Plinio Corrêa de Oliveira

 

IIIème Partie

 

Chapitre III

Les Associations auxiliaires –

l’« Apostolat de conquête »

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

Le seul point restant à traiter dans cette partie du livre est la question de la relation de l'Action Catholique avec les associations auxiliaires et le problème de l'apostolat de conquête.

 

Le problème

Encore une fois, la perspective devant nos yeux est très claire. D'une part, d'innombrables documents pontificaux affirment que les associations religieuses sont de « vraies et providentielles auxiliaires de l'Action Catholique », comme le disait Pie XI ; et si nombreuses étaient les affirmations semblables de ce grand pontife, qu'il serait difficile de les citer toutes. Aussi le Pape Pie XII, dans son mémorable allocution sur l'Action Catholique du 5 septembre 1940, a consacré une section entière à l'harmonie exemplaire qui doit exister entre l'Action Catholique et les associations auxiliaires.

Dans le même ordre d'idées, on pourrait aussi mentionner les statuts de l'Action Catholique brésilienne, qui imposent aux associations auxiliaires l'obligation de collaborer avec l'Action Catholique. Il s'agit donc pour chacune d'entre elles non seulement d’un devoir mais aussi d’un droit. Enfin, le Conseil Plénier du Brésil, dans de nombreux décrets, a félicité, conseillé et même imposé la constitution d'associations, qui, en dernière analyse, sont des auxiliaires de l'Action Catholique.

D'autre part, nous notons dans certaines associations un entêtement inexplicable à refuser de collaborer avec l'Action Catholique et dans certains cas, même à l'ignorer complètement. Pour leur part, certains éléments de l'Action Catholique défendent l'erreur inverse et affichent une volonté systématique de se passer complètement de toute collaboration de la part des associations auxiliaires, la rejetant avec dédain, aussi généreuse soit-elle. Ces deux positions extrêmes et passionnées doivent être évitées avec la plus grande assurance, car si le moindre doute subsistait sur cette question, l'allocution du Pape Pie XII l’aurait dissipé complètement.

 

Les associations auxiliaires ne doivent pas disparaître

Tout d'abord, il faut dire que la prétention que les associations auxiliaires doivent éventuellement être dissoutes pour des raisons que le Saint-Siège aurait longtemps tenu cachées, est totalement infondée. Selon cette théorie, le Saint-Siège est censé être en train de tuer lentement les associations auxiliaires en les comblant de louanges tout en accordant à l'Action Catholique une primauté qui tend finalement à la débarrasser de ses « vrais et providentiels auxiliaires ». Imaginer une telle chose reviendrait à supposer que le Saint-Siège agit avec une duplicité inégalée. En effet, dans des documents destinés à être connus dans le monde entier, le Saint-Siège serait en train de prodiguer des soi-disant louanges fallacieuses à des associations que, par fragilité affective ou une autre raison, il n'a pas le courage de blesser ouvertement.

Ainsi, ils se trompent certainement, ceux qui, au lieu de considérer les associations religieuses comme des auxiliaires, les considèrent comme un obstacle, destiné tôt ou tard à disparaître complètement, et dont la mort devrait être accélérée par une campagne méthodique de diffamation, silence et mépris. Dans sa lettre « Com particular complacência » (« Avec un plaisir particulier ») du 31 janvier 1942, à Son Eminence le Cardinal Archevêque de Rio de Janeiro, le Pape Pie XII réfuta cette opinion avec l'allusion suivante aux bien-méritantes congrégations mariales :

 « Notre plus vif désir est que ces associations de la piété chrétienne et de l'apostolat se  développent à chaque jour, qu’à chaque jour elles deviennent encore renforcées dans une vie spirituelle intime et profonde, qu’à chaque jour qui passe, elles coopèrent de plus en plus, avec leur traditionnel respect et humble soumission, aux normes et aux directives de la hiérarchie, dans l'expansion du Royaume de Dieu, et qu'elles répandent la vie chrétienne toujours plus abondamment chez les individus, les familles et la société ».

Comme on le voit, ce n'est pas seulement un « vœu », mais « son plus vif désir ».

 

L'Action Catholique non plus

De même, se trompent, ceux qui imaginent que la création de l'Action Catholique a été une innovation audacieuse arrachée à Pie XI dans sa vieillesse d'une façon irresponsable par certains conseillers audacieux. La justice la plus élémentaire vers la mémoire du glorieux Pontife nous oblige à reconnaître que la main vigoureuse, qui jusqu’au seuil de la mort, a bien su «accrocher» la barre de l'Eglise, en traversant fièrement les grandes vagues suscitées par le nazisme et le communisme, ne pouvait pas être contrainte par l'agilité d'une conspiration de palais. D'ailleurs, une telle hypothèse ne pourrait être acceptée qu’avec un discrédit pour le prestige de la sainte Église catholique. L’Action Catholique peut, bien sûr, assumer une forme ou l'autre avec le passage du temps, peut-être en maintenant avec des associations auxiliaires de types très différents des relations que les circonstances peuvent exiger. Les uns comme les autres, cependant, continueront d'exister.

 

Une solution simpliste

Nous ne considérons pas non plus comme étant dans le vrai ceux qui, conduits par un louable désir de conciliation, essayent de délimiter les domaines respectifs de l'Action Catholique et des associations auxiliaires, en attribuant à la première l’ancien monopole de l'apostolat, et limitant les dernières à la tâche de la formation intérieure et de l'éducation à la piété. Les documents pontificaux qui accordent expressément à l'Action Catholique le droit, voire qui lui imposent le devoir, de former ses membres, sont innombrables. Or, ce droit implique la formation et la promotion de la piété sans laquelle aucune formation ne peut être considérée complète.

D'autre part, il n'est pas vrai que les statuts des associations religieuses font de la piété leur objectif exclusif. Au contraire, la grande majorité d'entre elles, orientent, stimulent et certaines même imposent l'apostolat à leurs membres ; et nombreuses sont les associations qui mènent à bien leurs propres œuvres d'apostolat, qui, soit dit en passant, sont généralement dans un état florissant. Sa Sainteté le Pape Pie XII, dans sa lettre susmentionnée à Son Eminence le Cardinal Leme, s'exprime de manière à priver un tel avis non seulement de fondement mais encore de toute apparence de vérité. Le Saint-Père affirme positivement qu'il souhaite voir les congrégations mariales se dédier à l'apostolat extérieur et social, et pas seulement au domaine de la piété et de la formation.

