Plinio Corrêa de Oliveira

 

Ière Partie

 

4e Chapitre

La définition de Pie XI

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

Un argument supplémentaire en faveur de l'essence de l'apostolat hiérarchique de l'Action Catholique : la définition de l'Action Catholique par Sa Sainteté Pie XI

À ce stade on peut soulever le problème de la participation. Les théoriciens de l'Action Catholique qui prétendent qu'elle possède un statut juridique fondamentalement différent de ceux des autres œuvres d'apostolat des laïcs se basent eux-mêmes sur un double argument. Nous avons déjà examiné le premier argument, celui du mandat, et prouvé qu'il est sans valeur.

Le deuxième argument repose sur le fait que Pie XI a défini l'Action Catholique comme la participation des laïcs à l'apostolat hiérarchique de l'Église. Ces théoriciens affirment que, bien que d'autres organisations soient de simples collaboratrices, l'Action Catholique est un participant à l'apostolat hiérarchique lui-même et que par conséquent son essence juridique propre est différente de celle des autres œuvres.

 

Thèses erronées

Quelle portée attribuer à cette compréhension de la « participation » ? Les avis divergent, certains affirmant que l'Action Catholique est devenue une partie intégrante de la hiérarchie elle-même, d'autres retenant que l’organisation exerce des fonctions hiérarchiques, sans être elle-même incluse dans les rangs de la hiérarchie.

 

La manière de les réfuter

Notre analyse de ces enseignements soutiendra que :

a. Les deux partagent une fausse prémisse qui les rend erronés ;

b. leurs traits de différenciation sont également fondés sur des arguments erronés ;

c. même si les positions juridiques qu’ils imaginent étaient théologiquement admissibles, une analyse de l'expression de Pie XI ne justifie pas l'affirmation selon laquelle ce statut a été donné à l'Action Catholique.

 

Les éléments de la question

Conformément à la méthode que nous avons utilisée jusqu'ici, nous allons commencer par énoncer les éléments de la question.

Dans le chapitre précédent nous avons vu qu'il existe une différence essentielle entre les pouvoirs imposés par le divin Sauveur sur la hiérarchie de l'Eglise et les missions confiées par la hiérarchie aux fidèles. Les premiers sont des droits par eux-mêmes et se rapportent au gouvernement ; les deuxièmes sont des tâches de sujets. Le principe défini par l'autorité infaillible du Concile du Vatican (c. 10) est basé sur ceci :

« L'Eglise de Jésus-Christ n'est pas une société d'égaux, comme si tous les fidèles avaient entre eux les mêmes droits ; elle est plutôt une société inégalitaire et cela non seulement parce que parmi les fidèles, certains appartiennent au clergé et d'autres au laïcat, mais aussi parce que dans l'Eglise il ya, par institution divine, un pouvoir dont certains sont doués, afin de sanctifier, d'enseigner et de gouverner, et dont les autres n’en sont pas doués ».

Et le Concile ajoute (c. 11) : « Si quelqu'un affirme que l'Église a été divinement instituée comme une société d'égaux... qu'il soit anathème ».

 

L'erreur commune aux deux autres déclarations que nous réfutons

La première question qu'on devrait poser est donc la suivante : Est-il possible d'admettre que l'Action Catholique est un élément intégral de la hiérarchie de l'Eglise, ou que, tout en n'ayant pas un rang de nature hiérarchique, elle est au moins investie de fonctions hiérarchiques ?

Lors de l'établissement de l'Action Catholique, Sa Sainteté Pie XI a encouragé tous les fidèles à travailler en son sein et de ce fait accorda à tous le droit d'y adhérer. Cela est si vrai que certaines personnes soutiennent que tous les catholiques, même ceux qui ne pratiquent que le « minimum » nécessaire pour éviter de tomber dans le péché mortel, ont le droit et l'obligation de s'inscrire à l'Action Catholique. D’autres croient même que les catholiques qui vivent en état habituel de péché mortel peuvent et doivent s'inscrire dans l'Action Catholique. Curieusement, ceux qui pensent cela sont, en général, ceux qui ont le plus ardemment plaidé pour l'idée selon laquelle l'Action Catholique est un élément intégral de la hiérarchie ou qu'elle exerce pour le moins des fonctions à caractère hiérarchique.

Cela dit, nous concluons que :

1. Si tous les catholiques, même ceux qui vivent en état de péché mortel, doivent rejoindre l'Action Catholique, et si cette dernière est une partie intégrante de la hiérarchie, alors tous les fidèles ont l'obligation de devenir une partie de la hiérarchie, opinion hérétique manifestement contraire aux décrets du Concile du Vatican.

