Plinio Corrêa de Oliveira

 

Ière Partie

 

5e Chapitre

Erreurs fondamentales

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

On ne pourra jamais assez souligner ces notions afin d’éviter les généralisations dangereuses, les expressions ambiguës et les illogismes de toutes sortes, qui ont si profondément entravé la clarification de cette question. Tant de facteurs de confusion ne peuvent qu’aboutir à des malentendus, frictions et incompatibilités, divisant ainsi les âmes et rendant presque stérile tout effort pour établir le Royaume de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Il convient aussi de bien noter, cependant, que la paix, selon saint Augustin, est la « tranquillité de l'ordre ». Si nous voulons la paix, rétablissons l'ordre ; et si nous voulons l'ordre, fondons tout sur la Vérité. Ce n'est pas en se taisant, en cachant ou en diluant la vérité, que nous atteindrons la paix. Proclamons-la dans sa totalité. Il n'y a pas d'autre moyen d'atteindre cette si convenable et si convoitée concorde entre les âmes.

Si nous avons insisté longuement sur notre thèse selon laquelle le mandat de l'Action Catholique et la participation qu'elle permet aux laïcs dans l'apostolat hiérarchique de l'Église impliquent uniquement et exclusivement une collaboration avec la hiérarchie, une collaboration docile, filiale et soumise pratiquée sans aucune espèce de regret ou désagrément, c'est parce que nous avions des raisons d'une importance capitale. Nous sommes alarmés non seulement par les erreurs doctrinales contenues dans la thèse que nous réfutons, mais aussi par les incidents les plus déplorables d'ordre pratique dont ils ont été la raison ou le prétexte.

 

Une conséquence des erreurs que nous réfutons

Il a été allégué que l'Action Catholique, en conférant à ses membres une nouvelle dignité, les a placés dans une situation canonique radicalement et fondamentalement différente de celle dont les laïcs ont bénéficié dans les associations avant l'Action Catholique ou dans des organisations étrangères au cadre de ses associations fondamentales.

 

La situation du clergé, jusqu'à présent

Personne n'ignore que dans les associations d'apostolat le prêtre occupe toujours la première place, non seulement du point de vue du simple protocole, mais aussi à cause de son autorité, dont dépendent, et sous laquelle fonctionnent, en dernière analyse, tous les organismes ou sections des organisations religieuses. En d'autres termes, dans une association, le prêtre représente la sainte Eglise, et les dirigeants laïcs sont ses instruments. Ils auront d'autant plus de mérites qu’ils seront dociles dans l'accomplissement de leurs objectifs sociaux. C'est ce qui arrive, par exemple, dans les congrégations mariales et les pieuses unions des Filles de Marie. Le grand respect dû à la dignité sacerdotale, l'avantage évident dont jouit l'Église quand le prêtre exerce une domination prééminente sur toutes les activités sociales, tout cela se réunit pour que dans nos milieux catholiques, le laïc militant estime plus juste et se soucie plus d'obéir aux directives du Père Directeur.

Dans nombre de sodalités, tout comme dans des associations qui fonctionnement dans les écoles, les frères laïcs ou les sœurs moniales ont une situation analogue, quoique inférieure à celle du directeur. La raison en est évidente.

 

Comment l’on cherche à rabaisser et à détruire cette situation

Alors, sur la base de cette « participation » et de ce « mandat », il a été soutenu que les laïcs se rabaissent en obéissant totalement à l'assistant ecclésiastique et que les dirigeants de l'Action Catholique ont une autorité qui leur est propre et qui fait de l'assistant un simple censeur doctrinal des activités sociales. Tant que l'activité n'a rien de contraire à la foi ou à la morale, l'assistant doit garder le silence. En général, aucune distinction n'est faite entre un assistant curé de paroisse et un autre qui ne l'est pas. Quant aux religieux qui ne sont pas prêtres, et aux religieuses, ils doivent tout simplement se taire et disparaître de la scène.

Beaucoup d'âmes confiantes croient qu'avec cela les droits de la sainte Mère l'Église demeurent entièrement sauvegardés. Quelle illusion ! Certes, lorsque des problèmes simplement doctrinaux surviennent dans les activités de l'Action Catholique, l'assistant, en rejetant l’erreur ou le mal, aura fait implicitement triompher la vérité et le bien. Il y a aussi des questions pratiques concernant des menus détails d'exécution, où la doctrine catholique n'est pas directement impliquée et où l'assistant peut normalement ne pas s’impliquer (en conservant toutefois le pouvoir de le faire quand bon lui semble). Mais entre ces deux extrêmes, il y a toute une zone intermédiaire, où ce qui est en jeu n'est pas exactement une question de pure doctrine, mais l'application de la doctrine aux faits, l'observation précise des circonstances concrètes, le discernement de ce qui constitue, à un moment donné, la plus grande gloire de Dieu, et ainsi de suite. L'assistant va sûrement trouver des ressources précieuses, s’il se sert de la perspicacité de laïcs bien formés à clarifier ces questions. Malheur à lui, cependant, s'il ne peut pas dire, en ces matières, le dernier mot !