Le Saint-Père exprime sa profonde gratitude pour le bouquet spirituel des membres de la congrégation, mais, même si sa joie était grande, « sa satisfaction était encore plus grande de savoir que ses braves phalanges mariales sont des collaboratrices efficaces dans la propagation du Royaume de Jésus-Christ et qu’elles exercent un apostolat fécond par le biais de nombreuses œuvres de zèle ». Ainsi, les œuvres extérieures d'apostolat auxquelles se consacrent actuellement les congrégations mariales ne sont pas perçues par le Saint Père comme un domaine sur lequel les Congrégations auraient empiété, et où, au mieux, elles pourraient être tolérées faute de meilleurs travailleurs. Le Vicaire du Christ sur terre exulte devant les faits et donc, implicitement, affirme que ces congrégations  ont un droit plein, ample et total pour agir se la sorte. Cette phrase le prouve : « ... ce nous confirme une fois de plus, que ces phalanges mariales, conformément à leurs traditions glorieuses, occupent, sous les ordres de la hiérarchie, un endroit bien en vue dans le labeur et la lutte pour la plus grande gloire de Dieu et le bien des âmes ». Autrement dit, en faisant tout ce qu'elles font actuellement, elles ne jouent que le rôle « remarquable » qui leur est attribué par la tradition ; et ce rôle « remarquable » n'a pas été changé avec la survenance des faits comme, par exemple, la création de l'Action Catholique.

Certains ont prétendu que les congrégations mariales ont une structure juridique qui les rend profondément et viscéralement incapables de faire de l’apostolat de nos jours. Il est superflu de souligner combien la Lettre Apostolique nie cette affirmation injustifiée et sans fondement. D'autres ont soutenu que les congrégations au Brésil occupent une place trop importante, volant ainsi de l'Action Catholique son dû. Il est certain que cela ne se produit pas, car le Souverain Pontife se réjouit à l'ampleur de ce rôle et ajoute l'expression de sa grande satisfaction du fait qu'elles « occupent une place bien en vue » - comme il en a été informé - dans le labeur et la lutte pour la plus grande gloire de Dieu et le bien des âmes, et qu'elles sont d'une grande importance, en tant que force spirituelle, pour la cause catholique au Brésil. De quelles informations le Pontife disposait-il pour formuler une telle affirmation ? Elles étaient les plus autorisées et les plus impartiales. Lui-même nous le dit : « ...vous avez manifesté cela publiquement, cher fils, à plusieurs reprises, avec tant d'enthousiasme, et d'autres frères vénérés dans l'épiscopat en ont fait de même ». En d'autres termes, c'est la hiérarchie catholique tout entière qui l’affirme, qui l’applaudit et qui sanctionne. Qui oserait être en désaccord ?

Plus loin, le Saint-Père insiste : « une solide formation spirituelle et une activité apostolique intense et fructueuse sont deux éléments essentiels à toute Congrégation mariale ». Comment peut-on affirmer, alors, que le règlement des congrégations impose à ces associations de se borner au seul domaine de la piété ? Quelqu'un pourrait alléguer toutefois que, compte tenu de la situation actuelle, le Saint-Père ne pourrait pas vouloir que les congrégations mariales augmentent la portée de leur action.

Cette supposition n'est pas vraie. Encore moins vraie, est la présomption que le Saint Père aurait voulu que les Congrégations périssent dans une lente agonie.

 

Les vraies caractéristiques du problème

La réalité est donc que toutes les deux, l’Action Catholique et les associations religieuses, doivent s’appliquer à la formation et à l'apostolat. Lorsqu’elles structurent leurs relations dans ce domaine, aucune des parties ne peut ignorer cette réalité, sous peine de se fonder sur des prémisses juridiques et doctrinales totalement irréelles et donc se vouer à l'échec.

 

Pie XII indique de nouvelles directions

Ce n'est pas à nous de définir la manière dont cette collaboration devrait se développer dans les termes objectifs qu’on a indiqués ci-dessus. C'est un problème de législation positive, et qui s'inscrit dans le cadre des statuts de l'Action Catholique brésilienne et tout ce qui les très révérends évêques tranchent sur le sujet dans leurs diocèses respectifs. Nous nous bornons à rappeler que, dans l'allocution souvent citée du Pape Pie XII sur l'Action Catholique, le Souverain Pontife a ouvert une nouvelle voie pour la solution du problème en recommandant que des noyaux de l’Action Catholique soient fondés à l'intérieur des associations elles-mêmes, et en appelant ces noyaux à agir comme des stimuli et ferment en leur sein :

« Et si... les associations internes de l'Action Catholique sont établies au sein d'associations religieuses qui ont des objectifs et des formes structurées d'apostolat, les premiers devraient entrer avec discrétion et réserve, ne dérangeant en rien la structure et la vie de l'association, mais seulement en donnant une nouvelle impulsion à l'esprit et aux formes d'apostolat, en les intégrant à l'organisation centrale plus importante ».

Ainsi, en étant fondée également au sein des associations, l'Action Catholique serait un noyau de membres fervents entraînant les autres à la sanctification et au combat. Puisque cette méthode est déjà utilisée en Italie depuis plusieurs années, sous les yeux du Saint-Siège, et qu'elle a toujours obtenu les meilleurs résultats, nous estimons qu'elle est providentielle et la portons avec insistance à l'attention de nos lecteurs.

Nous devons également ajouter que, compte tenu de la situation juridique de l'Action Catholique et des associations auxiliaires au Brésil, cette solution présente des avantages très importants.

 

Attaquer les prérogatives de l'Action Catholique est néfaste et vain

En effet, seul un esprit aussi obscurci par toutes sortes de préjugés au point d'avoir perdu entièrement tout sens de l'objectivité pourrait refuser de voir la situation juridique extraordinairement solide de l'Action Catholique dans la vie religieuse au Brésil. Créée avec un document très solennel signé par l'ensemble de la hiérarchie ecclésiastique du Brésil et officiellement approuvée par le Saint-Siège, elle bénéficie d'une importance telle que la lutte à son encontre est semblable à une charge contre des moulins à vent. La lutte de Don Quichotte contre ces ennemis invincibles, tout en étant ridicule par son impraticabilité, avait au moins le mérite de ses intentions héroïques. Même pas ce mérite, cependant, ne pourrait être attribué à des associations auxiliaires qui, mues par un individualisme contraire au bon sens catholique, entameraient une lutte contre l'Action Catholique. Les associations auxiliaires devraient rendre à l'Action Catholique la double assistance d’y inscrire leurs meilleur membres et d’y coopérer résolument dans ses activités générales. C'est ce qu’ordonnent les statuts de l’Action Catholique brésilienne. Dans l'accomplissement de ce devoir, l'attitude des associations auxiliaires ne doit pas être celle de la résignation mélancolique, mais celle qui remplit avec joie une responsabilité glorieuse.

