Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

Des masses ou des élites ?

 

 

 

 

Extraits du livre "En Défense de l’Action Catholique"

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Ici on se trouve devant un problème d'une importance vraiment fondamentale. L’Action Catholique est-elle un mouvement des masses ou des élites ? Les Pontifes ont insisté si souvent sur l'idée qu’elle devrait être un mouvement des élites que personne n'ose plus le contester. Malgré cela, certains commentateurs optent pour une solution qui, sans se heurter directement les consignes pontificales, leur est néanmoins opposée.

Ils soutiennent que l'Action Catholique doit être en même temps un mouvement de masse et des élites. En d'autres termes, que les gens avec une formation peu soignée devraient être acceptés comme membres à part entière, avec promesse formelle, ensemble avec les éléments de choix, de sorte qu'ils seraient progressivement influencés et transformés par l'élite.

Afin de mieux appréhender les erreurs contenues dans cette idée apparemment logique, nous devons bien préciser les termes du problème. Masse dénote un grand nombre de personnes, et, au moins en théorie, nous devrions accepter la possibilité de l'existence d'une élite suffisamment nombreuse pour constituer une multitude. Ainsi, il serait certainement idéal si l'Action Catholique était composée d'une multitude innombrable de personnes très bien formées, des personnes de premier ordre dans l'Eglise catholique. En ce sens, nous accordons volontiers que dans le futur, l'Action Catholique pourrait devenir en même temps un mouvement des masses et des élites. Il est évident, toutefois, que, dans ce contexte, le mot « masse » doit être compris dans un sens beaucoup plus étroit que d'habitude.

Une alternative fondamentale

Néanmoins, il n'est pas toujours possible d'atteindre de si brillants résultats au cours des premières années de travail. Aussi vertueuse et sage que soit l’action des assistants ecclésiastiques, les dirigeants et militants trouveront souvent le cœur des gens fermés à l'apostolat. À cet égard, ne nous trompons pas par romantisme apostolique en imaginant que l'Action Catholique a une baguette magique qui ouvre tous les cœurs, sans faille. Aussi bon qu’un apôtre puisse être, il ne sera jamais capable d'égaler Notre Seigneur, et pourtant, combien de cœurs se sont fermés à Sa voix ! Combien se sont fermés à la voix des apôtres et des saints sans nombre que l'Eglise a produits ! L’expérience quotidienne nous montre ce que l'hagiographie nous enseigne à son tour: il y a des personnes, familles, classes sociales et parfois des villes entières qui restent sourdes à la voix de Dieu.

Le Sauveur Lui-même a dit :

« Car Dieu n'a pas envoyé Son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par Lui. Celui qui croit en Lui n'est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu. Or voici quel est le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées. Mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce que c'est en Dieu qu'elles sont faites » (Jn 3,17-21).

Plus loin, le Seigneur continue en disant de lui : « et Il rend témoignage de ce qu'Il a vu et entendu, et personne ne reçoit Son témoignage » (Jn 3,3).

Et à cause de cela, le Maître dit de l'aveuglement des pharisiens :

« C'est pour un jugement que Je suis venu dans ce monde, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Quelques pharisiens, qui étaient avec Lui, L'entendirent et Lui dirent : Est-ce que nous sommes aveugles, nous aussi ? Jésus leur dit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais maintenant vous dites : Nous voyons ; c'est pour cela que votre péché demeure » (Jn 9,39).

Il est très compréhensible, par conséquent, que saint Jean ait écrit dans la préface de son Evangile : « En Lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas saisie » (Jn 1,4-5). Et l’apôtre d’ajouter : « C'était la vraie lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par Lui, et le monde ne L'a pas connu. Il est venu chez Lui, et les Siens ne L'ont pas reçu » (Jn 1,9-11).

Retenons de tout cela une conclusion importante. Même les plus grands miracles accomplis par Notre Seigneur n'ont pu l'emporter sur l'obstination de certaines âmes. L’Action Catholique ne doit donc pas s'attendre à vaincre tous les obstacles ou à ne pas être, à son tour, confrontée à des âmes endurcies.