Puisque la raison des déclarations tellement téméraires était la modification introduite dans l'Action Catholique par le mandat ou la participation, et puisqu'il a été prouvé que ni l'un ni l'autre n’y introduit de modification substantielle, les conséquences s'écroulent à terre. Il n'est pas inutile, cependant, d'imaginer à quelles catastrophes ces conséquences nous conduiraient dans la pratique.

 

Exemples concrets de ce qui en résulterait

Imaginons, par des exemples concrets, la situation qui en résulterait. Prenons le cas d'une paroisse dont le vicaire est également l'assistant ecclésiastique de cellules locales de l'Action Catholique. Avec sa sagesse théologique, son zèle pastoral, et son expérience sacerdotale, et renforcé dans la certitude de ses jugements par la grâce d'état et par la connaissance irremplaçable des besoins des âmes que donne la seule pratique de la confession, ce prêtre voit tous les problèmes, dangers et besoins qui se posent dans le domaine que l'Esprit-Saint a placé sous sa responsabilité. En raison du manque de prêtres, de l'immensité du travail, et de l'imperméabilité de certains groupes à l'influence du prêtre, il sent toute la nécessité - que Pie XI avait vue avec le regard aigu d'un lynx - de multiplier ses propres ressources. Il en fait appel à l'Action Catholique, c’est-à-dire, celle que le Pontife lui-même a appelée « les bras de l'Église ».

Il rassemble, par conséquent, les secteurs paroissiaux de l'Action Catholique. Et aussitôt, le combat commence. L’Action Catholique ne se déplace que grâce à l'impulsion et à l'initiative des laïcs, de sorte que le vicaire doit patiemment argumenter afin de les persuader que les cellules d'Action Catholique de la paroisse doivent recommander qu’une certaine vertu soit préférée à l’autre ; qu'ils devraient combattre les vices enracinés dans la région plutôt que des défauts inexistants ; qu'ils devraient travailler pour réparer l'église de la paroisse plutôt que le dispensaire ; qu'ils devraient construire un dispensaire, plutôt qu’un centre pour les associations ; qu'ils devraient construire un centre pour les associations plutôt que rien du tout.

Comme aucune de ces questions n'engage la foi ou la morale, en fin de compte c’est l'Action Catholique qui décidera de l'opportunité, de la viabilité et de l'utilité des plans du curé, tandis que lui, qui n’a le droit de veto que dans des questions de foi et morale, attend patiemment le verdict des nouveaux agents de la hiérarchie, ou la participation de leurs éléments, qui vont lui indiquer si son projet sera exécuté ou non, et, dans l'affirmative, dans quelle mesure et par quels moyens. Il suffit d’avoir une petite idée de l'autorité et des responsabilités confiées aux curés des paroisses par le droit canonique pour comprendre l'absurdité de cette situation, et pour voir que le simple rôle de censeur est loin de fournir au curé les moyens d'action nécessaires pour remplir ses fonctions et supporter l’écrasant fardeau inhérent à sa charge. En outre, une situation tellement erronée pourrait facilement friser le ridicule, si l'on pense à certaines petites paroisses du pays, où le curé lui-même est aux prises avec les directeurs et directrices locales de l’Action Catholique, dont le niveau culturel, dans certaines régions, ne sera pas supérieur à celui strictement nécessaire pour la lecture d'un livre de cuisine ou pour faire la comptabilité de la taverne locale.

Nous reviendrons sur ce sujet plus tard. Pour l'instant, nous continuerons à montrer les conséquences terribles de cette étrange doctrine.

 

Sommes-nous en train de revenir à l'époque des confréries « maçonifiées » ?

Le lecteur a certainement perçu l'analogie entre la situation qu’attend l'assistant ecclésiastique dans l'Action Catholique et celle de l'autorité ecclésiastique dans les anciennes confréries « maçonifiées ».