D'autre part, il serait tout aussi insensé d'ignorer que les associations auxiliaires possèdent elles aussi une situation juridique très solide, surtout après la Lettre Apostolique « Com particular complacência » (« avec un plaisir particulier ») et que l'Action Catholique devrait s'abstenir de siphonner à son profit et de manière abusive les meilleurs éléments des associations auxiliaires - un processus de recrutement facile qui détruirait tout ce qui est dehors la structure des organisations fondamentales de l'Action Catholique.

Il est donc nécessaire d'avoir beaucoup d'équilibre dans la façon dont on établit la coopération entre les organisations fondamentales et les associations auxiliaires de l'Action Catholique. Il nous semble que cet équilibre serait maintenu d'une manière beaucoup plus sûre en ouvrant la voie à une interpénétration harmonieuse et fructueuse entre les organisations principales et secondaires de l'Action Catholique, au lieu de les considérer nécessairement et toujours comme des entités totalement parallèles, qui ne partageraient que l' obéissance commune à l'Office diocésain et la hiérarchie.

En ce qui concerne les relations entre les organisations fondamentales et les associations auxiliaires de l'Action Catholique, lorsqu’elles forment des structures complètement différentes, nous ne voyons pas de meilleur moyen de les systématiser dans l'esprit et la lettre des statuts de l'Action Catholique brésilienne que par le biais des sages règles publiées à cet égard par le Très Révérend Mgr Antonio de Castro Mayer, alors adjoint général de l'Action Catholique de São Paulo, et aujourd'hui vicaire général responsable de toutes les œuvres et organisations de laïcs, par ordre de Son Excellence Mgr José Gaspar de Affonseca e Silva, archevêque de São Paulo. Nous publions ce sage et beau document, remarquable par son véritable équilibre, dans une note de bas de page. (1)

L'un des évêques les plus éminents de la province ecclésiastique de São Paulo nous a dit une fois dans une conversation, que le document précité contenait effectivement les principes directeurs et sages consignes qu’exige la solution de ce problème délicat, mais que dans la pratique, le succès de son application dépendait du respect d'une ligne de conduite si exacte et difficile à vérifier dans certains cas spécifiques, que la publication de ces lignes directrices, tout en ayant ouvert beaucoup d’horizons, n'avait pas encore prononcé le dernier mot sur le sujet. Nous étions alors en 1940. L'allocution de Sa Sainteté le Pape Pie XI est venue ensuite, qui, comme nous l'avons dit, rend possible la fondation de noyaux de l'Action Catholique au sein des associations auxiliaires. Avec cette nouvelle étape, il nous semble que la question est tout à fait résolue : deux façons sages et fécondes sont ouvertes pour instaurer, conformément aux intentions des papes Pie XI et Pie XII, un régime de franche compréhension et de cordiale intimité entre les organisations fondamentales de l'Action Catholique et ses associations auxiliaires.

 

Un autre problème fondamental

La même soif immodérée d'expansion qui a conduit l'Action Catholique, dans certains domaines, à la grave erreur d’un recrutement désordonné et précipité, a également généré un état d'esprit assez injuste quant à la question de savoir si l'Action Catholique devrait, de préférence, se dédier à sanctifier les fidèles ou à la conversion des infidèles.

 

Le véritable aspect du problème

À première vue, le simple bon sens nous ferait répondre avec Notre Seigneur « oportet haec facere, et illa non omittere » (ces choses que tu dois faire, fais-les et ne les omets pas – Mt. 23,23). Il n’est aucune raison pour que l'Action Catholique néglige l’une ou l'autre de ces activités hautement louables. En pratique, cependant, le problème pourrait se présenter si l'Action Catholique, normalement submergée de tâches, hésitait à décider comment elle doit utiliser les restes épars de temps dans ses mains : organiser une petite campagne de Pâques ou distribuer des tracts pour convertir les spirites ; faire un effort pour préserver la pureté de familles catholiques, ou essayer d'infiltrer les syndicats communistes ; construire un centre pour ses membres, ou mettre en place un projet pour lutter contre le protestantisme. En conséquence, nous aimerions faire des observations sur ce sujet.

Tout d'abord il doit être tout à fait clair que le problème pourrait ne jamais être résolu de manière uniforme. Les conditions locales varient énormément et pourraient donner à l'une ou l'autre de ces tâches des aspects tels à rendre urgente une intervention immédiate. Tout ce que nous disons est valable uniquement pour les cas généraux, dans lesquels on ne peut pas vraiment déterminer si concrètement l'une ou l'autre tâche est plus urgente, et où donc le problème doit être résolu à partir de ses éléments théoriques.

 

L'ordre de la charité décrète que :

Compte tenu de ce qui a été dit, nous n'hésitons pas à affirmer que, par-dessus tout, nous devons désirer la sanctification et la persévérance des bons ; en second lieu, la sanctification de ces catholiques qui se sont éloignés de la pratique de la Foi, et en dernier lieu, la conversion de ceux qui ne sont pas catholiques.

 

a) Nous devrions nous préoccuper avant tout de la sanctification et la persévérance des bons

Justifions la première proposition. Une simple analyse du dogme de la communion des Saints nous offre un argument précieux à cette fin. Il y a une solidarité surnaturelle dans la destinée des âmes, de telle manière que les mérites de certains se transforment en grâces pour les autres et, réciproquement, les âmes qui cessent de mériter, appauvrissent le trésor de l'Eglise. Ecoutons, à cet égard, l’admirable leçon d'un maître. Le Révérend Père Maurice de la Taille, qui dans son célèbre traité sur le Saint Sacrifice et le Sacrement de l'Eucharistie, aux pages 330-1, constate que « la dévotion habituelle de l'Église ne disparaît jamais, parce qu'elle ne perdra jamais l'Esprit de Sainteté qu’elle a reçu ; cette dévotion toutefois, dans des moments différents, peut être plus grande ou plus petite ». Et en appliquant ce principe au saint Sacrifice de la Messe, il ajoute :