2. Si tous les catholiques qui vivent en état de grâce peuvent ou doivent adhérer à l'Action Catholique, et si cette dernière fait partie intégrante de la hiérarchie, sachant par ailleurs que l'état de grâce est accessible à tous les fidèles et que c’est un état auquel Dieu appelle tout le monde, on pourrait conclure que tout le monde est appelé par Dieu à faire partie de la hiérarchie, ce qui ne peut absolument pas être concilié avec les définitions dudit Concile.

3. Alors que l'Action Catholique n’est que pour « les meilleurs parmi les bons », selon la belle expression de Pie XI dans l'Encyclique Non abbiamo bisogno, néanmoins - et peu importe à quel point on essaye de peaufiner cette notion -  il n'est pas possible d'affirmer que le Saint Père ne voulait qu'entrent dans l'Action Catholique que des gens appelés à une haute sainteté, ce qui n'est pas la vocation de la moyenne des fidèles. Donc, même dans le sens d'un effort d'élite, l'Action Catholique serait toujours accessible aux personnes moyennant un degré de sainteté auquel tous les fidèles sont appelés. Or, comme le Saint-Esprit invite tous les fidèles à la sainteté, si l'Action Catholique était une partie intégrante de la hiérarchie, le Saint-Esprit serait en train d'appeler tous les fidèles à faire partie de la hiérarchie, ce qui contredit aussi le texte du Concile du Vatican.

Plusieurs auteurs très méritoires ont compris que l'Action Catholique, tout en ne faisant pas partie de la hiérarchie, et sans posséder de rang hiérarchique, possédait néanmoins des fonctions hiérarchiques.

En effet, les fonctions de la hiérarchie, celles des Ordres Sacrées comme celles de juridiction, peuvent être déléguées ou communiquées, au moins en partie, sans que la personne qui les exerce par délégation ou communication ne devienne partie intégrante de la hiérarchie. Ainsi, le sacrement de la confirmation - c'est l'exemple donné par un savant et illustre auteur - appartient en propre à l'évêque dans la hiérarchie des Ordres Sacrés. Mais cette fonction peut être déléguée à un prêtre, qui, par cette délégation, ne devient ni évêque ni ne reçoit un poste spécial dans la hiérarchie des Ordres Sacrés. Les fonctions de la hiérarchie peuvent être déléguées, par conséquent, à quelqu'un qui n’en fait pas partie.

En acceptant cette thèse uniquement pour la commodité du raisonnement, on arrive à un intéressant ensemble de conclusions qui nous amènent à percevoir sa totale opposition à la doctrine du Concile du Vatican :

1. Le Concile déclare qu'« il y a dans l'Eglise un pouvoir dont certains sont doués, de sanctifier, d'enseigner et de gouverner, et dont les autres ne sont pas doués » ; la société surnaturelle n'est donc pas seulement inégale parce que certains ont plus de pouvoirs que d'autres, mais plus encore, parce qu'il existe certains éléments sans aucun pouvoir du tout, tandis que d'autres possèdent le pouvoir. Autrement dit, il y a des sujets et des gouvernants.

2) Maintenant, si l'Action Catholique reçoit des fonctions hiérarchiques sans pour autant avoir un poste hiérarchique, elle reçoit un pouvoir hiérarchique, et, qui plus est, ce pouvoir ne lui est pas conféré de façon transitoire mais définitive ; car rien n'indique que l'Action Catholique soit une institution fondée seulement comme mesure d'urgence.

3) Pour les laïcs, la fondation de l'Action Catholique aurait entraîné, par conséquent, l'obligation, ou au moins le droit - qui, selon la recommandation divine et ecclésiastique, ils devraient mettre en œuvre – de s’élever à l'exercice des fonctions hiérarchiques. Cela permettrait d'effacer la distinction essentielle qui existe entre les sujets et les gouvernants.

On pourrait objecter qu'il y aura toujours des personnes qui résistent et qui ne voudront pas adhérer à l'Action Catholique. En conséquence, il y aura toujours des sujets, et l'inégalité essentielle dans la Sainte Eglise ne disparaîtra donc jamais. L'argument ne tient pas. En effet, il resterait toujours vrai que, conformément à la volonté de l'Eglise, tout le monde devrait faire partie de l'Action Catholique et, par conséquent, que l'Eglise voudrait que la catégorie des sujets disparaisse. Or  l'Eglise ne peut pas avoir un tel désir, le Concile du Vatican ayant déclaré que la distinction entre les sujets et les gouvernants est de droit divin. Ainsi, l'Eglise, étant infaillible et incapable de se contredire, n'a pas eu de tel désir.

