Plinio Corrêa de Oliveira

 

IVème Partie

 

Chapitre IV

Les associations neutres

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

En étroite relation avec le sujet précédent, nous trouvons le problème des associations interconfessionnelles ou neutres. 

Les données du problème

Comme chacun le sait, certaines associations de classe, comme les syndicats, les associations de bienfaisance, etc. peuvent revêtir deux aspects différents. Elles peuvent se montrer clairement catholiques ou diluer leur caractère catholique derrière quelque titre purement temporel. Laquelle de ces deux attitudes doit-on préférer ?

Au moins à première vue, la solution au problème pourrait sembler complexe. Chacune de ces attitudes présente ses propres avantages et inconvénients.

D'une part, les œuvres de nature clairement et officiellement catholique comportent une élaboration plus déclarée et positive et donc une action plus efficace. D'autre part, des travaux ayant une apparence entièrement laïque profitent parfois de ressources plus généreuses de la part des autorités et des donateurs privés, et sont en mesure d'avoir une portée plus grande, empêchant le nom catholique de repousser les gens avec des préjugés anticléricaux et ainsi de suite. En outre, leurs statuts ne nécessiteraient pas  comme condition d'adhésion d'être catholique. Comment résoudre ce problème ? Quel type d'organisation doit-on préférer ?

Comme vous pouvez le voir, nous sommes ici encore confrontés de manière particulière  au problème de la tactique du « terrain d’entente » et de « l'apostolat d'infiltration ». Nous connaissons des gens qui poussent leur libéralisme dans cette question à l'extrême, au point de préférer que des syndicats catholiques ne soient pas fondés pour qu'à la place, les catholiques puissent infiltrer les syndicats communistes pour tenter d’y convertir leurs membres.

 

La solution

À la lumière des principes que nous avons exposés, la solution doit être comme suit :

1. Il sera toujours préférable de fonder des œuvres clairement catholiques. Même si on doit essuyer des pertes graves, les avantages spirituels compenseraient largement ces inconvénients. En ce sens, le Saint-Père Pie X a écrit une lettre remarquable au comte Medolago Albani, citée dans la 4e partie, 1er Chap.

2. S'il devient absolument impossible de fonder des œuvres clairement confessionnelles en raison de certains dispositifs juridiques ou d'un manque quasi total de population catholique dans certaines zones, des œuvres sociales sans dénomination catholique officielle peuvent être fondées avec fruit.

3. En tout cas, et en l’absence d’autres facteurs, préférer les associations neutres à celles officiellement catholiques est révélateur d'une mentalité libérale et naturaliste.

En effet, cette préférence provient presque toujours d’un zèle immodéré pour résoudre les problèmes sociaux de nature plutôt économique et d'une soif de réalisations immédiates et tangibles, comme la construction de grands orphelinats, asiles, hôpitaux et ainsi de suite. Le caractère confessionnel du mouvement est sacrifié à ces objectifs dans l'espoir d'obtenir un plus grand soutien financier de certains milieux. Mais cet accroissement d'avantages temporels conduit à l’abandon de choses spirituelles importantes. Les associations confessionnelles sont plus aptes à favoriser la persévérance des bons et permettent un apostolat plus ouvert et efficace avec les pécheurs, les hérétiques ou les infidèles. Ainsi, comme le dit Pie XI, les maux matériels et transitoires sont corrigés pendant que les maux spirituels et éternels - les plus graves - sont négligés.

« On ne peut assurément concevoir de pauvreté et d'indigence, de débilité, de faim ou de soif plus grandes que celles des âmes privées de la connaissance et de la grâce de Dieu; à ceux donc qui témoignent leur miséricorde aux plus dénués de tous les hommes, il est évident que la miséricorde et les récompenses divines ne sauraient faire défaut ». (1)

Nous allons encore mentionner quelques textes pontificaux plus aptes à faire valoir nos opinions et ainsi compléter la très concluante documentation déjà citée.

