Plinio Corrêa de Oliveira

 

Introduction

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

Antécédents historiques de l'ambiance dans laquelle émerge l'Action Catholique
          En faisant une lecture attentive des documents pontificaux publiés au cours des deux cents dernières années, on remarquera leur référence insistante - parfois dans un langage qui rappelle les anciens prophètes - à un effondrement social catastrophique qui entraînerait la désarticulation et la destruction de toutes les valeurs de notre civilisation.

a) Désorganisation des États libéraux

          La Révolution française était la première confirmation de ces prévisions. Elle introduisit dans le terrain politique une agitation progressive et dévoratrice qui secoua les institutions les plus solides de l'époque et empêcha leur remplacement par d'autres tout aussi durables. Cet incendie politique s’est propagé de la sphère constitutionnelle aux domaines économique et social, et les théories audacieuses promues par des organisations d'ampleur universelle, ont complètement sapé tout sentiment de sécurité dans une Europe bouleversée. Les nuages s'accumulant sur l'horizon étaient tels que Pie XI a pu dire qu'il fallait demander si ce mal universel n’annonçait pas la venue du fils de l'iniquité, prophétisé pour les derniers jours de l'humanité :

          « [Tous ces maux contemporains constituent] un spectacle tellement affligeant qu'on y pourrait voir déjà l'aurore de ce début des douleurs que doit apporter l'homme de péché s'élevant contre tout ce qui est appelé Dieu ou honoré d'un culte. … On ne peut vraiment pas s'empêcher de penser que les temps prédits par Notre Seigneur semblent être proches, où, à cause des progrès incessants de l'iniquité, la charité d'un grand nombre se refroidira » (1).

b) Panique universelle

            En effet, la conflagration mondiale dissipa les derniers vestiges de l'optimisme de l'époque victorienne et mit à nu les plaies hideuses qui couvraient la civilisation contemporaine de haut en bas comme la lèpre. Les âmes trompées par l'apparence fallacieuse et brillante de la société d'avant-guerre, encore tranquillement endormies dans leurs illusions libérales, se sont brusquement réveillées ; et la nécessité de mesures vastes et drastiques de salut pour éviter la ruine imminente est devenue évidente aux yeux de tous. 

c) Dictatures

          Puis les grands leaders des masses humaines se levèrent et se mirent à traîner les foules terrorisées dans un état de délire, et à promettre des solutions simples à travers des réformes législatives les plus diverses. 

d) La catastrophe suprême

          Ce fut précisément le drame du XXe siècle. Les papes avaient proclamé à maintes reprises que seul un retour à l'Eglise permettrait de sauver l'humanité. Toutefois, la solution fut recherchée au dehors de l'Église. Plutôt que de promouvoir la réintégration de l'homme dans le Corps mystique du Christ et, implicitement, sa régénération morale, on a fait une tentative « de défendre la cité sans l'aide de Dieu », un vain effort dont l'échec nous a entraînés aux angoisses mortelles de la présente conflagration [la Seconde Guerre mondiale]. Cette recherche frénétique, désordonnée, hallucinante de n’importe quelle solution, aussi dure soit-elle, pourvu qu'elle ne soit pas la solution qui est le Christ, est la dernière catastrophe de cette chaîne d'erreurs qui, de maillon en maillon, nous a conduits du premier refus de Luther à l'amertume actuelle. Il sera difficile de prédire l'avenir, et ce n'est pas le but de ce livre. De l'exposé fait jusqu’ici, ne conservons que cette notion : la recherche pleine d'anxiété et le désir d'une solution radicale et immédiate, a été la grande préoccupation qui, consciemment ou non, nous a tous saisis au cours des deux dernières décennies de ce terrible XXe siècle. Tels des naufragés, les hommes tentent de saisir un bout de paille qui flotte sur les vagues, en y attribuant des qualités salvatrices.

Le délire du naufrage n’a sur ses victimes que des effets de l'illusion d'être sauvegardés en s’accrochant à la paille. Alors que des moyens appropriés de sauvetage leur sont offerts, les naufragés se jettent furieusement sur eux, les utilisent mal, les détruisent quelquefois par l'ineptie et enfin coulent, au milieu des débris des bateaux qui auraient pu les sauver. 