« Plus cette dévotion est grande, plus acceptable est l'oblation. Ainsi, il est de la plus haute importance d'avoir dans l’Eglise des nombreux saints et très saints, et les religieux et religieuses ne devraient jamais être épargnés ni empêchés de faire les efforts les plus importants pour que la valeur des Messes augmente chaque jour et pour la voix sans faille du Sang du Christ criant sur terre devienne plus puissante aux oreilles de Dieu. Car le Sang du Christ crie aux autels de l'Eglise, mais à travers nos lèvres et nos cœurs : autant plus fort et plus vigoureusement que nous le permettons ». (2)

Ainsi, il n'est pas difficile de voir que, dans le plan de la Divine Providence, la sanctification des bonnes âmes occupe un rôle central dans la conversion des infidèles et des pécheurs. Qu'elles soient ecclésiastiques ou laïques, ces âmes sont d'une certaine manière « le sel de la terre et lumière du monde ». Et c'est dans ce sens qu'il doit être affirmé que les ordres contemplatifs sont d'une grande utilité à toute l'Église de Dieu. Alors, on doit dire le même des saintes âmes qui vivent une vie d'apostolat dans le monde. Malheur aux communautés chrétiennes où la lumière de la prière du juste s’éteint et où la valeur des sacrifices expiatoires diminue. Dom Chautard dit que le simple fait d'établir des couvents contemplatifs et cloîtrés dans les zones de mission fait des merveilles. En dernière analyse, c’est de la sainteté que dépend la victoire de l'Eglise dans le grand combat dans lequel elle est engagée. Une âme vraiment surnaturelle, qui, avec les mérites de sa vie intérieure fait son apostolat fécond, conquiert un plus grand nombre d'âmes pour Dieu qu’une légion d'apôtres à la vie de prière médiocre.

Cette vérité est communément admise en ce qui concerne le clergé. Aussi important que soit le problème des vocations sacerdotales, il ne sera jamais sur un pied d'égalité avec la nécessité de la sanctification du clergé. Telle est la question la plus importante dans chaque pays. Et, implicitement, le même principe se pose s'agissant de l'apostolat des laïcs. S’il est plus important d'avoir un groupe vraiment saint de prêtes-apôtres, aussi il est logiquement plus important d'avoir un groupe d'apôtres laïcs avec une véritable vie intérieure plutôt qu’une foule inutile de membres de l'Action Catholique. Si pour le clergé, le problème majeur est la sanctification croissante de ses membres, l'Action Catholique, humble collaboratrice du clergé, ne peut avoir de plus grand désir que la sanctification de ses propres membres et de toutes les âmes pieuses dans l'Église de Dieu.

Il y a un naturalisme flagrant à imaginer que l'Eglise gagnerait en augmentant l'activité apostolique de ses membres au détriment de leur vie de prière. Aussi utiles et méritoires que soient toujours les activités extérieures, c’est la prière des âmes vraiment unies à Dieu qui donne à l'Eglise ses plus beaux lauriers. Léon XIII le dit, dans l'Encyclique Octobri Mense, du 22 septembre 1891 :

« Si l´on se demande pourquoi leur méchanceté n´arrive point à ce degré d´injustice qu´elle se propose et qu´elle s´efforce d´atteindre : pourquoi, au contraire, l´Eglise, à travers tant d´évènements divers, conservant sa même grandeur et sa même gloire, quoique sous des formes variées, s´élève toujours et ne cesse de progresser, il est légitime de chercher la cause principale de l´un et de l´autre fait dans la force de la prière de l´Eglise sur le cœur de Dieu ; autrement, en effet, la raison humaine ne peut comprendre que la puissance de l´iniquité soit contenue dans des limites si étroites, tandis que l´Eglise, réduite à l´extrémité, triomphe néanmoins si magnifiquement ».

Ailleurs dans la même encyclique, le Pape dit :

« Ces prières, par lesquelles nous supplions Dieu de protéger son Eglise, en les unissant aux suffrages des saints du ciel, Dieu les accueille toujours avec la plus grande bonté et les exauce, aussi bien celles qui concernent les intérêts majeurs et immortels de l'Eglise que celles qui visent des intérêts moindres, propres à ce temps, mais néanmoins en harmonie avec les premiers. Car, à ces prières s'ajoutent la puissance et l'efficacité assurément infinies des prières et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime l'Eglise et qui s'est livré pour elle afin de la sanctifier... et de se la présenter à lui-même pleine de gloire (Ephes. V, 25, 27), lui qui en est le Pontife suprême, saint, innocent, toujours vivant pour intercéder pour nous, et dont la foi divine nous enseigne que la prière et les supplications sont incessantes ».

Et Sa Sainteté d’ajouter :

« Il viendra un jour où, dans sa grande bonté, Dieu montrant á découvert les causes et les conséquences des évènements, il apparaîtra clairement combien l´office de la prière aura eu de puissance à cet égard et que de choses utiles il aura obtenues. On verra alors que c´est grâce à la prière qu´au milieu de la corruption si grande d´un monde dépravé, beaucoup se sont gardés intacts et se sont préservés de toute souillure de la chair et de l´esprit, accomplissant leur sanctification dans la crainte de Dieu ; que d´autres, au moment où ils allaient se laisser entraîner au mal, se sont soudain retenus et on puisé dans le danger et dans la tentation même d´heureux accroissements de vertu ; que d´autres enfin, qui avaient succombé, ont senti dans leur âme une certaine sollicitation à se relever et à se jeter dans le sein du Dieu de miséricorde ».

Si, du point de vue de la communion des saints, telle est la conclusion que nous devrions en tirer, ce que la théologie nous dit de l'essence de l'apostolat, nous amène également à une conclusion identique. Comme nous l'avons déjà dit, l'apôtre est un simple instrument de Dieu et l'œuvre de sanctification ou de conversion est essentiellement surnaturelle et divine (cf. Summa Theol., I q. 109, aa. 6, 7). « Personne ne peut venir à Moi, si le Père, qui M'a envoyé, ne l'attire », Notre Seigneur a dit (Jn 6,44). Alors, dans une tâche aussi auguste, Dieu n'utilise pas, si ce n'est que rarement, des instruments indignes ; et la question de l'Écriture « ab immundo, quid mundabitur ? » exprime non seulement l'incapacité physique et psychologique d'un apôtre indigne de produire des œuvres fécondes, mais aussi la répugnance qu’éprouve Dieu dans l'utilisation de tels éléments pour opérer les mystères les plus augustes de la régénération des âmes.