Léon XIII dit :

« Tel est précisément le motif pour lequel Nous n'avons jamais engagé les catholiques à entrer dans des associations destinées à améliorer le sort du peuple ni à entreprendre des œuvres analogues, sans les avertir en même temps que ces institutions devaient avoir la religion pour inspiratrice, pour compagne et pour appui ». (2)

Ne pensez pas, cependant, que « compagne » et « inspiratrice » n’ont qu’une signification symbolique. Dans les syndicats catholiques, par exemple, il n’y a pas que de simples questions économiques qui doivent être prises en charge. La Sacrée Congrégation du Concile recommande qu'ils doivent « pourvoir plus efficacement à l'éducation syndicale chrétienne de tous les membres » et en outre, organiser des « semaines d'exercices spirituels, afin d'imprégner l'action syndicale d'esprit chrétien, fait de charité, de justice et modération ». (3)

Et pourquoi avoir des exercices spirituels dans des syndicats travaillistes ? La réponse est claire.

« Ceux qui président à des institutions dont le but est de promouvoir le bien-être des travailleurs doivent se rappeler que rien n'est plus approprié que la religion afin de garantir le bien-être général, la concorde et l'harmonie entre toutes les classes, et que la charité chrétienne est le meilleur lien entre eux. Ceux qui ont l'intention d'améliorer le bien-être d'un travailleur en l'aidant seulement à acquérir les biens éphémères et fragiles de ce monde et négligent de pousser les âmes vers la modération par l'affirmation de leurs devoirs de chrétiens, rendraient un très mauvais travail pour le bien-être des travailleurs ». (4)

« L'Église veut que des organisations syndicales faites par les catholiques pour les catholiques soient établies chez les catholiques, mais sans ignorer que des circonstances exceptionnelles peuvent les obliger à agir autrement. Les catholiques doivent de préférence s’associer avec des catholiques, à moins qu’ils soient forcés par la nécessité d’en faire autrement. C'est un point très important pour la sauvegarde de la Foi ». (5)

Ces lignes directrices sont si actuelles, que la Sacrée Congrégation du Concile, dans une lettre adressée à Mgr. Liénart, le 5 juin 1929, a écrit :

La Sacrée Congrégation du Concile « n'a pas pu ne pas relever que, bien qu'individuellement les dirigeants du Consortium fassent ouvertement profession de catholicisme, ils ont constitué de fait leur association sur le terrain de la neutralité. A ce propos, il est bon de leur rappeler ce qu'écrivait Léon XIII : « Les catholiques doivent s'associer de préférence à des catholiques, à moins que la nécessité ne les contraigne à agir différemment. C'est là un point très important pour la sauvegarde de la foi » (Léon XIII, Lettre Longinqua Oceani aux Evêques des Etats-Unis, 6 Janvier 1895).

« S'il n'est pas possible, pour le moment, de former des syndicats patronaux confessionnels, la S. Congrégation estime cependant nécessaire d'attirer l'attention des industriels catholiques, spécialement de ceux qui font partie de l'Association chrétienne des Patrons du Nord, sur leur responsabilité personnelle dans les résolutions qui sont prises, afin qu'elles soient conformes aux règles de la morale catholique et que les intérêts religieux et moraux des ouvriers soient garantis, ou du moins ne soient pas lésés. Qu'ils aient particulièrement à cœur d'assurer, de la part de leur Commission intersyndicale, les égards dus selon l'équité aux syndicats chrétiens, en leur faisant un traitement sinon meilleur, du moins égal à celui qui est fait aux autres organisations nettement irréligieuses et révolutionnaires. ».

Le Saint-Père Pie X a également développé la même doctrine :

« Quant aux associations ouvrières, bien que leur but soit de procurer des avantages temporels à leurs membres, celles-là cependant méritent une approbation sans réserve et doivent être regardées comme les plus propres de toutes à assurer les intérêts vrais et durables de leurs membres, qui ont été fondées en prenant pour principale base la religion catholique et qui suivent ouvertement les directions de l'Eglise; Nous l'avons fréquemment déclaré Nous-même lorsque l'occasion s'en est offerte dans un pays ou l'autre. Il  s'ensuit qu'il est nécessaire d'établir et de favoriser de toute manière ce genre d'associations confessionnelles catholiques, comme on les appelle, dans les contrées catholiques, certes, et, en outre, dans toutes les autres régions, partout où il paraîtra possible de subvenir par elles aux besoins divers des associés.