*     *     *

Ayant ainsi prouvé que les deux doctrines sur la « participation » supposent la possibilité d'une situation juridique par ailleurs impossible dans la sainte Eglise, et que toutes deux partagent une erreur sous-jacente commune, voyons maintenant en quoi elles diffèrent et comment elles sont toutes les deux erronées aussi dans leurs différences.

 

L'erreur particulière de ceux qui soutiennent que l'Action Catholique participe à la hiérarchie

Nous savons que les femmes dans la sainte Eglise ne sont pas capables d'appartenir à la hiérarchie, c’est-à-dire, ni celle de l'Ordre sacré, ni celle de la juridiction. Les femmes et les hommes ont été appelés, toutefois, à adhérer à l'Action Catholique, et aucun article ne peut être trouvé dans un document pontifical qui spécifie une différence essentielle entre la situation juridique des hommes et celle des femmes au sein de l'Action Catholique. En conséquence, il n'y a pas, à notre connaissance, un seul commentateur de l'Action Catholique qui soutienne l'existence d'une telle différence essentielle. Par conséquent, la position d’un homme dans l'Action Catholique est identique à celle qu'une femme peut recevoir dans la Sainte Eglise. Donc, ce n'est pas une fonction qui l'intègre dans la hiérarchie, à laquelle les femmes ne peuvent avoir accès. D'ailleurs, sans avoir l'intention de sous-estimer les services inestimables rendus à l’Eglise par celles que la liturgie appelle « devotus femineus sexus » - services qui commencèrent avec Notre Dame et qui ne finiront qu’à la fin des temps -, il est bon de rappeler que la Sainte Église ordonne que « dans les sodalités qui ont pour but l'accroissement du culte public prennent le nom spécial de confréries » (Canon 707,1) (1), «les femmes ne peuvent faire partie des confréries que pour gagner les indulgences et autres grâces spirituelles accordées aux confrères » (Canon 709, 2).

Qu’aurait dit Saint Paul s'il avait entendu parler de cette idée que les femmes puissent être incorporées à la hiérarchie, lui qui avait écrit à Timothée : « Que la femme reçoive l'instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permets point à la femme d'enseigner, ni de prendre autorité sur l'homme ; mais elle doit demeurer dans le silence » (1 Tm 2,11-15). Il ajoute, en écrivant aux Corinthiens : « Que les femmes se taisent dans les églises, car il ne leur est pas permis de parler ; mais qu'elles soient soumises, comme le dit aussi la loi. … Car il est honteux pour une femme de parler dans l'Eglise » (1 Cor 14,34-35).

On comprend facilement comment il est contraire à l'esprit de l'Eglise et au caractère de la législation ecclésiastique que les femmes exercent un pouvoir de nature hiérarchique.

 

L'erreur particulière de ceux qui soutiennent que l'Action Catholique a des fonctions hiérarchiques

Quant à ceux qui affirment que l'Action Catholique a une fonction hiérarchique sans un poste hiérarchique, nous n'examinerons pas si leur avis est ou non compatible avec l'argument précédent. Il suffit de montrer qu'il provient d'un point de départ faux, puisque ces personnes semblent ignorer que toute fonction donnée à quelqu'un d'une façon permanente implique la création d'un poste. Il est vrai qu'un simple prêtre peut administrer le sacrement de la confirmation, sans acquérir pour autant une nouvelle position dans la hiérarchie des Ordres. Mais quand il exerce cette fonction de manière permanente et comme résultat de son office, il reçoit une position et un rang propres. Tel est le cas des Prélats Apostoliques et des Curés Apostoliques, de simples prêtres dotés d'éléments importants des pouvoirs de l'évêque. Les pouvoirs hiérarchiques sont divisibles. De là l'institution par l'Église de niveaux dans la hiérarchie, parallèlement aux niveaux d'institution divine. Néanmoins, chaque fois que cette séparation est faite sur une base permanente et au profit permanent de quelqu'un, un poste est créé pour la personne responsable de cette fonction hiérarchique, qui dans chaque cas est elle aussi hiérarchique bien qu’elle ne soit pas un des degrés de la hiérarchie elle-même. Compte tenu de ce que le Concile du Vatican a affirmé, comment peut-on ne pas percevoir les difficultés que soulèvent l'idée que la masse entière des fidèles pourrait avoir accès à de tels postes, plutôt que seulement l’un ou l’autre parmi eux ?