Dans les cellules de l'Action Catholique comme dans les anciennes confréries maçonifiées, la clarté des limites subtiles entre le spirituel et le temporel peut être facilement perturbée par des arguments spécieux, comme ce fut le cas pour la Fraternité du Saint-Sacrement dans sa rébellion contre l'évêque Vital Maria Gonçalves de Oliveira, parce qu'elle refusait d'exclure ses membres maçons :

« L'existence et le but d'une fraternité », disait-elle, « sont des actes volontaires de ses associés et, pourvu que les lois du pays et de l'Eglise soient respectées, seuls les frères membres ont le droit de proposer un changement ou une modification des normes qui la régissent, conformément à leurs intérêts et à leur expérience ».

Le Conseil d'Etat Impérial conclut dans le même sens, donnant au gouvernement la part du lion, et déclarant que

« la constitution organique des fraternités au Brésil étant sous la juridiction de l'autorité civile, et l'approbation et la supervision du côté religieux étant le seul domaine relevant du prélat du diocèse, il n’était pas de la compétence du révérend évêque d’ordonner à la Fraternité d'exclure aucun de ses membres en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie, et il ne pouvait donc pas s’appuyer sur cette « désobéissance » pour déclarer l’interdiction de la Fraternité ».(1)

Les erreurs qui se propagent à présent sur l'Action Catholique, menacent de nous conduire à cette situation extrêmement triste. Quelle caricature du grand rêve de Pie XI !

 

Une de nos plus belles traditions va-t-elle disparaître sous nos applaudissements ?

Une fois qu’il ne reste au prêtre que sa fonction de censeur, il est évident que sa situation dans l'environnement paroissial change radicalement. Jusqu'à présent, les coutumes et les pieuses traditions de notre peuple ont toujours réservé au prêtre une situation unique dans n'importe quelle ambiance où il se trouve. Dans les réunions d'associations religieuses, les manifestations civiques, et même dans les cérémonies purement temporelles auxquelles il lui arrive d'être présent pour des raisons complètement extérieures à son ministère, le prêtre reçoit une place d’évidente primauté. Un coup d’œil rapide aux photographies d'événements festifs dans toute collection de journaux, et pas seulement ceux catholiques, suffit pour vérifier combien cela est vrai. Ce que nos aînés ont perçu, et qui est encore perçu aujourd'hui, même dans des ambiances où ne survivent que de vagues et rares traditions religieuses, certains théoriciens de la modernisation de l'Action Catholique ne le perçoivent pas ; et l'un d'eux nous a déjà déplu avec son éloge éhonté d’un certain pays européen où le prêtre n'occupe plus la place centrale dans le protocole des cérémonies de l'Action Catholique, mais plutôt celle d'un complice obscur et lointain.

 

L'autorité du curé et des directeurs d'école sera-t-elle mutilée ?

Si nous sommes logiques dans l'élaboration de cette doctrine, nous devons aller plus loin. Si le prêtre se retrouve avec un rôle de simple censeur doctrinal des activités de l'Action Catholique, il est évident que la nomination des membres du conseil d'administration des différentes cellules paroissiales, leur éventuelle suspension, l'admission des membres, et ainsi de suite, relèvera de l'initiative exclusive des laïcs eux-mêmes, le prêtre n'étant autorisé qu'à s'opposer à des candidats contraires à la foi ou aux mœurs. Le curé ne pourra pas sélectionner ceux qui lui paraissent les plus dociles, les plus zélés, les plus capables ou les plus influents. Ses collaborateurs naturels ne seront pas librement choisis par lui ; et alors que dans tous les gouvernements de la terre la sélection des collaborateurs immédiats est considérée comme une prérogative inhérente à l'exercice du pouvoir, le gouvernement paroissial, désormais, en sera une exception.

Certains éléments sont tellement imprégnés de cette notion de supériorité qu'ils n'hésitent pas à remédier aux « insuffisances » de nombreux curés, en installant des cellules d'Action Catholique dans leurs paroisses contre la volonté de ces derniers !

Le même phénomène se produit dans les écoles et les associations. Nous connaissons le cas d'un établissement où les cellules d'Action Catholique ont été fondées dans la clandestinité car son directeur ecclésiastique « pourrait » refuser d'approuver leur mise en place immédiate. Un prêtre vénérable et illustre, directeur d'une école, nous a dit qu’il reçut une fois la visite d'un jeune homme qui venait lui notifier la Fondation de la Jeunesse Etudiante Catholique dans son école. Le respectable directeur considéra que son autorisation était nécessaire et qu'il n'était pas enclin à la donner à une personne inconnue. La réponse fut immédiate : « Mon père, j'ai le mandat de l'Action Catholique ».

