui consent : « La pensée sauvage » (90), pensée qui ne pense pas et qui se tourne seulement vers le concret. C'est à ce prix qu'on obtient la fusion collectiviste tribale. Il appartient au sorcier d'entretenir, sur le plan mystique, cette vie psychique collective, au moyen de cultes totémiques chargés de « messages » confus, mais « riches » de feux follets et même de fulgurations provenant du monde mystérieux de la transpsychologie ou de la parapsychologie. C'est par l'acquisition de ces « richesses » que l'homme compenserait l'atrophie de la raison.

Raison naguère hypertrophiée par le libre examen, le cartésianisme, etc., divinisée par la Révolution française, utilisée jusqu'à une exacerbation abusive par toute l'école de pensée communiste, et maintenant, enfin, atrophiée et réduite en esclavage au service du totémisme transpsychologique et parapsychologique...

 

A. La IVe Révolution et le préternaturel

« Omnes dii gentium daemonia » (91) dit l'Ecriture. Dans cette perspective structuraliste, où la magie est présentée comme une forme de connaissance, jusqu'à quel point est-il donné au catholique d'entrevoir les fulgurations trompeuses, le cantique à la fois sinistre et séduisant, émollient et délirant, athée et fétichistement crédule par lequel, le prince des ténèbres attire, du fond des abîmes où il gît éternellement, les hommes qui ont renié Jésus-Christ et son Eglise ?

C'est une question sur laquelle peuvent et doivent discuter les théologiens ; les théologiens véritables, les rares qui croient encore à l'existence du démon et de l'enfer ; et parmi eux, plus rares encore, ceux qui ont le courage d'affronter les railleries ainsi que les persécutions de la propagande, et de parler.

 

B. Structuralisme - Tendances prétribales

Quoi qu'il en soit, dans la mesure où le mouvement structuraliste apparaît, sinon comme une figure exacte, du moins comme un signe avant-coureur de la IVe Révolution, certains phénomènes qui se sont généralisés ces dix ou vingt dernières années, apparaissent à leur tour comme les préliminaires et les forces de propulsion de l'élan structuraliste.

Ainsi, la débâcle des traditions vestimentaires de l'Occident, de plus en plus corrodées par le nudisme, tend évidemment à l'apparition et à la consolidation d'habitudes où ne sera tolérée, dans la meilleure hypothèse, que la ceinture de plumes de certaines tribus, remplacée, là où le froid l'exige, par des couvertures semblables à celles des Lapons.

La disparition rapide des formules de courtoisie ne peut avoir comme point final que la simplicité absolue (pour n'employer que ce qualificatif) des rapports tribaux.

Le dégoût croissant pour tout ce qui est raisonné, structuré et méthodique ne peut conduire, dans ses ultimes paroxysmes, qu'au vagabondage perpétuel et fantaisiste de la vie en forêt, en alternance avec l'accomplissement instinctif et presque mécanique de quelques activités absolument indispensables à la vie.

L'aversion à l'égard de l'effort intellectuel, notamment de l'abstraction, de la théorisation, de la doctrine, ne peut amener, en fin de compte, qu'à une hypertrophie des sens et de l'imagination, à cette « civilisation de l'image » dont Paul VI jugea nécessaire d'avertir l'humanité (92).

D'autres éléments sont également symptomatiques: les éloges idylliques, de plus en plus fréquents, adressés à un type de « révolution culturelle » génératrice d'une société nouvelle post- industrielle, encore mal définie, et dont le communisme chinois serait - comme on le présente parfois - un premier spécimen.

 

C. Contribution sans prétention

Nous savons parfaitement combien les tableaux panoramiques, par nature vastes et sommaires comme celui-ci, sont passibles d'objections.

Nécessairement abrégé par les limites d'espace de ce chapitre, cet exposé offre sa modeste contribution aux élaborations des esprits dotés de cette finesse d'observation et d'analyse, hardie et singulière, qui permet à certains hommes, en tous temps, de prévoir les jours à venir.