Il est vrai que certaines fonctions de la hiérarchie de juridiction, en théorie, pourraient être à la portée des laïcs. Mais il en irait tout autrement si on associait, même potentiellement, la masse des laïcs à l'exercice de ces fonctions.

 

Conclusion

Il n’y a donc aucune « participation » de l'Action Catholique à la hiérarchie ou aux fonctions hiérarchiques. Si Pie XI a utilisé l'expression « participation des laïcs à l’apostolat hiérarchique de l'Église » pour définir l'Action Catholique, cette définition doit être comprise selon ce qui a déjà été dit ; car c'est une règle générale que toute définition doit être comprise selon l’ensemble des principes de la personne qui l'a faite.

Devons-nous comprendre que Pie XI a utilisé une expression malheureuse, susceptible de fausses interprétations, lorsqu’il a défini l'Action Catholique comme « participation » ? Serons-nous contraints à torturer le texte, à tordre son interprétation correcte pour éviter toute opposition entre lui et le Concile du Vatican ? Pas du tout. En déclarant que les laïcs « participent par l'Action Catholique à l'apostolat hiérarchique de l'Église », le Saint-Père a utilisé une expression qui, dans un sens tout à fait normal et exact, y adhère et est conforme à ce que le Concile du Vatican a défini, comme nous allons maintenant le démontrer.

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Même si les thèses réfutées antérieurement étaient admissibles, Pie XI n’a pas donné à l'Action Catholique une participation à la hiérarchie ou aux fonctions hiérarchiques

Le mot « apostolat » dérive du mot grec « apôtre », envoyer. Nous pouvons le prendre dans deux sens principaux.

Comme nous l'avons vu, Notre Seigneur Jésus Christ, en effet, donna à la hiérarchie la mission de distribuer les fruits de la Rédemption, et il assortit ce cadeau impératif du privilège de l'exclusivité, de sorte que cette mission ne peut être accomplie que par la hiérarchie ou par ceux qui, n’en étant pas membres, en sont de simples instruments pour la réalisation des plans que la hiérarchie a prévu, et obéissent aux orientations qu'elle donne à cette fin. Dans cette instrumentalité radicale et absolue réside toute la légitimité de la collaboration des fidèles à l'activité apostolique de la hiérarchie. Si cette instrumentalité devait cesser d'exister, la hiérarchie ne serait pas en mesure d'utiliser ces instruments, et les fidèles ne pourraient pas coopérer légitimement avec elle.

Ce n'est pas le cas en l'espèce de savoir de quelle manière et par quel genre d’acte volontaire la hiérarchie subordonne l'apostolat des laïcs à ses intentions. Que ce soit par un ordre impératif, par des conseils, ou par une autorisation expresse ou tacite d'agir, la volonté de la hiérarchie doit être insérée dans l'action du laïc, autrement cette dernière serait radicalement illicite.

 

Analyse de ce que c’est l’« apostolat hiérarchique »

Voyons maintenant dans quel sens l'expression « apostolat hiérarchique » peut être utilisée. Elle peut faire référence à :

1. la mission, tâche ou responsabilité confiée par le Seigneur à la hiérarchie ;

2. les actes d'apostolat qui, par nature, sont essentiellement hiérarchiques et que la hiérarchie ne pourrait cesser d'exercer sans abdiquer des parties inaliénables et essentielles de son pouvoir.

 

Relation entre l’apostolat hiérarchique et l'apostolat des laïcs

Examinons le premier sens. Quelle mission Notre Seigneur a-t-il donnée à la hiérarchie ? Comme nous l'avons vu, c'est la répartition des fruits de la Rédemption. Dans cette tâche, il y a certainement des fonctions qui peuvent, d'une manière purement instrumentale, être exercées par la masse des fidèles. Comme nous l'avons vu, toute collaboration instrumentale - et purement instrumentale – que la masse des fidèles peut ainsi rendre à la hiérarchie sera légitime.

Simplement légitime ? Pas seulement légitime, mais clairement et indubitablement souhaitée par le Rédempteur. En effet, il a institué une hiérarchie qui est évidemment insuffisante à satisfaire ses propres fins dans toute leur extension sans l'assistance des fidèles, ce qui rend évidente la volonté du Sauveur, que les fidèles soient des collaborateurs instrumentaux de la hiérarchie dans la réalisation de la grande œuvre dont elle a la charge exclusive. Cela est dit autrement dans ces paroles du premier pape: « Mais vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté : afin que vous annonciez les vertus de Celui qui vous a appelés des ténèbres à sa lumière merveilleuse » (1 Pierre 2:9).