Ecoutons à Saint-Jean et son commentaire sur le durcissement de certaines âmes, même en face des plus grands miracles de Notre Seigneur :

« Quoiqu'Il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en Lui, afin que s'accomplît la parole du prophète Isaïe, qui a dit : Seigneur, qui a cru à ce que nous faisons entendre ? et à qui le Bras du Seigneur a-t-Il été révélé ? C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire, car Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient de leurs yeux, et qu'ils ne comprennent de leur cœur, et qu'ils ne se convertissent, et que Je ne les guérisse. Isaïe a dit cela lorsqu'il a vu Sa gloire, et qu'il a parlé de Lui. Cependant, même parmi les chefs, beaucoup crurent en Lui ; mais, à cause des pharisiens, ils ne Le confessaient pas, pour n'être pas chassés de la synagogue. Car ils ont aimé la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu » (Jn 12,37-43).

La même chose peut arriver à l'Action Catholique, et même si toutes les portes ne se ferment pas à son encontre, elle trouvera un grand nombre d'entre elles verrouillées, comme cela est arrivé à saint Paul qui, prenant la parole dans l'Aréopage, n'a attiré que quelques âmes. Dans ce cas, l'alternative s'impose inexorablement. Et comme tant d'évêques et de pasteurs zélés ont fait face à cette alternative, de même faut-il que l'Action Catholique reconnaisse humblement qu’elle devra faire face très souvent à la même alternative, c’est-à-dire de prendre soit les masses, soit les élites.

En effet, il serait vain de prétendre que l'homme contemporain a un cœur beaucoup moins endurci que celui des Juifs du temps du Christ. Sa Sainteté le Pape Pie XI, dont nous avons déjà cité l'opinion selon laquelle notre époque est similaire aux temps les plus abominables de l'antéchrist, affirma dans l’Encyclique Divini Redemptoris que le monde d'aujourd'hui a atteint une dégradation telle, qu'il est en danger de tomber encore plus bas qu'il ne l'était avant Jésus-Christ !

L’irremplaçable fécondité des élites

À cette alternative inévitable, nous répondons en optant résolument non pour les masses, mais pour l'élite. Nous y sommes menés par les principes les plus fondamentaux de l'apostolat. Quiconque a lu le livre admirable du Père Abbé Dom Chautard, L'âme de tout apostolat, aura sans doute remarqué que la fécondité de l'apostolat vient beaucoup plus du degré de vertu de l'apôtre que du talent et des dons naturels qu'il peut développer ou du nombre d'assistants qu’il peut inscrire à son association. C'est la grâce de Dieu qui, en dernière analyse, œuvre les conversions, et l'homme n'en est que le canal. Et moins il est entravé par ses vices et ses péchés, plus il est utile. Ainsi, une personne généreuse peut porter un plus grand nombre d'âmes à Dieu qu'une multitude d'apôtres peu formés. La vie d'un saint François de Sales, d'un saint François d'Assise, d'un saint Antoine de Padoue, prouve abondamment la vérité de cette affirmation. Voilà pourquoi, dans l'intérêt des masses elles-mêmes, et de manière à rendre la diffusion de la grâce aussi large que possible, nous devons préférer que l'Action Catholique devienne une poignée de vrais apôtres plutôt qu'une foule immense, mais inexpressive.

Bien que l'idée de faire de l'Action Catholique un mouvement pour les masses et les élites en même temps est illusoire - le mouvement finira par être seulement pour les masses - l'idée découle parfois d'un désir généreux de répartir rapidement les bénéfices spirituels de l'Action Catholique. On oublie, cependant, le fait que Dieu « ne désire pas une multitude d'enfants infidèles et inutiles » (Eccl 15,21-22).

Mais il est très douteux qu'un recrutement rapide et pêle-mêle de grandes masses conduise vraiment à une répartition des grand avantages spirituels si ces prestations ne sont pas basées sur un levain lent, progressif et régulier.

L'expérience que nous avons sous nos yeux prouve clairement que les mouvements qui se développent trop rapidement diminuent rapidement en ferveur.

Peu à peu, après qu’un enthousiasme totalement fictif ait diminué, ces masses se dissoudront, sans aucune amélioration notable de leurs membres. Et c'est ainsi que la punition de Dieu pour leur orgueilleux empressement est confirmée : «La fortune amassée à la hâte sera amoindrie ; mais celle qui se recueille à la main, peu à peu se multipliera » (Pr 13,13).