N'allez pas penser, cependant, que seul le péché mortel est nocif pour la fécondité du travail d'un apôtre. Les péchés véniels aussi, et même les simples imperfections, en diminuant l'union des âmes avec Dieu, réduisent à une peau de chagrin les torrents de la grâce dont elles devraient être les canaux. Combien d'associations louables traînent mille difficultés dans leur lutte alors que leurs généreux directeurs travaillent sur tous les champs sans obtenir aucun résultat, et ainsi, des centaines ou des milliers d'âmes restent déchues, des âmes qui, dans les desseins de la Providence, devraient être sauvées grâce à cette association. Et, tandis que les efforts les plus héroïques sont déployés contre toutes ces difficultés, leurs administrateurs ne remarquent pas que la source des échecs est ailleurs. « Venti et maria oboediunt ei », dit l'Écriture au sujet de Jésus, et il n'est nul doute que sous ses ordres, tous les obstacles pourraient s'effondrer. Mais les intermédiaires de la grâce divine, quoique zélés, souffrent de telle ou telle infidélité qui les sépare de Dieu. Et Jésus n’attend que le renoncement à un certain sentimentalisme trop vif, ou à un amour propre trop aigu, pour que l'obstruction des canaux de la grâce soit levée. Ce qui semblerait une question d'argent ou d'influence sociale est souvent une question de générosité intérieure, en un mot, une question de sanctification.

Dans le Livre de Josué, au chapitre 7, on trouve un épisode très significatif à cet égard. Acan a pris pour lui-même, parmi les dépouilles de la ville de Jéricho, certains objets de valeur, en dépit du fait que cette action était illicite parce que ces objets avaient été couverts par l'anathème dont Dieu fulmina Jéricho. Ce simple fait - un homme dans une immense armée a mis quelques objets maudits dans ses bagages - a suffi pour que l'armée hébraïque soit inexplicablement et bruyamment battue lorsqu’elle a attaqué la petite ville de Hai. Dieu révéla alors à Josué que les armées hébraïques ne reprendraient leur série victorieuse que lors qu’Acan aurait été exterminé avec tout ce qu'il possédait. Un monument de malédiction a été construit sur sa dépouille mortelle et seulement alors la colère de l'Éternel fut épargnée à Israël. Voilà une image éloquente du dommage que même un apôtre laïc peut faire à une organisation entière, en gardant dans son âme un attachement coupable à ses péchés ou à ses imperfections.

Avec tout cela il est facile de voir combien il est erroné de prétendre que, selon une expression malheureusement fréquente, travailler pour la sanctification des bons serait « fouetter un cheval mort ». Nous avons intentionnellement présenté, en faveur de notre thèse, des arguments qui prouvent clairement que cette sanctification est la condition la plus précieuse pour obtenir la conversion si ardemment désiré des infidèles. Combien plus pourrait-on dire, cependant, sur l'importance de l'apostolat pour la persévérance des bons !

 

b) En second lieu, nous devrions ramener les pécheurs à la vie de la grâce

Les arguments précédents sont également utiles pour prouver qu'il est plus important de ramener à la loi de la grâce les catholiques qui ont abandonné la pratique de la religion, que de convertir les infidèles. Nous souhaitons, cependant, ajouter un argument de plus sur ce point. Le saint Baptême, reçu par un fidèle, fait de lui un fils de Dieu, un membre du Corps mystique du Christ, un temple vivant du Saint-Esprit. Les grâces dont Dieu le comble dans l’âge de son innocence, la convivialité eucharistique avec le Seigneur, tout concourt pour qu’un tel catholique ait un titre de prédilection divine de valeur inestimable. C'est ainsi que de façon générale (3), Dieu aime immensément plus les âmes qui forment son Église, que les peuples hérétiques et infidèles.

Pour cette raison, un homme juste qui « rejette les commandements de Dieu » lui donne une souffrance immensément plus grande que la persévérance d'un infidèle dans son infidélité. Le pécheur continue d'être un fils de Dieu, mais un fils prodigue, par son absence, remplit la maison du père d'un deuil indicible. Un roseau froissé mais non séparé, une mèche vacillante mais encore fumante, restent l’objet de la sollicitude de Dieu. Et pour cette même raison, le Rédempteur, « qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse et vive », multiplie ses instances pour le ramener au bercail.

Le pécheur catholique, un fils de Dieu et donc un ingrat bien-aimé, est notre frère auquel nous sommes liés par les devoirs d’amour et d'assistance, devoirs incomparablement plus grands que ceux envers les non-catholiques. Ce point de théologie est absolument indiscutable. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes obligés de consacrer notre temps à la conversion des pécheurs catholiques, de préférence à celle des infidèles. Le mot terrible de l'Écriture, prononcée par les lèvres les plus douces du Sauveur, s'applique ici avec toute convenance : « Il n'est pas bon de prendre le pain des petits enfants et de le jeter aux chiens ».

La pensée de Sa Sainteté le Pape Pie XI, exprimée dans son message du 12 février 1931 et publiée par L'Osservatore Romano, n'était pas différente :

«En Nous adressant aux hommes, l'Apôtre nous commande de faire le bien à tous, mais surtout aux frères qui ont la foi. Il convient donc que Nous Nous adressions d'abord à tous ceux qui, membres vivants de la famille et du troupeau du Seigneur, l'Eglise catholique, Nous appellent du doux nom de père, aux pasteurs et aux fidèles, aux brebis et aux agneaux, à tous ceux que le Pasteur et Roi suprême Jésus-Christ Nous a chargé de paître et de guider. ». (4)

Et saint Thomas dit la même chose (Summa Theol., II-II, Q.26, A.5 :) : « Ce qu'on doit aimer le plus par charité, c'est ce qui possède la raison la plus pleine d'amabilité en vertu de la charité. Or le motif de l'amour que nous devons avoir pour le prochain, est d'être associé à nous dans la possession plénière de la béatitude ».

Ibid. A.6, ad.2 : « Tous ceux qui sont notre prochain ne sont pas dans le même rapport avec Dieu, mais certains sont plus proches de lui, parce qu'ils sont meilleurs. Ceux-là, on doit les aimer de charité plus que d'autres qui sont moins proches de Dieu ».

Saint Paul recommande expressément : « C'est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à ceux qui sont de la famille de la foi » (Gal 6,10). En écrivant à Timothée (1 6,1-2), il recommande que, si les fonctionnaires ont des maîtres catholiques, ils devraient mieux les servir que ceux qui ne sont pas catholiques, « parce qu'ils sont fidèles et bien-aimés (par Dieu), [ils] sont participants de la prestation (de la Rédemption) ». Et Notre Seigneur a proclamé le même principe quand il dit : « quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est Mon frère, et Ma sœur, et Ma mère » (Mc 3,35).