Cette notion est tellement insérée dans la pensée de Pie XI qu'il n'a pas hésité à qualifier d'Action Catholique, les efforts déployés par les laïcs dans ce sens depuis les premières lueurs de l'aube de la vie de l'Eglise. Écoutons-le :

« La première diffusion du christianisme à Rome a été réalisée avec l'action catholique. Aurait-on pu faire autrement ? Qu’auraient pu faire les Douze par eux-mêmes, perdus dans l'immensité du monde, s’ils n’avaient pas appelé des collaborateurs autour d'eux ? Saint Paul termine ses épîtres avec une litanie de noms, parmi lesquels se trouvent quelques prêtres, mais de nombreux laïcs et même des femmes : Aidez, dit-il, ceux qui ont travaillé avec moi dans l'Evangile. Saint Paul semble avoir dit : ils sont les membres de l'Action Catholique ».(2)

Il y avait donc deux missions en quête du même objectif, l'un pour la hiérarchie, l'autre pour les fidèles ; l'un pour gouverner, l'autre pour servir et obéir. Ces deux missions proviennent du même auteur divin ; les deux doivent être accomplies par le travail et la lutte, et ont le même objectif commun, l'expansion et l'exaltation de l'Eglise.

En d'autres termes, la mission des fidèles consiste à avoir une part dans la mission de la hiérarchie en tant que collaborateurs instrumentaux, autrement dit, LES FIDELES PARTICIPENT A L’APOSTOLAT HIERARCHIQUE COMME DES COLLABORATEURS INSTRUMENTAUX, car « avoir part » signifie, dans le sens le plus propre de l'expression, participer.

Ainsi, en donnant aux mots « apostolat » et « participation » leur sens naturel, sans violenter un seul mot de la définition pontificale, ni tordre son sens, nous arrivons à la conclusion que Pie XI, en affirmant que l'Action Catholique est une participation à l’apostolat hiérarchique, a voulu dire qu'elle est purement et simplement une collaboration, un travail essentiellement instrumental dont la nature ne s'écarte pas du tout, essentiellement, de la tâche apostolique accomplie par les organisations étrangères à la structure de l'Action Catholique, et que cette dernière est une organisation-sujet comme toute organisation de fidèles. Ce qui, en passant, a été déclaré par Pie XI lui-même, lorsqu’il a dit, dans son discours aux évêques et aux pèlerins de Yougoslavie, le 18 mai 1929, « l’Action Catholique n'est pas une nouveauté de l'époque actuelle. Les apôtres ont lancé ses fondations au cours de leurs pèlerinages ». En d'autres termes, le Pape a dit que l'essence de l'Action Catholique est absolument la même que celle de la collaboration à laquelle se livrent les laïcs depuis les premiers temps de l'Eglise.

 En résumé, dans les plans de la Providence, la mission des fidèles participe à la mission de la hiérarchie comme un instrument participe aux travaux de l'artiste. Entre mission et mission, ou travail et travail, la participation est absolument la même. Comme chez l'artiste, la qualité de l'agent ne passe pas intrinsèquement à l'instrument, mais l'agent tire parti de certaines qualités ordinaires de l'instrument pour réaliser l'objectif qui est proprement et exclusivement celui de l'artiste, de sorte que la nature hiérarchique de la mission confiée aux Douze et à leurs successeurs ne passe pas à la collaboration instrumentale des fidèles, mais plutôt utilise cette collaboration dans un but qui transcende la capacité des fidèles et s'applique exclusivement à la hiérarchie. L'art est exclusif de l'artiste, et en aucune manière ne peut-il être attribué au pinceau.

Comme on peut le constater, les relations entre travail et travail, mission et mission, constituent une participation réelle et efficace, conforme en tout aux exigences de la terminologie philosophique la plus rigoureuse : participer c’est prendre part.

Tout cela signifie que la définition classique de Pie XI devrait être comprise comme une participation des fidèles à l'apostolat de l'Eglise, qui est hiérarchique, et non dans le sens d'une participation des fidèles à l'autorité et aux fonctions apostoliques, que seule la hiérarchie peut exercer dans l'Eglise.

 

La définition de Pie XI donne-t-elle aux laïcs une participation dans les pouvoirs hiérarchiques ?

Beaucoup d'auteurs ayant écrit sur l'Action Catholique, cependant, ont choisi d'accepter la dernière des significations ci-dessus comme expression exclusive de la pensée de Pie XI. En interprétant le terme « participation » dans un seul des différents sens que la terminologie philosophique lui attribue légitimement, ils déduisent, comme conséquence, que les laïcs sont intégrés dans la hiérarchie ou, tout au moins, qu'ils exercent des fonctions essentiellement hiérarchiques.