« Que s'il s'agit d'associations touchant directement ou indirectement à la religion et à la morale, ce serait faire œuvre qui ne pourrait être approuvée d'aucune façon, dans les pays susmentionnés, que de vouloir favoriser et propager des associations mixtes, c'est-à-dire composées de catholiques et de non-catholiques. En effet, pour Nous borner à ce point, c'est incontestablement à de graves périls que les associations de cette nature exposent ou peuvent certainement exposer l'intégrité de la foi de nos catholiques et la fidèle observance des lois et préceptes de l'Eglise catholique. (...)

« Cependant, en parlant ainsi, Nous ne nions pas qu'il soit permis aux catholiques, toute précaution prise, de travailler au bien commun avec les non-catholiques, pour ménager à l'ouvrier un meilleur sort, arriver à une plus juste organisation du salaire et du travail, ou pour toute autre cause utile et honnête. Mais, en pareil cas, Nous préférons la collaboration de Sociétés catholiques et non-catholiques unies entre elles au moyen de ce pacte heureusement imaginé qu'on appelle un Cartel ». (6)

Le Saint-Siège demande que les plus grandes précautions soient prises dans une telle collaboration. Ses instructions dans ce sens sont définitives. Une lettre de la Sacrée Congrégation du Concile à Mgr Liénart, évêque de Lille, daté le 25 juin 1929, déclare :

« Pour ce qui regarde la constitution, à titre exceptionnel, de ce que l'on appelle un cartel intersyndical, entre syndicats chrétiens et syndicats neutres ou même socialistes, pour la défense d'intérêts légitimes, qu'on se rappelle toujours qu'un tel cartel n'est licite qu'à la condition qu'il se fasse seulement dans certains cas particuliers, que la cause qu'on veut défendre soit juste, qu'il s'agisse d'accord temporaire et que l'on prenne toutes les précautions pour éviter les périls qui peuvent provenir d'un tel rapprochement ».

Cela ne signifie pas que, dans certaines circonstances et « tant que de nouvelles circonstances n'auront pas rendu cette tolérance ou inopportune ou illégitime » des associations professionnelles mixtes ne peuvent pas être tolérées, mais la tolérance ne peut durer que tant que « des précautions spéciales soient prises pour éviter les dangers qui, ainsi que Nous l'avons dit, sont inhérents aux associations de cette nature ». (7)

Quels sont réellement les syndicats mixtes auxquels les catholiques peuvent se joindre ?

« Il est nécessaire que ces mêmes Syndicats — pour qu'ils soient tels que les catholiques puissent s'y inscrire — s'abstiennent de toute théorie et de tout acte ne concordant pas avec les enseignements et les ordres de l'Eglise ou de l'autorité religieuse compétente, et qu'il ne s'y rencontre rien de tant soit peu répréhensible de ce chef ou dans leurs écrits, ou dans leurs paroles, ou dans leurs actes. Aussi, que les évêques placent au rang de leurs devoirs les plus sacrés d'observer avec soin la manière dont se comportent ces Syndicats, et de veiller à ce que les catholiques ne souffrent aucun dommage de leurs rapports avec eux ». (8)

Alors que les associations mixtes peuvent être tolérées aussi longtemps que les circonstances l'exigent, et les associations catholiques sont hautement approuvées, voici le dernier mot de l'Église dans cette affaire :

« D'une part, il ne serait permis à personne d'accuser de foi suspecte et de combattre à ce titre ceux qui, fermes dans la défense des doctrines et des droits de l'Eglise, veulent cependant, avec des intentions droites, appartenir aux Syndicats mixtes et en font partie, là où les circonstances locales ont conduit l'autorité religieuse à permettre l'existence de ces Syndicats sous certaines conditions; de même, d'un autre côté, il faudrait réprouver hautement ceux qui poursuivraient de sentiments hostiles les associations purement catholiques — alors qu'au contraire on doit de toute manière aider les associations de ce genre et les propager, — ainsi que ceux qui voudraient établir et presque imposer le Syndicat interconfessionnel, et cela même sous le spécieux prétexte de réduire à un seul et même type toutes les Sociétés catholiques de chaque diocèse ». (9)

Pour résumer ces principes en les réaffirmant, le même Souverain Pontife a déclaré :