 

L'élargissement de cette doctrine ne peut pas nuire à l'apostolat auprès des infidèles et des hérétiques

Ajoutons enfin, à ces nombreux arguments théoriques, une réflexion pratique, qui a également une valeur considérable. Si un décompte des catholiques et des infidèles était fait au Brésil, on verrait que l'infériorité numérique des infidèles est écrasante. Quel est, par conséquent, le problème qui affecte le Brésil de façon plus fondamentale : la conversion des infidèles ou la réconciliation des pécheurs avec l'Église ?

Ne craignez pas, d'autre part, que la poursuite des efforts pour convertir les infidèles serait entravée par suite de l'ordre des idées que nous avons exposées jusqu'ici. Certes, l'Allemagne a été l'un des pays dans lesquels les efforts pour la conversion du plus grand nombre de protestants sur place étaient les plus développés. En effet, le problème du retour des protestants au bercail de l'Eglise en Allemagne a été incomparablement plus urgent et important qu’au Brésil. Et pourtant, le vénérable épiscopat allemand n’a jamais cru que ces œuvres d’apostolat de conquête pouvaient subir un préjudice quelconque en raison de cette vérité qui, sous l'appellation de « 23e question », est parue dans leur Catéchisme officiel :

 « Q. Quelle est la cause des péchés graves commis à l'intérieur même de l'Église catholique ?

R. Le fait que des péchés mortels soient commis dans l’Eglise catholique est dû au fait que beaucoup de chrétiens catholiques n'obéissent pas à l'Eglise et ne vivent pas avec elle. Les péchés de ses enfants la blessent plus et rendent son expansion plus difficile que la persécution des ennemis de l'Eglise. Il est impossible d'empêcher totalement les scandales ; mais malheur à celui par qui ils arrivent » (Lc 17,1).

Un fait curieux, c'est que le gouvernement nazi de Baden, dans une circulaire du 27 janvier 1937, a ordonné que cette question soit supprimée du catéchisme. (5)

 

L’« Apostolat de conquête »

De tout ce que nous venons d'exposer et surtout, des paroles énergiques de l'épiscopat allemand, il résulte clairement que l'intérêt pour les âmes pieuses ne peut pas être séparé de celui dû aux âmes des infidèles et des pécheurs. D'où l'on comprend comment il est infondé d’interpréter dans un sens littéral exagéré l'expression « apostolat de conquête », très souvent utilisé pour désigner, dans un sens unique et exclusif, des œuvres de conversion des infidèles, alors qu’en même temps ce titre est dédaigneusement refusé aux efforts pour préserver et sanctifier les bons.

Sans aucun doute, toute conversion des infidèles élargit les frontières de l'Eglise, et puisque chaque expansion est une conquête, ces travaux peuvent raisonnablement être appelés « apostolat de conquête ». En ce sens, l'expression est licite. Pourtant, si ces œuvres sont dignes de tant d’enthousiasme, il y a une erreur, et non des moindres, à les doter d'une espèce d'exclusivité radicale qui trouble la clarté des concepts et la hiérarchie des valeurs, et jette de manière injustifiée un manteau de mépris sur d'autres œuvres. Parlant de la propagande totalitaire, Jacques Maritain a dit qu'elle possédait l'art de « faire délirer les vérités ». La conversion des infidèles est certainement un ouvrage passionnant et pourrait ne pas être assez loué. Mais ne faisons pas délirer cette noble vérité.

Malheureusement, ce délire existe et suscite une passion pour les masses et pour rabaisser les élites, une manie unilatérale de recruter en gros et pêle-mêle, une indifférence implicite ou explicite pour les efforts de préservation des fidèles, et ainsi de suite. Un curieux état d'esprit est lié à cet ordre d'idées. Dans certains milieux, il y a un enthousiasme tellement respectueux pour les convertis, que, selon l'expression d'un observateur très vif, ceux qui ont toujours été catholiques «sentent une certaine honte de n'avoir jamais apostasié pour pouvoir être convertis». Evidemment, le retour du fils prodigue à la maison de son père est un motif de joie débordante, et la jalousie de son frère fidèle est digne de critique. Mais, le fait que quelqu'un ait toujours persévéré est en soi un titre de plus grand honneur que l'apostasie suivie par l'amendement sincère. Bien sûr, une âme pénitente pourrait prend un vol beaucoup plus élevé que telle ou telle autre qui serait toujours restée fidèle. Mais il serait téméraire d'affirmer concrètement que plus d'admiration est due à l'innocence de saint Jean qu’à la pénitence de saint Pierre, ou à la pénitence de sainte Marie Madeleine qu'à l'innocence de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Mettons de côté ces questions oiseuses et servons Dieu avec humilité, en évitant l'exagération qui transforme l'apostasie en un titre de gloire.

La préoccupation, ou plutôt l'obsession de l'apostolat de conquête génère une autre erreur que nous ne mentionnons qu'en passant à ce stade. Nous en parlerons plus en détail dans un chapitre ultérieur. Elle consiste à cacher ou à toujours sous-estimer le mal dans les hérésies de manière à donner aux hérétiques l'idée que la distance qui les sépare de l'Eglise est plutôt faible. Ce qu’on oublie, cependant, est que, ce faisant, la malice de l'hérésie est cachée aux fidèles et les barrières qui les séparent de l'apostasie sont nivelées ! C'est ce qui se passera si cette méthode est largement ou exclusivement utilisée.

Un avis a été répandu selon lequel l'apostolat de l'Action Catholique, en conséquence de son mandat magique, exercerait un tel effet de sanctification des âmes que la simple activité apostolique serait tellement suffisante pour un membre de l'Action Catholique qu'elle l'excuserait de la vie intérieure.

Ce chapitre est devenu trop long et nous ne voulons pas nous étendre davantage sur cette question complexe. Nous nous bornerons donc à dire que la sainte Mère Église veut que les clercs et même les évêques maintiennent une vie intérieure d'autant plus intense que leurs œuvres sont absorbantes. On voit par là que l'apostolat de la hiérarchie ne les excuse pas de la vie intérieure. Dans son traité, De consideratione, Saint Bernard n'hésite pas à appeler « œuvres maudites » les activités du bienheureux Pape Eugène III, tant qu’elles consommaient le temps nécessaire à ce pontife pour accroître sa vie intérieure. Et néanmoins il parle des sublimes, et pour ainsi dire divines, occupations de la papauté ! Que pourrait-on dire, alors, des modestes occupations d'un simple «participant» à la hiérarchie ? Ses activités pourraient-elles être plus sanctifiantes que celles de la hiérarchie elle-même ? Comment pourrait-on imaginer, dans l'essence et la structure de l'Action Catholique, l'existence de vertus sanctifiantes qui dispensent de la vie intérieure !