Nous avons déjà démontré que cette interprétation est erronée car elle est en contradiction avec l'enseignement du Concile du Vatican. Nous allons maintenant montrer qu'elle n'est pas fondée.

 

Différents sens du mot « participation »

En étudiant la logique, on apprend que les mots peuvent être univoques, analogues, ou équivoques. Seuls les termes univoques n’admettent qu’une signification. Les termes analogues sont ceux qui ont, légitimement, un sens partiellement identique et partiellement différent. Dans la meilleure terminologie philosophique, donc, les mots analogues ont, d'une manière absolue et indiscutable, plus d'un sens, comme, par exemple, le verbe « être », analogue par excellence, qui est la base de toutes les connaissances humaines et s’applique légitimement dans toutes ses innombrables significations.

 

Lequel des deux est le légitime ?

Tout étudiant de première année en philosophie maîtrise cette notion et n’ignore pas que le mot « participation » est analogue, et qu'il signifie donc des réalités proportionnellement identiques, mais en partie différentes, comme, par exemple, les types de participation suivants :

a) la participation intégrale ;

b) la participation univoque potentielle ;

c) la participation analogue potentielle.

Si nous devions admettre comme philosophiquement correctes seules les deux premières acceptions, nous tomberions nécessairement dans le panthéisme, puisque la métaphysique affirme que « l'être contingent à l'être par participation à l'être nécessaire ». Par conséquent, tous ces cas de figure ont une valeur rigoureusement philosophique.

Ainsi, il n'est pas vrai que quand un mot analogue est utilisé dans le langage philosophique, on ne devrait le comprendre que dans son sens le plus exclusif. Si telle avait été l'intention de Pie XI, il aurait affirmé que l'apostolat de l'Action Catholique est une participation intégrale à l'apostolat de la hiérarchie ou, en d'autres termes, que l'Action Catholique est un élément intégral de la hiérarchie. Cette déclaration étant hérétique, telle n'a pu être son intention. D'autre part, Pie XI exclut directement cette utilisation du mot « participation » lorsque, dans la Lettre apostolique « Com particular complacência », du 18 janvier 1939, tout comme dans les encycliques Quae Nobis et Laetur Sane, il affirma que « les laïcs participent en quelque sorte à l’apostolat hiérarchique ». Comme le célèbre Mgr [Luigi] Civardi l’indique (cf. Boletins da Ação Católica, novembre 1939), cette expression montre bien que cet auteur des plus dignes emploie le mot « participation » dans son sens « relatif ».

Face à plusieurs significations légitimes, laquelle choisir ? Ayant refusé la préférence pour le sens le plus étroit par rapport aux sens les moins étroits, nous avons un critère très sûr.

 

Participation et collaboration

Parmi les différentes acceptions du mot « participation », il en est une qui a précisément le sens de collaboration. Elle est la « participation analogue potentielle ». En effet, dans le sens où nous utilisons l'expression « apostolat hiérarchique », elle se réfère aux devoirs apostoliques à accomplir qui sont propres à la hiérarchie en tant que telle. Alors, l'apostolat que les laïcs peuvent exercer participe à l'apostolat de la hiérarchie en tant que telle par une ressemblance matérielle fondée dans la réalité. La forme particulière d'apostolat diffère cependant de l’un à l'autre cas, puisque l'action de sujets ne peut être identifiée avec celle hiérarchique. Dans ce sens parfaitement philosophique, la collaboration des laïcs à l'apostolat hiérarchique de l'Eglise est une véritable participation analogue potentielle, dans laquelle il n'y a rien de métaphorique.

 

La définition de Pie XI : sa vraie signification

Que tel était le sens dans lequel Pie XI a utilisé le mot, le Pontife l’a affirmé lui-même avec une clarté éblouissante et pénétrante lorsqu’il définit l'Action Catholique, tantôt comme «participation », tantôt comme « collaboration » à l'apostolat hiérarchique, nous donnant à comprendre que l'objet ainsi défini était aussi bien participation que collaboration. Autrement dit, c'est une forme de participation qui est tout à fait équivalente à la collaboration.

Donc, même si nous devions accepter le sens du mot « apostolat », que nous utilisons ici argumentandi gratia, en bonne logique nous serions amenés à comprendre que la « participation à l'apostolat hiérarchique » n’est qu’une simple « collaboration ».