Pie XI fonde l’Action Catholique :

Espoirs et triomphes

          Cela, malheureusement, c'est ce qui s'est passé avec l'Action Catholique, et dans une mesure non négligeable.

          Doué d'un esprit puissant et éclairé par l'Esprit-Saint, l'immortel Pie XI fit signe au monde avec le grand remède de l'Action Catholique et lui a montré le seul moyen de salut. Combien de dévouements abondants et généreux et d’énergies indomptables l'appel du pontife a été en mesure de relever ! Combien de victoires sûres et durables ont été gagnées dans des zones où toutes les circonstances semblaient présager un effondrement total !

Exagérations

     La certitude que l'Action Catholique offrait un remède aux maux contemporains, ainsi que  l'imminence et la taille des attentes qu’un triomphe universel de l'Action Catholique semblaient avoir suscité, fournirent une raison suffisante pour une grande partie de l'enthousiasme – en des jours bouleversés par la commotion morale la plus profonde -- à se manifester d'une manière moins équilibrée qu’on ne l'aurait souhaité. Des messianismes s’élevèrent avec un pas très nerveux et une passion absolue pour l'action et pour des résultats immédiats qui bannirent le bon sens de certains milieux remplis par ailleurs d'une ferveur généreuse pour l'Action Catholique. Il serait difficile de dire jusqu’à quel point l’action de semer l'ivraie par « l'inimicus homo » a contribué à écarter tant de gens inspirés par les intentions les plus louables dans le domaine des erreurs déjà condamnées par l’Encyclique Pascendi et l'Encyclique contre Le Sillon. La réalité c’est que le messianisme malsain commença à mettre en délire les principes fondamentaux de l'Action Catholique chez certaines âmes. Et puisque des vérités qui se battent en délire sont prêtes à se transformer en erreurs, il ne fallut pas longtemps avant que de nombreux nouveaux concepts commencent à prendre un caractère audacieux et finissent par devenir incontestablement erronés. 

Erreurs :

a) Concernant la vie spirituelle

De tout cela est apparu un ensemble de principes, ou plutôt de tendances, qui diminuent ou éteignent le rôle de la coopération de l'homme en ce qui concerne la piété, en la sacrifiant à une conception unilatérale de l'action de la grâce. La fuite des occasions de péché, la mortification des sens, l'examen de conscience, les exercices spirituels, tout cela a cessé d'être bien compris. En raison de quelques excès réels dans l'utilisation de ces méthodes salutaires, certains ont conclu qu'il était nécessaire de reléguer à l'oubli, voire de combattre ouvertement ce que la sagesse de l'Église avait si clairement loué. Même le Rosaire avait ses détracteurs. L’énumération des conséquences d’autant d'erreurs serait une tâche de longue haleine. 

b) Concernant l’apostolat

De pair avec les conséquences théologiques, et inspirés par les mêmes erreurs, d'autres semblent emporter avec eux une bonne partie des vérités, même providentielles. Sous prétexte de rompre avec la routine, ils parlent d’« apostolat de l'infiltration ». La nécessité de cet apostolat est urgente. Néanmoins, rien ne justifie, au nom de cette vérité désormais aussi ouvertement délirante que les autres, de faire une condamnation radicale de l'ensemble des méthodes d'apostolat ouvertes, audacieuses et sans ambages. On pourrait dire que le respect humain, qui conduit à passer sous silence ou à édulcorer la vérité et éviter tout combat et tout argument, est devenu la source d'inspiration d’une néo-stratégie apostolique. Et cette stratégie, selon les désirs de certains milieux, devrait être la seule à avoir un statut officiellement reconnu dans l'Action Catholique. En même temps, un esprit de concessions illimitées vis-à-vis l'apparition de nouvelles modes et usages, a commencé à prendre forme. En outre, cette attitude elle-même était déguisée comme une grave obligation de faire de l'apostolat dans des milieux que la théologie morale proscrirait à tout catholique qui ne veut pas tomber de la dignité surnaturelle que lui a accordée le Baptême. 

c) Concernant la discipline

Il faut dire, au crédit de notre clergé, qu'il a été noté très tôt que l'autorité du prêtre, si elle était exercée librement dans l'Action Catholique, aurait rapidement freiné la circulation de tant d'erreurs. De là naquit une série de préjugés, de sophismes et d'exagérations dont le fruit est l'élimination systématique de l'influence des prêtres dans l'Action Catholique. Combien de cœurs sacerdotaux saigneront de ces souvenirs douloureux en lisant ces lignes ! Notre clergé sage et pieux a bien mérité la reconnaissance honnête que l'erreur ne peut se développer que sur les débris de son autorité et de son prestige. 