Enfin, nous sommes confrontés ici à une aggravation de l’américanisme déjà condamné par Léon XIII ; et on peut trouver aisément une réfutation complète de cette doctrine dans son document sur le sujet.

*  *  *

Une objection

On pourrait certainement objecter, à tout cela, qu'« il ya plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour quatre vingt dix neuf justes qui persévèrent ». Peu de passages du saint Evangile ont fait l'objet d'interprétations plus infondées que celle-ci. La femme de la parabole, qui a perdu une pièce de monnaie, a certainement connu plus de joie en la trouvant qu’en possédant les pièces qu’elle n'avait pas perdues. Cela ne signifie pas qu'elle devait se consoler de perdre les autres quatre vingt dix neuf pièces de monnaie en ayant trouvé une ! Il faudrait être fou pour agir de la sorte ! Ce que Notre Seigneur a voulu dire, c'est simplement que la joie de retrouver les biens que nous perdons est plus grande que notre plaisir d’avoir la paisible possession des biens que nous gardons. Ainsi, un homme qui perd la vue dans un accident et la récupère par la suite devrait raisonnablement avoir une grande expansion de joie. Toutefois, il serait irrationnel pour un homme qui n'a jamais été menacé de cécité d'aller soudain en éclats de joie incroyable, parce qu'il n'est pas aveugle.

Pensez seulement ceci : s'il y a plus de joie dans le cœur du Bon Pasteur à la conversion d'un pécheur que pour la persévérance de quatre-vingt-neuf justes, la conséquence logique est qu'il y a plus de douleur dans le Cœur de Jésus pour un homme juste qui apostasie que pour quatre-vingt-dix-neuf pécheurs qui persévèrent dans le péché.

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Notes :

(1) Le document ci-dessus a été publié dans la presse de l'archidiocèse de São Paulo

ACTION CATHOLIQUE ET ASSOCIATIONS AUXILIAIRES

Par ordre de Son Excellence Mgr José Gaspar de Affonseca e Silva, archevêque métropolitain, et du Très Révérend Chanoine Dr Antonio de Castro Mayer, directeur général adjoint de l'Action Catholique, le document suivant est publié dans la presse :

Le Divin Sauveur a constitué un groupe restreint de disciples, qu’il a formés avec un dévouement spécial, associant les hommes à son œuvre de rédemption de la race humaine et à la conversion d'un monde livré à l'adoration insensée des idoles païens. Le Sauveur a fait de ce petit groupe une milice de choix, un ferment sacré, auquel il donna la mission de rénover la face de la terre, en nourrissant inlassablement leurs esprits avec la doctrine, dans l'intimité et de façon proportionnelle aux nécessités particulières de chacun, en formant leurs cœurs par le biais d'une direction personnelle, renforcée par toutes les attractions de sa compagnie et la force irrésistible de ses exemples, et en envoyant sur eux le Saint-Esprit, distributeur de dons inestimables pour l'intelligence et la volonté.

Notre Seigneur Jésus-Christ a ouvert le Royaume des Cieux aux foules à qui il enseigna le chemin de la vérité. Toutefois, il confia à un nombre beaucoup plus restreint la tâche d'ouvrir en son nom, le chemin de la béatitude à d'autres peuples aussi.

Fidèle au divin Maître, l'Église a toujours suivi le même chemin ; et tout en prêchant l'Evangile à tous les peuples, elle a réservé une tendresse et un zèle particulier pour former de façon très spéciale les membres du Corps mystique du Christ destinés à occuper un poste dans la hiérarchie établie par le Rédempteur.

Il y a plus. L'Eglise, s'inspirant de l'exemple très sage du Sauveur et de tous les enseignements qu'il contient, depuis les premiers temps, ne se cantonna pas à imposer à tous les fidèles le devoir d'apostolat, mais rassembla autour d'elle les plus fervents pour les doter de vertus spéciales. Ainsi formés, ces laïcs sont des instruments de choix et de collaborateurs spéciaux, conçus pour participer au cœur de l'Eglise enseignée, aux saintes souffrances et au travail méritoire de l'Eglise enseignante, excellant dans leur docilité inébranlable au Magistère de l'Église, dans leur soumission inconditionnelle et globale à ceux qui ont été constitués au-dessus d'eux dans la dignité des prêtres et des évêques.

Pie XI, de sainte et regrettée mémoire, donna un brillant éclat et un essor hautement providentiel à cette coutume qu’a maintenue le catholicisme sans interruption pendant les vingt siècles de son existence, lorsque, pour renverser l'insolence des idoles que les foules païennes de nos jours commençaient à acclamer et adorer, il a rendu obligatoire pour tous les peuples de créer une milice d'élite pour l'Action Catholique, appelant tous les fidèles à monter une très grande pureté doctrinale et morale et de lutter courageusement avec elle et en elle, contre les pompes et les œuvres de Satan.

La pertinence de ce principe de prudence appliqué par le grand Pontife, est si évidente que l'ingéniosité humaine elle-même l’a reconnu et appliqué à sa propre manière. Tous les grands empires avaient leurs troupes d'élite, qui constituaient, au sein du vaste ensemble de la structure militaire, à la fois l'âme et la colonne vertébrale de l'armée, des milices audacieuses et disciplinées dont le courage doit remplir de crainte et d'encouragement les plus braves parmi les braves des autres régiments. Telle est la tradition de toutes les armées des grands généraux qui ont conquis des terres et fondé des empires. Si les grands guerriers et conquérants ont agi de cette façon, pourquoi l'armée pacifique et invincible du Christ Roi, qui devrait conquérir tous les peuples, en agirait-elle autrement ? Ces considérations suffisent à clarifier avec précision les relations entre l'Action Catholique et l'Église enseignante, qui est l'état-major de Jésus-Christ : si la situation de l'Action Catholique à l'égard de la Hiérarchie est spéciale, c'est parce que cette dernière a le droit d'attendre de la première une discipline plus prompte et plus aimante que de toute autre association religieuse.

D'autre part, par rapport à des œuvres et associations catholiques, sa position est implicitement définie : être un encouragement, un exemple et un point de référence pour l'action commune. Pour leur part, les associations doivent à l’Action Catholique une coopération fraternelle et disciplinée.