En effet, dans la pensée et la plume de Pie XI, les mots « participation » et « collaboration » sont équivalents. C'est ce que dit l'un des chercheurs et commentateurs les plus éminents des documents pontificaux au sujet de l'Action Catholique. A ce sujet, l'archevêque [Emile] Guerry, dans son très célèbre ouvrage, L’Action Catholique (p. 159) souligne que le « Saint-Père se sert dans ses définitions des mots, collaboration et participation, parfois dans la même phrase, mais le plus souvent séparément et sans distinction entre l'un et l'autre ». Cette déclaration est précieuse, car Mgr Guerry est généralement considéré, comme nous le disions, l'un des meilleurs experts sur les nombreux textes pontificaux sur l'Action Catholique, et il en a fait une compilation qui s'est propagée à travers le monde. Cela dit, nous nous abstenons de reproduire ici les textes qui justifient l'affirmation de l'illustre écrivain. Et quand il s'agit d'écrire sur l'Action Catholique, il est superflu de souligner l'autorité de Mgr Civardi, qui est mondiale. Dans l'article cité, l'illustre auteur du Manuale di Azione Cattolica souligne que, dans plus d'un document papal, le mot « participation » est interchangeable avec le mot « collaboration ».

Si Pie XI ne fait aucune distinction entre les deux mots, de quel droit pouvons-nous établir une telle distinction, en nous attardant sur les subtilités des arguments, avec l'intention d'établir entre les mots une signification différente qui n'était évidemment pas dans l'esprit du pape ? « Là où la loi ne distingue pas, il est illicite pour quiconque de le faire ». Ainsi, Mgr Civardi affirme à juste titre dans l'article précité, que le mot « collaboration » nous aide à mesurer la portée du mot «participation » dans les écrits de Pie XI.

Cette règle de l'exégèse est de bon sens élémentaire. Lorsque deux mots différents sont utilisés pour désigner le même objet, il est évident qu'ils sont utilisés dans le même sens. Ce principe herméneutique est expliqué par l'un des juristes les plus éminents du Brésil, Carlos Maximiliano, qui le définit ainsi : « Si l'objet est identique, il semble naturel que les mots, bien que différents, aient un sens similaire ».(3)

Les partisans de l'opinion que nous réfutons affirment qu'il existe un fossé infranchissable entre les notions de participation et de collaboration. Si tel est le cas, le Saint-Père, lorsqu’il désigna le même objet avec les deux mots, employa un de ces mots dans un sens élastique. Lequel ? Il dit lui-même que l'Action Catholique est « en quelque sorte une participation ». Ainsi, les partisans mêmes de l'opinion réfutée doivent comprendre que Pie XI a défini l'Action Catholique comme une collaboration légitime, et qu'il a un peu forcé le sens de « participation ». Cependant, nous ne reconnaissons même pas que Pie XI ait forcé le sens du mot « participation ».

En l'espèce, le mot « collaboration » n'a qu'un sens, et le mot « participation » en a plusieurs, dont l'un, aussi large qu’il pourrait l’être, est celui de la collaboration. Par conséquent, c'est là le sens de ces deux mots. Nous insistons également que Pie XI, qui dit que l'Action Catholique est «en quelque sorte » une participation, n'a jamais dit qu'elle est « en quelque sorte » une collaboration, en utilisant toujours le dernier mot, sans aucune forme de restriction.

 

Clarification officieuse de la définition de Pie XI

Après avoir monté sur le trône de Pierre, Pie XII n'était pas sourd à la rumeur d'opinions téméraires sur ce sujet se propageant un peu partout. Et, sans doute désireux de ne pas appliquer la sévérité du juge avant d'agir avec la douceur d'un père, il a prononcé une allocution, il y a plus de deux ans, publiée dans L'Osservatore Romano, la publication officieuse du Saint-Siège. Le Saint-Père s’y réfère à l'Action Catholique plus de douze fois, en utilisant exclusivement les mots «collaboration » et « coopération », et en omettant le mot « participation ». Si le pape avait voulu éviter toute interprétation abusive du mot « participation », il n'aurait pas agi autrement ; et cela suffit pour comprendre ce que le vicaire du Christ avait en tête. Mais le Saint-Père ne s'arrête pas là : il recommande la plus grande harmonie entre l'Action Catholique et les organisations de dévotion déjà existantes :

« L’Action Catholique italienne, tout en étant la principale organisation de catholiques militants, admet à ses côtés d'autres associations qui dépendent aussi de l'autorité ecclésiastique, dont certaines, ayant des buts et des méthodes d'apostolat, peuvent très bien être considérées comme des collaboratrices dans l'apostolat hiérarchique ».

