Préface

Dans la France d'aujourd'hui, il ne se passe rien, pourraient dire certains observateurs superficiels de la vie politique. Ce n'est pas l'avis des socialistes, qui soumettent le pays à une nouvelle Révolution française, au moins aussi profonde et radicale que celle de 1789.[1]

Que nous préparent les socialistes au pouvoir ?

Arrivés au gouvernement en 1981, les socialistes avaient aussitôt mis en route avec fracas un programme ambitieux de transformation de la société : le «projet socialiste pour la France des années 80».

Des résistances inattendues ont surgi. Dès 1982, les signes du déclin se sont multipliés. L'autogestion, qui avait été mise en avant par le PS comme la voile du navire socialiste, a été repliée après une brève lune de miel, pour des raisons qui n'ont pas encore été vraiment analysées par la presse [2].

Après la défaite électorale de 1986 et la période confuse dite de «cohabitation», le gouvernement est tombé à nouveau dans les mains du socialisme. Entre temps, celui-ci a changé de visage. Mitterrand I a cédé la place à Mitterrand II [3].

Si la version 1981 du socialisme est assez connue des Français, la version 1988 apparaît beaucoup plus énigmatique. La France d'aujourd'hui ne sait plus où on la mène. Elle s'endort dans l'illusion que le socialisme n'a plus ni idées ni projets.

« Les idéologies sont mortes», sussurrent les media. «Plus d’idées, plus de dogmes... Cessez de penser, cessez de croire et nous aurons le consensus. Ce `sentir ensemble' nous apportera la paix tant désirée». Voilà l'étrange cantilène des gourous de la France moderne.

«Oui, l’idéologie est morte. Oui, un brouillard troublant masque de plus en plus la frontière entre la gauche et la droite» (l'Evénement du Jeudi, 24/11/88).

Cet écran de fumée, cette confusion anesthésiante peut nous réserver bien des surprises. Comme le déclarait Jack Lang : «En 1981, nous étions des bleus. Aujourd’hui, nous avons enrichi notre pensée, affiné notre pratique» (La Nouvelle République du Centre-Ouest, 28­29/5/88).

Quel est le contenu de cette nouvelle pensée socialiste ? En quoi consiste la pratique ainsi affinée ?

Lors de la Convention nationale de juin 1986, les dirigeants du PS firent le bilan de leur débâcle aux élections législatives. Michel Rocard ouvrit son intervention en ravivant les espoirs avec la victoire concomittante des socialistes en Espagne : «Felipe Gonzalez et le PSOE ont gagné. Donc, c’est possible» (PS info, n° 293, 30/8/86, p. 13).

C'est en effet la voie nouvelle ouverte par le socialisme espagnol qui va donner un deuxième souffle aux socialistes français. Interrogé sur cette question cruciale pour eux, «Y a-t-il encore des idées de gauche ?», Alain Minc, intellectuel néo-socialiste des plus en vue, a eu cette réponse catégorique :

«Ceux qui croient que la gauche est morte avec le programme commun ne lisent donc pas l’espagnol: ignorent-ils que l'aggiornamento de l'an 2000 ne passe plus par le 'Bad Godesberg' des années soixante, mais par la Madrid contemporaine ?» (Le Débat, n° 42, nov.-déc. 1986, p. 98) [4].

Oui, c'est en Espagne que le socialisme a mis au point, comme dans un laboratoire, ses nouvelles méthodes. Comme dit le Vice-Président du gouvernement espagnol, Alfonso Guerra : «Aujourd'hui, l’expérience socialiste espagnole sert de guide et d’expectative pour le socialisme international» (ABC, 19/8/86).

*   *   *

Pour se maintenir au pouvoir malgré la défaveur croissante des idéaux socialistes, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol – PSOE – a jugé nécessaire de mettre en sommeil ou même d'abandonner certaines de ses thèses historiques. Mais d'un autre côté, il attend des résultats plus profonds et durables en employant une stratégie tirée des expériences de mai 68 : la «révolution culturelle».

Cette nouvelle stratégie du PSOE n'a pas résulté d'un effondrement idéologique interne du mouvement socialiste. Elle a été imposée par une nécessité externe : la non acceptation du socialisme de la part de la société espagnole. Les dirigeants du PSOE, mesurant l'incapacité de la propagande et de la doctrine socialistes à gagner du terrain dans l'électorat, ont été amenés à diluer leur image révolutionnaire et idéologique. Sur le plan économique, ils ont même adopté une politique d'apparences néo-libérales.

Un aussi grand et surprenant changement d'image a fortement dérouté les militants traditionnels du socialisme, lesquels forment la base historique politique et syndicale du PSOE. Les leaders du parti, n'osant pas reconnaître ouvertement que les idées socialistes ne passent plus, essayent de surmonter la difficulté en prenant des airs d'a-idéologisme pragmatique.

Leurs sympathisants les plus ardents ne comprennent pas cette manoeuvre et parfois s'y opposent. Le malaise qui s'établit ainsi à l'intérieur du PSOE finit par affecter les mécanismes de l'Etat contrôlés par le parti et, en fin de compte, la vie de la société espagnole. En témoignent les récentes grèves qui ont opposé le gouvernement de Felipe Gonzalez et le syndicat socialiste UGT, en paralysant l'Espagne.

*   *   *

Ce tournant du socialisme est clairement perceptible en France. Il dépasse les limites de cette brève présentation que d'en étudier toute les conséquences. Nous nous limiterons à citer quelques déclarations particulièrement éclairantes sur les intentions actuelles des socialistes au pouvoir.

Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur a écrit un livre («les religions d'un président», Grasset, 1988), pour essayer de répondre à cette question : «A quel prix a-t-il [Mitterrand] pu hâter, dans les mentalités françaises, la révolution qu'il n'a pas su, ou voulu, imposer dans les structures de l’économie ?»

La révolution des mentalités est en effet devenue la préoccupation essentielle des socialistes. Michel Rocard l'a affirmé sans détour lors du Congrès du PS à Toulouse en 1985 : «la transformation qu'il faut poursuivre est celle de notre mode de vie même, elle implique une révolution des mentalités».

«Le socialisme est d'abord un projet culturel», a affirmé François Mitterrand. «L'enjeu de la société n'est pas un enjeu économique ni même politique, mais fondamentalement culturel», a déclaré Jacques Attali (Politique aujourd'hui, mai-juil. 1985, p. 71).

«La culture est aujourd'hui depuis l'éclipse des croyances fondamentales l’un des éléments fondamentaux de la construction de l’individu et de sa citoyenneté. » Elle « est au coeur des transformations sociales fondamentales.» Elle est «un levier formidable pour la réduction des inégalités». (Dialogues pour la culture et la communication, réflexion des socialistes sur l'action culturelle aujourd'hui, n° 13, 1988).

«De même qu'il y eut des despotes éclairés aux XVlllème siècle pour favoriser les lumières, il pourrait y avoir un pouvoir éclairé qui favoriserait la réforme de la pensée». (Edgar Morin, le Monde, 22/9/88).

En 1986, Jack Lang avait clairement désigné pour les lecteurs d'un mensuel de gauche «ce grand changement qui est en train de se frayer la voie : nous sommes au seuil, n’ayons pas peur des mots, d'une révolution culturelle». (Globe, n° 7, mai juin 86).

Révolution culturelle, révolution des mentalités, réforme de la pensée... Le socialisme n'est pas mort. Il est plus que jamais à l'oeuvre. Mais il opère à une profondeur insoupçonnée du public.

C'est en attirant l'attention du lecteur sur cet ensemble de questions que la Société française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété – TFP – présente le résumé du livre «L'Espagne anesthésiée sans le percevoir, baillonnée sans le vouloir, déviée sans le savoir – l’oeuvre du PSOE», éditée par son association-soeur la Société Espagnole pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété - Covadonga. L'oeuvre complète de la TFP espagnole constitue un volume de près de 600 pages, illustré de 300 photographies. Elle est fondée sur l'étude de 25.000 documents de périodiques et revues, dont 1.250 sont cités, et de plus de 400 livres, dont 180 sont cités.

Le présent livre est donc une synthèse à l'usage du public français de cet ouvrage décisif de l'actualité espagnole. Vous découvrirez dans ces pages comment nos voisins ibériques sont soumis à une redoutable expérience-pilote. Vous y verrez comment un gouvernement socialiste conduit la psycho-chirurgie d'une nation chrétienne, avec le concours d'une opposition conciliante, la complicité assez généralisée des media et la complaisance d'une partie du clergé.

Vous pourrez constater comme cette transformation présente de troublantes analogies avec ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays.

Puisse cette vision d'une Espagne «anesthésiée sans le percevoir, bâillonnée sans le vouloir, déviée sans le savoir» contribuer au réveil de la France !


NOTES

[1] Cf. «La prochaine révolution française», long éditorial de Jean-Denis Bredin dans Le Monde (3/1/89).

[2] Voir à ce sujet l'ouvrage publié en 1983 par la TFP française, «Autogestion socialiste : les têtes tombent à l'entreprise, à la maison, à l'école». Il décrit une dénonciation à l'échelle mondiale de l'autogestion du PS qu'elle a menée à partir de décembre 1981 avec ses associations soeurs et autonomes d'Afrique du Sud, Argentine, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Equateur, Espagne, Etats-Unis, Portugal, Uruguay et Venezuela. Cette dénonciation consistait en un Message écrit par le Pr Plinio Corrêa de Oliveira, «le socialisme autogestionnaire par rapport au communisme : obstacle ou tête-de-pont ?» Occupant 6 pages dans les grands quotidiens, il a été intégralement publié dans 52 journaux et revues de 20 pays, totalisant 10.942.000 exemplaires. Par la suite, un résumé de ce Message et un Communiqué à son sujet ont été publiés. L'ensemble de ces publications a atteint le tirage global de 34.767.900 exemplaires, dans 49 pays.

Le socialisme n'a pu manquer de s'apercevoir que l'insistance sur le thème de l'autogestion lui aurait porté un lourd préjudice. L'Histoire dira un jour dans quelle mesure cette dénonciation des TFP a contribué à provoquer ce brusque repli, ainsi décrit dans l'organe du Parti socialiste italien : «la dernière grande étape projectuelle a été celle des années 70, où furent élaborés des plans ambitieux visant l' institutionnalisation de la démocratie industrielle ; plans qui configuraient une nouvelle frontière du socialisme — celle de l'autogestion — mais qui ont été rapidement mis de côté, avec ce résultat qu'aujourd'hui les partis de l'Internationale socialiste se trouvent dans l'embarrassante situation de devoir gouverner, là où ils le font, sans avoir de grand objectif à indiquer» (éditorial de MondOperaio, nov. 1987).

[3] A l'occasion des élections législatives de 1986, la TFP française a dénoncé ce changement d'image, dans un manifeste intitulé : «le new-look des discours de Mitterrand, un coup de barre dans l'ambiguité.»

[4] Bad Godesberg est le lieu du Congrès de 1959 du Parti Socialiste Allemand (SPD), à partir duquel le socialisme a commencé dans ce pays la conquête effective du pouvoir. Dans le vocabulaire politique, ce nom est devenu un symbole de renouvellement et d'efficacité.


 

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