Afin de donner à ces concepts une vie et une application à part entière, dans l'Archidiocèse les principes suivants doivent être respectés :

1. Fidèle à l'esprit qui la distingue, l'Action Catholique excelle dans la révérence et la docilité envers l'autorité ecclésiastique. Par conséquent, dans leurs domaines respectifs, les assistants ecclésiastiques, en plus de censeurs doctrinales, sont une loi de vie dans tout ce qui se rapporte aux activités de l'Action Catholique. Les membres de l'Action Catholique doivent apporter tout le respect dû aux membres laïcs de l'organisation qui occupent une fonction dans sa direction, puisque leur autorité reflète l'autorité de l'Assistant ecclésiastique.

Lorsque les prêtres et les religieux et les religieuses n’ayant pas la charge d’assistant sont présents aux réunions de l'Action Catholique, ils doivent toujours être traités avec un grand respect en raison de la sublimité de leur état et on leur accordera le droit de préséance après l'assistant ecclésiastique.

Après eux, la priorité va aux membres de la Commission de l'archidiocèse.

2. Les associations fondamentales de l'Action Catholique ne doivent pas être considérées comme des entités parfaites en elles-mêmes, unies seulement pour une fin commune, mais comme des parties d'un même tout.

Ainsi, les assistants ecclésiastiques des différentes sections sont des délégués de l'assemblée générale adjointe de l'Action Catholique et jouissent de sa confiance. Les laïcs qui occupent des postes de direction dans l'Action Catholique sont également des délégués et des personnes de confiance de l'Assistant Général.

3. Puisque l'Action Catholique doit être à la fois un encouragement et un modèle pour toutes les associations religieuses des fidèles, elle n’admettra comme membres que des personnes pleinement conscientes de la haute dignité et des lourdes tâches qu'elle comporte. Ceux qui ne se maintiendraient pas au niveau de cette haute mission seront rejetés immédiatement.

4. Les associations religieuses, et d'une manière particulière celles dont l'objectif est la sanctification de leurs membres, sont des vrai séminaires de l'Action Catholique à laquelle elles apportent une aide très précieuse, en rendant leurs membres plus fervents dans la vie spirituelle ou mieux formés dans l'apostolat, de telle sorte que les plus édifiants d'entre eux deviennent les plus aptes à rejoindre l'Action Catholique, après avoir été préparés par elle.

5. Le membre de l'Action Catholique qui, sans préjudice de son obligation envers elle, et avec l'approbation de l'autorité compétente dans son secteur, se consacre à diriger une association religieuse, ne mérite que des éloges.

D'autre part le membre d'une association religieuse qui, avec l'excuse de l'apostolat dans l'Action Catholique, prend l'initiative de l'abandon de la confrérie à laquelle il appartient, sans une décision expresse des organes de l'Action Catholique, ne montre pas un bon esprit.

6. En tant qu’auxiliaires de l'Action Catholique, les associations religieuses doivent s'honorer de lui fournir le plus grand nombre possible de membres, et ainsi renoncer volontairement à la collaboration de ceux dont l'apostolat est considéré par les pouvoirs compétents de l'Action Catholique comme devant être entièrement sous leur tutelle.

7. Sauf dans des situations particulières vérifiées par la Commission de l'archidiocèse, les membres de l'Action Catholique, dont les chapitres, pour une raison quelconque, n’ont pas de pratiques de piété en commun le dimanche matin, devraient se joindre à une association auxiliaire qui en a. Ce faisant, ils excelleront dans la docilité envers l'autorité constituée dans l'association.

8. La Commission de l'archidiocèse, en agissant entièrement sur ses propres critères, tout en tenant compte de toutes les personnes concernées, doit s'assurer que le recrutement de membres de l'Action Catholique dans les associations religieuses ne les prive pas de membres dont le travail est indispensable au bon fonctionnement de leurs activités sociales.

En ce sens, elle prendra un soin particulier à s'assurer que les membres de l'Action Catholique qui sont des administrateurs d'associations auxiliaires, peuvent exercer leurs fonctions de manière satisfaisante, sans préjudice de leur relation avec l'Action Catholique.

9. Aucune activité ne sera lancée par l'Action Catholique dans une association paroissiale ou auxiliaire sans consultation préalable du curé ou du directeur ecclésiastique respectif.

10. La Commission de l'archidiocèse a le droit exclusif de diriger la formation doctrinale et morale que donne l'Action Catholique à ses membres, ainsi que de déterminer ou d'établir toutes ses actions en général, de décider si elles doivent être effectués exclusivement par les secteurs fondamentaux de l'Action Catholique, par ces secteurs en commun avec les associations ou œuvres auxiliaires, ou encore par l’Action Catholique toute seule.

* * *

Par décision de la Commission de l'archidiocèse, des réunions et ateliers doivent avoir lieu dans toutes les associations principales et secondaires de l'Action Catholique pour étudier exclusivement le document précité, qui tant dans sa préface que dans ses dix paragraphes contient les concepts indispensables à la formation spirituelle des laïcs catholiques et à l'organisation de leur apostolat.

Ce document est conforme à l'original, conservé dans les archives de la Curie.

Signé, Chanoine Rolim Paulo Loureiro, Chancelier de l’archidiocèse. 

(2) Apud Filograssi, Adnotationes in S.S. Eucharistiam, pp. 1115-1116.

(3) Nous disons d'une manière générale, car il y a des âmes justes qui appartiennent à l'âme de l'Église, mais pas à son corps. Dieu peut préférer de telles âmes plus qu’un pécheur endurci qui appartient au corps de l’Église mais pas à son âme. Notez cependant, que les personnes appartenant à l'âme et non au corps de l'Eglise sont rares parmi la multitude des hérétiques et des païens. Elles constituent des exceptions. D'autre part, seuls quelques-uns parmi les personnes justes peuvent être reconnus comme tels parce que les vertus ne sont écrites de façon visible que sur le front de quelques privilégiés. Ainsi, les cas qui peuvent fournir une exception à la règle générale sont extrêmement rares. Et la règle générale est que, dans l'apostolat, nous devons préférer la conversion des pécheurs en état de péché mortel plutôt que celle des païens et des hérétiques.

(4) Pie XI, Message Radiophonique du 12 février 1931 : Actes de S.S. Pie XI, Tome VIII, page 11, Bonne Presse 1931.

(5) Cf. El Cristianismo en el Tercer Reich. L’auteur de ce livre, d’ailleurs un chef-d’œuvre à tous égards, est un prêtre catholique allemand qui utilise le nom de plume Testis Fidelis.


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