En d'autres termes, c'est le pape lui-même qui affirme la position identique de l’Action Catholique et des associations auxiliaires comme des collaboratrices en ce qui concerne la hiérarchie, et fait implicitement préciser que lorsque Pie XI a parlé de «participation», il ne donna à ce mot aucun autre sens que celui de « collaboration ».

Le problème, soit-il dit en passant, a été abordé expressément dans un article publié en Italie, et transcrit dans Boletim da Ação Católica Brasileira, par Son Éminence le Cardinal Piazza, nommé par Pie XII membre de la Commission épiscopale qui dirige l'Action Catholique en Italie. Nous transcrivons en annexe le précieux document dans son intégralité. Son autorité ne saurait être contestée par quiconque.

Ce serait une insulte à la sainte Mère Église que de penser que Pie XII aurait voulu nier ou corriger Pie XI, d'autant plus que le Pontife régnant lui-même a déclaré que, en ce qui concerne l'Action Catholique, il voulait n’être rien de plus qu'un procureur fidèle de l'œuvre de Pie XI. D'autre part, ce serait une insulte au Cardinal Piazza que de supposer que, en exerçant une responsabilité de confiance du pape, il aurait eu une attitude décisive sur un sujet d'une telle importance sans la précaution préalable élémentaire de consulter le Pontife, dont les avis lui étaient faciles à obtenir. N’imaginons pas dans la sainte Eglise de Dieu, l'existence d'une désorganisation que même la plus modeste des entreprises commerciales privées ne pourrait supporter ; aucun gérant d’entreprise ne nie l'existence d'une situation juridique créée par le propriétaire de l'entreprise sans consulter ce dernier au préalable. Serait-il possible, en revanche, d'imaginer que le pape ait pu nommer à un poste de telle importance quelqu'un en désaccord avec Sa Sainteté sur un sujet aussi fondamental et si intimement lié à l'administration ecclésiastique?

 

La « participation » à la lumière du droit canonique

Examinons, enfin, une grave difficulté soulevée par le droit canonique contre l'opinion que nous réfutons.

Si le mandat ou la participation accordée par Pie XI devait avoir le sens que nous contestons, cela exigerait la révocation de nombreux et importants articles du droit canonique, qui établissent actuellement (Canon 108) l'impossibilité de l'accès des laïcs au pouvoir hiérarchique. Or, quiconque est familier avec le mode de gouvernement de la Sainte Eglise, le suprême soin avec lequel elle légifère, et la prudence parfaite avec laquelle elle préside habituellement à ses délibérations, ne peut pas imaginer que Pie XI aurait permis une modification tellement importante du Droit Canonique pour s'attarder implicitement, pour ainsi dire, dans sa définition de l'Action Catholique, sans un acte législatif pour définir et montrer la portée exacte de la nouvelle réforme. Surtout, on ne peut pas imaginer que Pie XI détruise l'ordre actuel des choses, sans pourvoir dès le début à des règlements sur le nouvel ordre, abandonnant ainsi le champ de la sainte Église au libre cours des caprices individuels, fantasmes et passions qui, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, ont pris des aspects effrayants. Celui qui penserait de cette façon méconnaîtrait la sainte Eglise de Dieu, son esprit, son histoire, ou ses coutumes. Le chef d’Etat le moins prudent, le gouverneur de province le plus négligeant, le leader le plus ignorant d'une municipalité n’agirait pas de cette façon : le sens commun le plus élémentaire lui ferait prévoir les conséquences catastrophiques de sa conduite. De même, la sainte Eglise de Dieu n'a pas agi de cette façon et ne pourrait pas avoir agi de cette façon.

 

Conclusion

Ce qui ressort de tout cela est que, même si le Saint-Père avait voulu modifier l'essence juridique de l'apostolat des laïcs au sein de l'Action Catholique, il ne l'a pas fait.

Nous alertons le lecteur sur le fait que, comme indiqué ci-dessus, nous acceptons l'affirmation que l'Action Catholique a un mandat et une participation, mais que nous maintenons que la signification légitime de ces mots n'est rien d'autre que la « collaboration » et n'implique pas la reconnaissance, dans l’Action Catholique, d’aucun caractère juridique différent de celui des autres œuvres d'apostolat des laïcs.

 

Avertissement

Cela dit, par souci de commodité, nous allons désormais employer ces mots dans leur mauvais sens, que nous contestons. 

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Notes :

(1) Code de Droit Canonique de 1910.

(2) Pie XI, Allocution à la Jeunesse des Travailleurs Catholiques Italiens, 19 mars 1927.

(3) Hermenêutica e aplicação do Direito, 3e éd., p. 141


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