 

D. L'opposition des esprits banals

Les autres feront à ce sujet ce qu'ont toujours fait les esprits banals et peu hardis. Ils souriront et taxeront d'impossibles de pareilles transformations, parce que celles-ci sont de nature à modifier leurs habitudes mentales, qu'elles se heurtent au bon sens, et qu'aux hommes banals, le bon sens paraît l'unique voie normale de l'histoire. Ils souriront incrédules et optimistes devant ces perspectives, comme Léon X lui-même a souri à propos d'une vulgaire « querelle de moines », seule chose qu'il ait su discerner dans la Ie Révolution naissante ; ou comme le fénelonien Louis XVI a souri devant les premières effervescences de la IIe Révolution, qui lui étaient présentées dans les splendides salons de ses palais, enveloppées parfois du son argentin du clavecin, ou reluisant discrètement dans les ambiances et les scènes bucoliques du « Hameau » de son épouse. Comme sourient encore aujourd'hui de nombreux hauts représentants, et même parmi les plus élevés, de l'Eglise et de la société temporelle en Occident, optimistes et sceptiques devant les manèges du communisme post-stalinien souriant ou devant les convulsions qui annoncent la IVe Révolution.

Si un jour la IIIe ou la IVe Révolution s'empare de la vie temporelle de l'humanité, assistée dans la sphère spirituelle par le progressisme œcuménique, elle le devra davantage à l'incurie et à la collaboration de ces riants et optimistes prophètes du « bon sens », qu'à toute la hargne des troupes révolutionnaires et de leurs services de propagande. 

*    *    *

Ici s’insère un commentaire de l’auteur en 1992 : 

L'opposition des « prophètes du bons sens »

Prophètes étranges dont les prophéties consistent à déclarer invariablement qu'il « n'arrivera rien » !

Ces différentes formes d'optimisme ont fini par contraster de telle manière avec les faits qui se sont écoulés depuis les éditions précédentes de "Révolution et Contre-Révolution" que, pour survivre, les adeptes de ces théories se sont raccrochés à une fausse espérance, une pure hypothèse : les derniers événements de l'Est européen auraient entraîné la disparition définitive du communisme, et donc du processus révolutionnaire dont celui-ci était, il y a peu de temps encore, le fer de lance. Sur ces espérances, voir dans cette édition les ajouts du chapitre II de cette IIIe partie.  

*    *    *

Suite du texte de 1976 : 

E. Tribalisme ecclésiastique - Pentecôtisme

La sphère spirituelle vient d'être évoquée : bien entendu, la IVe Révolution veut la réduire elle aussi au tribalisme. On peut déjà noter sa façon de le faire dans les courants théologiques et canoniques qui visent à transformer la noble et osseuse rigidité de la structure ecclésiastique - telle que Notre Seigneur Jésus-Christ l'a instituée et que vingt siècles de vie religieuse l'ont modelée - en un tissu cartilagineux, mou et amorphe : des diocèses et des paroisses sans territoire; des groupes religieux où la ferme autorité canonique se voit peu à peu substituée par l'ascendant de "prophètes" plus ou moins pentecôtistes, congénères des sorciers du structuralisme tribal avec lesquels ils finiront par se confondre... comme la paroisse, ou le diocèse progressisto-pentecôtiste s'identifiera forcément à la tribu-cellule structuraliste. 

*    *    *

Ici s’insère un commentaire de l’auteur en 1992 : 

"Dé-monarchisation" des autorités ecclésiastiques

Dans cette perspective, qui tient à la fois de l'histoire et de la conjecture, certaines modifications en soi étrangères à ce processus peuvent apparaître comme des étapes entre le  statu quo pré-conciliaire et l'extrême opposé indiqué ici. Ainsi en est-il, par exemple, de la tendance à la collégialité considérée comme une obligation pour tout pouvoir à l'intérieur de l'Eglise et comme l'expression d'une certaine « démonarchisation » de l'autorité ecclésiastique, qui, à chacun de ses degrés, serait ipso facto beaucoup plus conditionnée qu'auparavant par l'échelon immédiatement inférieur.

Poussé jusqu'à ses extrêmes conséquences, cela pourrait conduire à l'instauration stable et universelle du suffrage populaire dans l'Eglise, qui a été adopté quelquefois par Elle, en d'autres temps, pour remplir certaines charges hiérarchiques. En dernier lieu, dans le cadre rêvé par les tribalistes, cela conduirait à une dépendance insoutenable de toute la hiérarchie par rapport au laïcat, considéré comme le nécessaire porte-voix de la volonté de Dieu: « volonté de Dieu » que ce laïcat tribaliste connaîtrait à travers les révélations « mystiques » de quelque sorcier, gourou pentecôtiste ou mage, de sorte que, obéissant au laïcat, la hiérarchie accomplirait sa mission d'obéir à la volonté de Dieu Lui-même. 