« Dites clairement que les associations mixtes et les alliances avec de non-catholiques pour le bien-être matériel sont permises sous des conditions déterminées, mais que les prédilections du Pape vont aux unions de fidèles qui, ayant banni tout respect humain et fermé les oreilles à toute flatterie ou menace en sens contraire, se serrent autour du drapeau qui, si combattu qu'il soit, est le plus beau et le plus glorieux, parce que c'est le  drapeau de l'Eglise ». (10)

On n’insistera jamais assez sur le fait que l'Eglise ne fait que tolérer les associations neutres. En renforçant tout ce qu'il a écrit, Pie X définit les associations neutres comme n’étant « non illicites, sous des conditions et garanties précises, en des pays déterminés, et uniquement en égard aux circonstances particulières où ils se trouvent ». (11)

Tel est la doctrine clairement définie à plusieurs reprises par le Saint-Siège. De toute évidence, elle implique la faculté d'évaluer les situations concrètes, ce qui donne inévitablement à de nombreuses personnes une occasion de penser qu'elles sont en droit de prétendre que de telles circonstances sont fréquentes chez nous.

Pour les esprits sereins et impartiaux, le cas est complètement différent. « Roma locuta, causa finita est ». Les paroles de l'Apôtre ne perdent jamais leur valeur : « Écarte celui qui est hérétique, après un premier et un seconde avertissement, sachant qu'un homme de cette espèce est perverti, et qu'il pèche, condamné par son propre jugement » (Tite 3,10-11). C'est le sentiment qui doit habiter tout vrai catholique dans cette affaire. Quelle différence entre le désir obsessionnel de collaborer avec les méchants, souvent remarqué dans certains milieux ! Ceux qui veulent placer leurs efforts en commun avec les infidèles sous une seule autorité ne le font pas en raison de situations exceptionnelles, mais menés par un désir, parfois inconscient, d'effacer la ligne de démarcation entre le bien et le mal. Ils oublient ce qu’a dit l'Apôtre :

« Ne portez pas un même joug avec les infidèles ; car quelle union y a-t-il entre la justice et l'iniquité ? ou quelle association entre la lumière et les ténèbres ? Ou quel accord entre le Christ et Bélial ? ou quelle part entre le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ?  Car vous êtes le temple du Dieu vivant, comme Dieu le dit : J'habiterai au milieu d'eux, et Je marcherai parmi eux ; Je serai leur Dieu, et ils seront Mon peuple. C'est pourquoi sortez du milieu d'eux et séparez-vous-en, dit le Seigneur, et ne touchez point à ce qui est impur ; et Je vous recevrai, Je serai votre père, et vous serez Mes fils et Mes filles, dit le Seigneur tout-puissant » (2 Cor 6,14-18).

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Notes :

(1) Pie XI, Encyclique Rerum Ecclesiae, 28 février 1926 : Actes de S.S. Pie XI, Tome III, pages 155 et 156.

(2) Encyclique Graves de Communi, 18 janvier 1901.

(3) Lettre de la Congrégation du Concile à Mgr Liénart, 5 juin 1929.

(4) Lettre de Bénédict XV à l’évêque de Bergamo, 11 mars 1920.

(5) Léon XIII, Encyclique Longinqua, à l’Episcopat américain, 6 janvier 1895.

(6) Pie X, Encyclique Singulari quadam, 24 septembre 1912 : Actes de S.S. Pie X, Bonne Presse, Éditions de « La Documentation Catholique », Paris,  tome VII, pages 274 et 275.

(7) Pie X, op.cit. : Actes de S.S. Pie X, Bonne Presse, Éditions de «La Documentation Catholique», Paris,  tome VII, page 276.

(8) Pie X, op.cit. : Actes de S.S. Pie X, Bonne Presse, Éditions de «La Documentation Catholique», Paris,  tome VII, pages 277 et 278.

(9) Pie X, op.cit. : Actes de S.S. Pie X, Bonne Presse, Éditions de « La Documentation Catholique », Paris,  tome VII, page 279.

(10) Pie X, Allocution aux nouveau cardinaux du 27 mai 1914 : Actes de S.S. Pie X, Bonne Presse, Éditions de « La Documentation Catholique », Paris, Tome VIII, page 67.

(11) Lettre à Mgr Piffl de l’Union Populaire Catholique de Vienne, 26 janvier 1914, tome VIII, page 122.


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