La raison d’être de ce livre

Compte tenu de tout cela, et bien que cet ensemencement d'erreurs n'ait pas été accueilli de façon générale chez l'Action Catholique, cet instrument providentiel que donna Pie XI à l'Eglise, risquait déjà d'être retourné contre son propre but si l'action des groupes, heureusement petits, où l'erreur trouva des adeptes enthousiastes, n'était pas courageusement bloquée.

Une analyse superficielle de cette situation semblerait indiquer qu'il n'appartient pas à des laïcs d'entamer la réfutation de telles erreurs par le biais d'un livre spécialement dédié à ce sujet. Si, toutefois, il s'agit du premier livre sur le sujet, ce n'est pas la première ni la meilleure réfutation des doctrines erronées à propos de l'Action Catholique. Il nous a semblé approprié pour l'honneur et la défense de l'Action Catholique, qu'une réaffirmation claire, filiale et enthousiaste des droits du clergé et, implicitement, de ceux de la hiérarchie, vienne d'un laïc. Ainsi, l'éloquence des événements prouvera que l'Action Catholique est docile à l'autorité et veut le rester avec enthousiasme, et que les particularités doctrinales que nous réfutons ici trouveront la hiérarchie comme les fidèles unis dans un même rejet, rien n’étant plus convenable pour remplir les exigences du décorum de l'Église catholique et de la réputation de l'Action Catholique.

Comme on peut le constater, ce livre n'a pas été écrit pour être un traité sur l'Action Catholique, ou pour donner une idée générale et méthodique du sujet. Il s'agit plutôt d'un travail écrit pour dire ce que l'Action Catholique n'est pas, ce qu'elle ne devrait pas être, et ce qu'elle ne devrait pas faire. Nous avons volontairement assumé cette tâche ardue, car les responsabilités les plus désagréables sont celles que nous devons embrasser avec le plus grand amour dans la sainte Eglise de Dieu. 

L’esprit dans lequel nous l’écrivons

Pourquoi avons-nous entrepris cette lourde tâche ? Une des multiples raisons est l’espoir de séparer de l'erreur tant d'enthousiasme égaré, tant de zèle perdu, tant de dévouement qui nous donnerait la satisfaction la plus ardente fût-il mis au service de l'orthodoxie. Ainsi, c'est avec des mots d'amour que nous clôturons cette introduction. Même si les chardons heurtent nos mains, même si nous ne recevons que de l’ingratitude de ceux au profit desquels nous souhaitons répandre le pain de la bonne doctrine au milieu d'épineux préjugés, nous nous sentirons amplement récompensé de tout, si la valeur de notre sacrifice est utilisée par la Divine Providence pour unir toutes les âmes dans la vérité et dans l’obéissance : « ut omnes unum sint ».

*     *     *

Une objection qui pourrait vraisemblablement être portée contre cette œuvre c’est que les ennemis de l'Eglise pourraient éventuellement exploiter les déviations doctrinales de certains membres de l'Action Catholique.

Son Excellence Mgr José Gaspar de Affonseca e Silva, Archevêque de São Paulo, nous racontait une fois un fait divers qui résout la difficulté de façon claire et nette. L'illustre prélat nous a dit qu'un prêtre français très distingué avait écrit un article de journal dans lequel il avait dénoncé de graves omissions dans une œuvre catholique de son pays. Un journaliste hostile à l'Eglise s’en réjouit, y voyant une preuve que « le catholicisme est mort ». Le prêtre répondit de façon éloquente que le catholicisme montrerait de la faiblesse s'il essayât de trouver une entente avec les erreurs qui se glissaient dans les rangs des fidèles, mais, qu'au contraire, il manifeste de la vitalité lorsqu’il élimine la lie et les impuretés doctrinales qui tentent de s'immiscer parmi eux.