Dès le début, l'Église a toujours préféré avoir un clergé petit mais saint plutôt que nombreux mais moins saint. Aussi aigu que le manque de prêtres puisse être, personne n'a jamais pensé à résoudre le problème par un assouplissement des conditions d'accès au sacerdoce, bien au contraire. Le même argument est valable pour l'Action Catholique dans tous les sens. En somme, l'Action Catholique doit être sélective et devenir une « élite » de sorte qu'elle puisse toujours remplir l'affirmation paternelle et élevée de Pie XI, que ses membres « sont les meilleurs parmi les bons » (Pie XI, Encyclique Non abbiamo bisogno, 29 juin 1931).

Un terrain d'entente est impossible

Mais, l'Action Catholique ne pourrait-elle pas être à la fois un mouvement de masse et d'élite dans le sens où elle contiendrait indistinctement en son sein des âmes de première classe et une grande foule d'autres, tièdes ou médiocres ?

Nous considérons si peu fondé l'avis que l'Action Catholique doive être ouverte même aux personnes qui vivent habituellement dans l’état de péché mortel déclaré, qu'il est superflu d'en discuter.

En outre, nous maintenons que tous les catholiques qui remplissent les exigences les plus élémentaires de la loi de Dieu et de l'Eglise ne devraient pas rejoindre l'Action Catholique, mais seulement ceux qui, par leur réception fréquente des sacrements, leur vie exemplaire et leur attitude édifiante, en font réellement une élite.

Les questions de ce genre ne devraient pas être résolues d'une manière purement théorique, mais avec les yeux fixés sur la réalité concrète. Et la première leçon qu’offre cette réalité, c'est que personne ou presque personne ne réussit de nos jours à maintenir une pratique - même minime - des commandements de la Loi de Dieu, sans une fréquentation régulière des sacrements. Cette vérité est valable pour presque tous les âges et conditions. Considérons par exemple un jeune étudiant ; mesurons la violence du combat qu’il doit mener pour l'emporter sur le tumulte de ses passions ; les mille et une sollicitations du mal qui lui sont faites à tout moment par l'ensemble des facteurs modernes de la corruption, et demandez-vous s'il peut gagner ce combat sans véritable vie eucharistique. Un chef de famille, qui a si souvent à choisir entre une opération malhonnête ou la misère pour son ménage, la femme au foyer qui remplit si souvent le devoir de la maternité, au risque de sa vie, peuvent dire mieux que quiconque s'ils seraient en mesure d’accomplir leurs tâches avec une simple communion annuelle.

Ainsi, il est téméraire d'affirmer que la simple pratique annuelle des devoirs imposés par l'Église serait le critère pour différencier un catholique capable d'être apôtre parce qu'il possède habituellement l'état de grâce, d'un autre qui ne l’a pas.

Par conséquent, si l'Action Catholique utilise la simple pratique de la communion et de la confession annuelles comme critère de sélection, elle ne peut pas éviter de devenir l'une de ces foules inexpressives qui sont, parfois, plus difficiles à fermenter qu'on ne l'imagine.

En outre, comme nous l'avons dit dans un chapitre précédent, l'une des tâches les plus importantes qui incombent à l'Action Catholique est sans doute celle de donner à ses membres, en particulier les jeunes, un centre social pour leurs heures de loisir. Si l'Action Catholique ne veut pas échouer, elle doit nécessairement employer ce moyen d'action, qui a été si avantageux pour le fascisme et le nazisme sous les noms de Dopolavoro et Kraft durch Freude. C'est le grand levier utilisé par le mysticisme totalitaire. Maintenant, imaginez l'atmosphère incolore, l'ambiance parfois dangereuse qui existerait dans un centre d'Action Catholique d'une paroisse où tous les catholiques qui font la communion et la confession annuelles auraient été admis dans ses rangs. Avec des consciences relâchées et pleines de naturalisme et de l'infiltration de tant d'erreurs laïques, et avec des mentalités minimalistes et accommodantes, ces personnes ne serviraient à rien sauf à créer une atmosphère étouffante qui rendrait nuisible ou stérile toute initiative visant à élever les âmes.

En conséquence, il est bien évident que seules les personnes de premier ordre qui remplissent le meilleur critère - toujours une vie exemplaire, liée à la pratique fréquente des sacrements (et la plus fréquente possible) - peuvent être membres de l'Action Catholique.


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