*    *    *

Suite du texte de 1976 : 

3. Devoir des contre-révolutionnaires devant la IVe Révolution naissante

Quand la convergence d'innombrables faits suggère des hypothèses comme celle de la naissance de la IVe Révolution, que reste-t-il à faire au contre-révolutionnaire ?

Dans la perspective de « Révolution et Contre-Révolution », il lui faut d'abord souligner l'importance prépondérante que la Révolution dans les tendances prend dans le processus générateur de cette IVe Révolution et dans le monde qui en découle (93); et se préparer à lutter non seulement dans le dessein d'alerter les hommes contre cette prépondérance des tendances - fondamentalement subversives du bon ordre humain - à laquelle on procède, mais aussi d'utiliser, sur le plan tendanciel, toutes les ressources légitimes et appropriées pour combattre cette même Révolution dans les tendances. II faut enfin observer, analyser et prévoir les nouvelles étapes du processus, pour opposer au fur et à mesure, et aussitôt que possible, tous les obstacles à cette suprême forme de Révolution tendancielle, comme de guerre psychologique révolutionnaire, qu'est la IVe Révolution naissante.

Si la IVe Révolution a le temps de se développer avant que la IIIe Révolution ne tente sa grande aventure, la lutte contre elle exigera peut-être l'élaboration d'un chapitre supplémentaire de « Révolution et Contre-Révolution », et il se pourrait que ce chapitre occupe à lui seul un volume égal à celui consacré ici aux trois révolutions antérieures.

C'est en effet le propre des processus de décadence de compliquer tout, presque à l'infini. Aussi chaque étape de la Révolution est-elle plus compliquée que la précédente, obligeant la Contre-Révolution à des efforts de plus en plus élaborés et complexes.

*    *    *

Nous achevons les présentes considérations sur ces perspectives de la Révolution et la Contre-Révolution, et sur l'avenir de ce travail en fonction de l'une et de l'autre.

Incertain, comme tout le monde, quant au lendemain, nous élevons en priant notre regard jusqu'au trône incomparable de Marie, Reine de l'Univers, tandis que nous viennent aux lèvres, adaptées pour Elle, les paroles que le Psalmiste adresse à Notre Seigneur :

Ad te levavi oculos meus, qui habitas in Coelis. Ecce sicut oculi servorum in manibus dominorum suorum. Sicut oculi ancillae in manibus dominae suae ; ita oculi nostri ad Dominam Matrem nostram donec misereatur nostri (94).

Oui, nous tournons les yeux vers Notre Dame de Fatima, et Lui demandons de nous accorder le plus vite possible la contrition qui obtient les grands pardons, la force pour mener les grands combats, et l'abnégation pour n'avoir aucune prétention dans les grandes victoires qui doivent préluder à l'implantation de Son Règne. Victoires que nous désirons de tout notre coeur même s'il faut pour cela que l'Eglise et le genre humain passent par les châtiments apocalyptiques - mais combien justes, régénérateurs et miséricordieux - prévus par Elle en 1917 à la Cova da Iria. 


Notes :

(89) Cf. Partie I - chap. VI, 3.

(90) Cf. Claude Lévy-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1969.

(91) « Tous les dieux des païens sont des démons » - Ps. 95, 5.

(92) « Nous savons bien que l'homme moderne, saturé de discours, se montre souvent fatigué d'écouter, et pire encore, paraît immunisé contre la parole. Nous connaissons aussi les avis de nombreux psychologues et sociologues, qui affirment que l'homme moderne a dépassé la civilisation de la parole, qui est devenue pratiquement inefficace et inutile ; et qu'il vit, aujourd'hui, dans la civilisation de l'image » (cf. Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, 8/12/1975, Documents Pontificaux, n° 188, Vozes, Petrópolis, 1984, 6e éd., p. 30).

(93) Cf. Partie I - chap. V, a, 3.

(94) « Je lève les yeux vers vous qui habitez les cieux. Voyez : comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres, comme les yeux des servantes sont fixés sur les mains de leurs maîtresses, de même nos yeux sont fixés sur Notre Dame, Notre Mère, jusqu'à ce qu'Elle ait pitié de nous » - Cf. Ps. 122, 1-2.

Suivante

Table des matières

Antérieure


 

ROI campagne pubblicitarie