Cela, a fortiori, c’est le traitement offert aux religieux qui ne sont pas prêtres. Ainsi, alors que la tradition et le sens de la bienséance dans les associations de piété, qui existaient jusqu'à présent dans les écoles et ailleurs, conféraient aux religieuses et aux frères le statut de vice-directeurs, ils sont maintenant sévèrement proscrits des réunions de l'Action Catholique par certains théoriciens, toujours sous prétexte qu'ils ne possèdent pas de mandat. Et ces doctrines se multiplient ! Nous connaissons le cas d'une association féminine de l'Action Catholique qui, réunie dans une école tenue par des religieuses, a demandé le retrait de toutes les religieuses du lieu de réunion comme condition pour que le travail commence. La différence essentielle entre l'Action Catholique, et des associations pieuses comme les sodalités, congrégations mariales, Ligues de Jésus, Marie et Joseph, et similaires, se trouve, pour ces théoriciens, précisément dans ce « self-government », une conséquence du mandat unique de l'Action Catholique. Ces associations ne disposeraient pas d'un mandat et seraient dépendantes sans restriction de leurs directeurs ecclésiastiques respectifs, tandis que les laïcs, élevés par le mandat de l'Action Catholique à la catégorie de participants dans la hiérarchie, ne dépendraient que de façon négative de l'assistant ecclésiastique, relégué au rôle de simple censeur.

Nous ne voulons pas sortir du thème central de ce livre, c'est-a-dire, l'Action Catholique. Il ne serait pas superflu, cependant, de rappeler que l'interprétation audacieuse et sans fondement de ce qu’ont écrit certains théologiens sur le « sacerdoce passif » des laïcs contribue, dans une large mesure, à créer ces écarts.

Tout cela trouve son expression générale dans la déclaration suivante qui pourrait bien être la devise de ces doctrines : « Il ne faut pas que l'Action Catholique soit une dictature des prêtres et des religieuses ».

 

À quoi l’autorité des évêques sera-t-elle réduite ?

Pressé par la clarté éclatante de certains documents pontificaux, ils reconnaissent, bien sûr, que l'Action Catholique, quoiqu'indépendante du clergé, dépend néanmoins des évêques. Ils comprennent même que le mandat reçu a pour effet de lier l'Action Catholique, par-dessus la tête du curé, directement à l'évêque, dont elle est un prolongement juridique. Par conséquent, ils estiment que seul l’évêque peut célébrer la cérémonie de la réception des membres de l'Action Catholique avec les honneurs dus. Malgré tout cela, puisque le décorum de la sainte Église exige que personne dans un secteur spécifique de l'Action Catholique ne puisse être plus dans la confiance de l'évêque que l'assistant ecclésiastique ; étant donné que les fonctions de l'assistant sont comprises de façon absolument restreinte ; compte tenu, d'autre part, que l'évêque ne peut être présent partout, surtout dans un pays avec des diocèses si vastes que le Brésil ; étant donné, enfin, que l'évêque ne peut pas connaître personnellement tous les laïcs de confiance dans les paroisses de son diocèse; le résultat est que l'autorité de l'évêque reste, en pratique, presque entièrement annulée. Et pas seulement en pratique. Les exagérations doctrinales que nous avons évoquées ci-dessus concernant le sacerdoce « passif » des laïcs ont profondément miné ou déformé dans certaines âmes le respect dû aux évêques. Le Boletim Oficial da Ação Católica Brasileira (Rio de Janeiro) de juin 1942 relate le cas typique d'un jeune homme qui écrit à un vénérable évêque : « veuillez accepter, monsieur l’évêque, l’accolade de votre collègue dans le sacerdoce ».

Il ne serait pas nécessaire d'en dire autant pour comprendre que la doctrine de l'incorporation des laïcs à la hiérarchie ou à des fonctions hiérarchiques par le mandat de l'Action Catholique, contient en son sein des conséquences d'une importance incommensurable, et, en raison de sa nature même, facilite, flatte, et stimule la tendance naturelle de l'homme à la rébellion. Sera-t-il facile d'extirper ce poison lorsqu’il aura pénétré et conquis les masses ? Qui oserait se nourrir d’une telle illusion ?

Dieu merci, aucune modification n'a été faite, comme nous l'avons montré, à la nature du statut des laïcs inscrits à l'Action Catholique, de sorte que tous les délires fiévreux qui présentaient cette altération comme leur motif ou prétexte sont tombés au sol. Le laïc de l'Action Catholique doit se sentir honoré de rendre à l'assistant ecclésiastique une complète et entière obéissance.

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Note :

(1) Antonio Manoel dos Reis, O Bispo de Olinda perante a História, 1879, pp. 70 et 132.


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