*     *     *

Vérités suaves, vérités austères

Nous ne voudrions pas terminer cette introduction sans une clarification d'une importance capitale. Dans leur grande majorité, les erreurs que nous combattons dans le présent ouvrage se caractérisent par une certaine partialité. Il plaît à beaucoup de gens de ne voir que les douces, suaves et consolantes vérités de la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les sévères mises en garde de Notre Seigneur, ses attitudes énergiques et manifestations parfois terribles au cours de sa vie sont généralement passées sous silence. Bon nombre d’âmes seraient scandalisées – c’est le terme approprié – si elles voyaient Notre Seigneur maniant le fouet pour chasser les vendeurs du Temple, maudissant la Jérusalem déicide, accumulant les récriminations sur Corozaïn et Bethsaïde, ou stigmatisant le comportement et la vie des Pharisiens avec des phrases brûlantes d'indignation.

Néanmoins, Notre Seigneur est toujours le même, toujours aussi adorable, bon, et, en un mot, divin, aussi bien quand il s'écrie : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent », et lorsque, avec la simple affirmation : « C'est moi » adressée aux soldats sur le point de l'arrêter dans le Jardin des Oliviers, il se montre si génial que tous tombent à terre tout à coup : la voix du Divin Maître provoque dans leurs âmes et dans leur corps des effets semblables aux tirs des canons modernes les plus terribles. Quelques âmes trouvent leurs délices - et combien ont-elles raison ! - en contemplant en Notre Seigneur l'admirable douceur de son visage divin lorsqu’il recommanda à ses disciples de préserver dans leurs âmes l'innocence immaculée des colombes. Elles oublient cependant que Notre Seigneur leur conseilla tout de suite de cultiver aussi la ruse du serpent. La prédication du divin Maître pourrait-elle avoir des erreurs, des omissions, ou tout simplement des ombres ? 

Une dangereuse unilatéralité

Qui pourrait admettre cela ? Chassons très loin de nous toute forme de partialité. Voyons Notre Seigneur Jésus-Christ comme les Saints Evangiles nous le décrivent, comme l'Église catholique nous le montre, c'est-à-dire dans la totalité de ses attributs moraux, en apprenant de lui non seulement la douceur, la prudence, la patience, la clémence et l'amour des ennemis, mais aussi sa force, parfois terrible et effrayante, sa combativité  courageuse et héroïque qui s'étendait jusqu’au Sacrifice de la Croix, et sa perspicacité très sainte qui discernait de loin les machinations des pharisiens et réduisait en poussière leurs argumentations sophistiques.

Ce livre a été écrit précisément pour restaurer - dans la mesure de ses maigres forces - l'équilibre rompu dans certaines âmes relativement à ce sujet des plus complexes. Toutefois, avant de prendre position pour les vérités austères, pour les méthodes énergiques et sévères de l'apostolat si souvent prônées par le mot et par l'exemple de Notre Seigneur, et avant de réclamer pour elles la place qu'elles méritent dans l'admiration et la piété des fidèles, nous sommes fiers d'affirmer clairement que l'on peut dire des vérités douces et suaves des Saints Évangiles ce que Saint Thomas d’Aquin dit du très Saint-Sacrement : Nous devrions en faire l'éloge autant que nous pouvons et osons, parce qu'il ne sera jamais assez loué.  

Caractère de ce travail

          Qu’aucune trace d'unilatéralité ne soit donc trouvée dans notre pensée ou notre langage. Qu’à Dieu ne plaise ! Écrit pour lutter contre l'unilatéralisme, ce livre ne saurait pas tomber dans l'excès inverse. Toutefois, étant donné que ni l'espace ni le temps ne nous permettent d'écrire un ouvrage sur l'amour et la sévérité de Notre Seigneur, et comme, d'autre part, les vérités suaves et réconfortantes sont déjà très connues, nous n’avons pris sur nous-mêmes que la tâche la plus désagréable mais urgente d'écrire sur ce que la fragilité humaine conduit les masses plus facilement à ignorer.

          C'est à cause de cet ensemble d'idées, et rien d’autre, que nous nous préoccupons exclusivement des erreurs que nous avons devant nous et n’essayons pas de défendre ces vérités « suaves » que les adeptes de ces erreurs acceptent ... et exagèrent : Il est superflu de se battre pour des vérités incontestables.

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Note :

(1) Pie XI, Encyclique Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928


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